Loi Madelin et déductions fiscales : une suite d'erreurs
Bis repetita placent : les erreurs commises avec l'ISF-TEPA ne sont que la continuation d'une longue suite d'erreurs qui commence avec l'article 199 terdecies 0 A (l'Avantage Madelin) [1] créé la même année que son homologue anglais l'EIS mais avec un plafond de déduction pour un couple de 10.000 francs, soit environ 2.000 euros contre 100.000 £ pour l'EIS.
Avec des plafonds aussi bas, inutile d'imaginer que des investisseurs viennent directement investir dans des créations d'entreprises. Seuls des fonds, s'appuyant sur des réseaux de collecte, peuvent jouer un rôle économique. Mais s'ils vont compléter les fonds levés sans l'aide de l'Etat par les fonds de capital-risque, leur intérêt pose question.
Le nombre d'entreprises créées avec salariés en France, qui est une bonne mesure de l'effet des politiques fiscales, n'a en effet pas augmenté dans les dernières années.
La question peut être posée tout particulièrement pour les FCPI, datant de 1999 :
Créés par Dominique Strauss-Kahn à un retour de Californie où les officiels français qui l'avaient accueilli ne lui ont montré –et ne montrent encore– que le capital-risque, en ignorant que dès 1958, les Américains avaient compris que le capital-risque ne peut être impliqué qu'au second stade, les Business Angels devant assurer le premier stade (exposé des motifs de la loi Small Business Investment Act de 1958), les FCPI ont impliqué les petits épargnants dans la création d'entreprise à travers des fonds qui « mutualisent le risque ».
Non seulement ces fonds ne vont pas vers la création comme les Américains l'avaient compris il y a 51 ans, mais en les poussant vers ce stade, ceci a entraîné des désastres dans les premières années dont les gestionnaires ne se sont sortis qu'en investissant dans des entreprises beaucoup plus grosses et plus sûres, niant ainsi leur objectif initial.
Même avec cette déviation, leur rendement est extrêmement médiocre, négatif même [2], leur seule utilité semblant être de permettre des marges confortables pour les organismes de collecte [3]. On peut douter de leur apport au développement du capital-risque si l'on note que ce dernier a une rentabilité à peu près à la norme internationale autour de 15%, que le capital-risque sans l'aide de l'Etat rassemble déjà une bonne dizaine de milliards en France et que donc le gros milliard supplémentaire apporté par le Madelin et l'ISF n'est pas essentiel.
Une autre erreur a été de viser la jeune entreprise innovante, en interprétant innovant comme voulant dire innovation technique. Or moins de 10% des emplois sont créés aux États-Unis au sein des entreprises créant des innovations technologiques et plus de 90% dans celles qui utilisent les innovations techniques autour de concepts de marketing.
L'OCDE notait récemment qu'en France, seulement 23% des entreprises réalisent des innovations non technologiques contre 57% en Allemagne [4]. En ce sens, limiter l'intervention des FCPI aux entreprises qui développent des inventions techniques est une erreur car demander à un organisme d'Etat de savoir labelliser les bonnes entreprises innovatrices créant un produit technique expertisable est déjà difficile, il devient impossible lorsque le concept innovateur est de pur marketing.
Il serait plus efficace et moins coûteux pour le Trésor de laisser le choix des entreprises à financer aux investisseurs plutôt qu'aux fonctionnaires de l'ANVAR.
Dernière erreur : vouloir faire financer cette étape cruciale par des fonds, c'est s'assurer que nous ne planterons que des graines qui produisent des buissons, pas des arbres car le décideur d'un fonds est d'abord un gestionnaire qui doit rendre compte à ses actionnaires et il s'écarte des opérations les plus risquées qui sont les seules capables de donner de grands arbres ; ce que peut faire un gros Business Angel qui n'a de compte à rendre qu'à lui-même.
Lire la suite de l'article : Loi TEPA et ISF : quel efficacité sur l'emploi et les PME ?
ISF-TEPA et Madelin : qu'est-ce que c'est ?
A eux deux, ISF-TEPA et 199 terdecies du Code général des impôts sont deux niches fiscales représentant environ 2 milliards d'investissements sensiblement à parts égales mais avec un coût fiscal, le coût pour l'Etat, d'environ 1 milliard, dont environ 650 pour TEPA et 350 pour le terdecies.
Le 199 terdecies O-A dit Madelin [5] : investissement direct et par holdings, représentait en 2009 un coût fiscal de 190 millions, les FCPI [6] 110 millions, les FIP [7] 70 millions.
Sur ce total, des calculs précis menés par l'iFRAP conduisent à la conclusion qu'environ 40 millions, moins de 5% du coût fiscal, touchent la cible essentielle pour la création d'entreprises de croissance : les investisseurs qui investissent plus de 100.000 euros dans une entreprise et qui permettent à des créateurs d'entreprise de ne pas courir après 50 actionnaires pour réunir les quelques centaines de milliers d'euros nécessaires à leur démarrage.
Il devrait être possible de mieux faire.
[1] Loi "Madelin" du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle
[2] Voir « Les FCPI sont-ils un bon placement ». Professeur Didier Maillard. Document de recherche du CNAM. Chaire de banque. Décembre 2008. Etabli sur 124 FCPI créées entre 1997 et 2003. « La performance des FCPI a été sensiblement inférieure à celle des placements alternatifs à faible risque (monétaire) ou dans le marché d'actions » (page 6).« Les frais de gestion annuels sont de l'ordre de 3 à 4% contre 0,5 à 1% pour la gestions d'actifs traditionnels ». « Les droits d'entrée sont typiquement de l'ordre de 5% (…) très supérieurs à ce qui est pratiqué dans la gestion traditionnelle ». (page 4) http://www.cnam.fr/deg/banque/DR21.pdf
[3] ISF-PME : les marges intermédiaires épinglées. Selon un rapport publié par l'Inspection Générale des Finances, sur les frais prélevés sur les produits financiers bénéficiant d'un avantage fiscal pour favoriser l'investissement dans les PME, il a été calculé que pour les fonds de placement ISF-PME, les frais annuels s'élevaient à 5,5% en moyenne. Le contribuable qui s'engage pendant huit ans dans une PME, perd en commission 38% de son investissement initial (soit l'équivalent de son avantage fiscal). Les Echos, 12 février 2010.
[4] « Pour une vision élargie de l'innovation ». Delphine Manceau et Pascal Morand (ESCP), La Tribune, 31mars 2010
[5] 199 terdecies O-A I à V
[6] Fonds communs de placement dans l'innovation, 199 terdecies O-A VI
[7] Fonds d'investissement de proximité, 199 terdecies O-A VI bis