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Médecins : osez la diversité

Une taille unique ne convient pas à tous

La loi « Modernisation de notre système de santé » de Marisol Touraine, ministre de la Santé, a été votée, mais le blocage reste complet avec les médecins et les autres professionnels de santé du secteur libéral. En ajoutant quelques crans à l’étatisation de notre système de santé, le piège du conventionnement unique se referme. Sur les professionnels, mais aussi sur les assurés et les malades encore peu conscients des conséquences de cette évolution. En sortir est urgent.

Pour une entreprise, n’avoir qu’un seul client peut sembler simple et confortable, mais c'est risqué : toute baisse de l’activité du client ou tout accroc dans les relations entre les deux partenaires peuvent mettre le fournisseur en faillite. De même pour un salarié, n’avoir le droit de travailler toute sa vie que pour un seul employeur est également risqué. En France, les professionnels de santé[1] cumulent les deux handicaps : ils n’ont qu’un seul client-payeur, l’Assurance-maladie obligatoire[2], et un seul patron, l’État. Et pire, ces deux entités ne font désormais plus qu’une. Il n’est donc pas surprenant que les professionnels de santé se sentent enfermés dans un système qui les prive d’initiative et de liberté. Et l'un des risques que la ministre refuse de prendre au sérieux est l'augmentation du nombre de procédures de déconventionnement en 2016 : environ 500 médecins seraient non conventionnés à l'heure actuelle mais la profession s'organise avec notamment la préparation de kits et de cellules de déconventionnement locales (voir ici et ici notamment). D'autres appellent à un déconventionnement larvé en facturant plus cher les consultations.

Patients = Clients ?

En un sens, les malades, ou patients, sont aussi les clients des professionnels de santé qu’ils peuvent choisir assez librement. Mais avec trois restrictions : 1) ils ne les paient pas directement ; 2) les « clients » ne peuvent en pratique se procurer que ce que l’État/CNAM décide[3] de proposer ; et 3) la relation entre le patient et le médecin est très inégale en raison d’une profonde asymétrie d’information. Une situation beaucoup plus déséquilibrée que dans d’autres domaines (ex. logement, nourriture, vêtement, voiture, voyage) alors que la santé est un sujet plus critique, plus vaste, et souvent imprévisible : on se prépare à acheter un appartement, pas à se faire soigner d’un AVC ou d’un cancer. Il est donc généralement admis que les patients ont besoin d’un intermédiaire-conseil pour les aider à choisir un professionnel ou une filière de soins qui leur convienne. Dans ce labyrinthe, les pharmaciens et les médecins généralistes sont souvent les premiers guides. Mais le succès des classements des établissements de soins publiés par les hebdomadaires, ou les sollicitations auxquelles sont soumises les personnes « branchées santé » confirment que ce besoin de conseil n’est pas correctement satisfait.  

Plusieurs clients, plusieurs patrons, plusieurs offres   

En Allemagne, aux Pays-Bas ou en Suisse, les médecins et les patients ont en face d’eux plusieurs assureurs au premier euro. Une situation où des médecins sont en position de proposer à certains assureurs (donc aux malades) des modes de pratiques plus diverses. Et où des assureurs peuvent librement conseiller à leurs assurés de ne pas se faire soigner dans des établissements dangereux ou inutilement coûteux, et peuvent aussi demander aux médecins de mettre en œuvre des projets originaux. Le tout dans un cadre général fixé et contrôlé par l’État. Dans ces pays, de vraies actions de prévention, de nouvelles techniques de suivi des malades chroniques, des modes de rémunération originaux, des consultations à distance, de nouveaux partages des actes entre médecins / infirmières / kinésithérapeutes / sages-femmes / pharmaciens / ingénieurs / assistants, des dossiers médicaux informatisés, ne sont plus éternellement « expérimentaux » comme en France, mais sont vraiment opérationnels. Une façon de libérer les initiatives, avec autant de risques d’échec et de succès qu’en France, mais sans attendre que la totalité des acteurs du ministère, de ses multiples agences et de l’Assurance-maladie obligatoire se mettent d‘accord. Il est symptomatique que, malgré leur contribution minime au financement des soins et les obstacles mis à leur accès aux informations concernant leurs adhérents, certaines complémentaires santé soient déjà plus dynamiques que l’assurance de base.    

CNAM / Complémentaires santé : un double traitement coûteux et stérile

  • Sur les 23 euros payés par le patient à son médecin, la CNAM rembourse 70% soit 16,1 euros.
  • Mais la CNAM  prélève un forfait de 1 euro et ne rembourse donc que 15,1 euros.
  • La complémentaire rembourse automatiquement 6,9 euros.

Ce double niveau d’assurance a deux conséquences

  • Un surcoût des frais de gestion qui se chiffre en  milliards.
  • Un flou de responsabilité dans la prévention, le conseil et le suivi des assurés qui se chiffre en dizaines de milliards.

 « Les patients en colère »

En France, les médecins se plaignent de l’État/CNAM, en principe omnipotent, mais sont aussi dans une zone de confort, leur client-patron étant lointain, lourd, lent et largement impuissant en réalité. À l’avenir, des assureurs au premier euro couvriraient à la fois les risques actuellement pris en charge par la CNAM et ceux pris en charge par les complémentaires, mettant un terme à cette duplication coûteuse en termes financiers, et nuisible en termes de santé. Une évolution d’autant plus justifiée que les complémentaires santé sont devenues quasiment obligatoires pour tous les Français. Ces assureurs pourraient être la CNAM actuelle pour ceux qui le souhaitent, les complémentaires santé dont 80% sont des mutuelles aux mains de leurs adhérents, des associations de patients dans le style des « Motards en colère », ou des organismes qui gèrent aussi des filières de soins (ex. MGEN[4]).

Les différents contrats, sans doute négociés par les organisations des professions de santé, seraient plus ouverts que le standard unique actuel, mais leur respect serait certainement plus contrôlé qu’actuellement. Comme dans les pays étrangers, la solidarité serait préservée. Le système des cotisations obligatoires serait inchangé et une compensation financière serait mise en place pour éviter la tentation de sélection des « bons/mauvais risques »  par les assureurs. Pour les médecins et pour les assurés, traiter avec une dizaine d’assureurs au premier euro serait plus complexe mais plus satisfaisant : c’est une règle générale, il était plus simple de choisir son opérateur téléphonique quand il n’y en avait qu’un qui ne proposait qu’un seul modèle de téléphone.

Conclusion

Les problèmes de notre système de santé, dans le secteur libéral comme dans le secteur hospitalier public, sont connus. Les objectifs à atteindre aussi. C’est le levier capable de mettre le système en mouvement dans la bonne direction qui fait défaut. Réformer les structures étatiques existantes ne changera rien. Compter seulement sur la bonne volonté des deux millions de professionnels en place non plus. C’est en introduisant des acteurs qui ont intérêt à faire évoluer le système, en ont le pouvoir et sont indépendants de l’État que les réformes nécessaires seront mises en route : seuls des représentants des consommateurs pourront être efficaces, soit à travers des assureurs privés ou mutualistes, soit à travers de puissantes associations de patients. La très grande majorité des professionnels de santé (et tous les patients) seront gagnants à cette ouverture à la diversité et à assumer leur rôle d’entrepreneurs de santé. Les moins bons seront conduits à s’améliorer.  


[1] Les termes de médecins et de professionnels de santé sont utilisés ici de façon interchangeable : tous sont concernés par les problèmes actuels et ont intérêt à une plus grande ouverture du système.

[2] Les 500 complémentaires santé ne représentent que 12% du financement des soins et sont en pratique empêchées de mieux connaître leurs propres assurés, et donc de les aider efficacement 

[3] Typiquement, une consultation à 23 euros ne peut être, en moyenne, qu’une consultation à 23 euros.

[4] La MGEN et d’autres mutuelles du secteur public gèrent déjà la prise en charge des soins de leurs adhérents au premier euro, mais sans en avoir la responsabilité finale : en fin d’année elles  transfèrent leurs dépenses de base à la CNAM.