Logement : quelles solutions pour faire revenir les institutionnels ?
La ministre du Logement, Cécile Duflot, est décidée à faire revenir les investisseurs institutionnels sur le marché de l'immobilier locatif. Elle est convaincue que ces investisseurs peuvent participer à l'objectif fixé de 500.000 logements nouveaux par an et envisage de contraindre les assureurs à consacrer un pourcentage de leur collecte à l'investissement locatif dans le secteur intermédiaire. Un moyen de sortir de la crise ?
Plusieurs faits divers ont rappelé cette semaine la situation très critique du logement à Paris. Pour sortir de la crise, la ministre est résolue à prendre des mesures vigoureuses : elle a rappelé ses engagements ambitieux de construction de 500.000 logements par an dont 150.000 logements sociaux (à travers le renforcement de la loi SRU et la mobilisation du foncier public), son recours à l'encadrement des loyers, et ses menaces de réquisitions. Des mesures fiscales (dispositif d'amortissement Duflot avec des plafonds de ressources plus bas pour les locataires) viendront soutenir le marché immobilier très malmené (400.000 mises en construction en 2010, 315.000 seulement annoncées en 2013). Même si ces niches fiscales restent très critiquées pour leur coût sur les finances publiques, elles demeurent indispensables pour maintenir à flot le secteur locatif :
Parc locatif par type de bailleur - France métropolitaine en milliers
Parc locatif | 1984 | 1995 | 2010 |
---|---|---|---|
Locataires du secteur social | 3.222 | 4.395 | 4.969 |
Locataires de personnes physiques | 5.277 | 5.440 | 6.156 |
Locataires de personnes morales | 1.187 | 496 | 281 |
Total | 9.686 | 10.331 | 11.406 |
Source : Comptes du logement
Comme on peut le voir sur ce tableau le désengagement très fort des institutionnels a été compensé par le développement du parc social et par le soutien des pouvoirs publics à l'investissement locatif privé. Or s'agissant des logements sociaux, particulièrement dans les zones tendues comme à Paris, la progression atteint ses limites : la politique volontariste de la ville de Paris qui veut atteindre dès 2014 le seuil de 20% de logements sociaux (et non 2020 comme initialement prévu par la loi), n'empêche pas un délai d'attente pour un HLM à Paris de 6 ans pour un T1, 9 ans pour un T3/T4 et 10 ans pour un logement plus grand, années contre 6 mois en moyenne nationale [1]. La complexité des systèmes d'attribution ainsi qu'un certain nombre de blocages que nous avions dénoncés dans une note d'octobre 2012 s'ajoutent à la pénurie de logements. Au final, une fois obtenu un logement social, le droit au maintien dans les lieux anéantit tout espoir de renouvellement des locataires de logements sociaux : le taux de rotation des locataires est de 21% dans le parc privé, de 9% dans le secteur social, mais seulement de 4% dans le secteur social parisien.
L'autre particularité du secteur locatif français c'est la quasi disparition des professionnels privés, foncières ou investisseurs institutionnels, qui ont quitté le marché. Ces bailleurs sont supposés gérer de façon beaucoup plus professionnelle leur parc de logements pour des coûts (de gestion, d'entretien) inférieurs, et disposer de capacités à investir dans la modernisation et la mise aux normes plus importantes que les bailleurs personnes physiques. Les professionnels sont aussi supposés pouvoir supporter plus facilement des frais de contentieux par mutualisation du risque dans le parc de logements qu'ils ont en gestion. Ces points sont importants car en France la très grande majorité des bailleurs sont des petits propriétaires qui ont un logement ou deux logements en location. Et pour qui les gros travaux mais surtout les incidents de paiement et les procédures juridiques à suivre pour le recouvrement des loyers et/ou la reprise des logements deviennent de vrais parcours du combattant, qui les découragent de louer.
Répartition du parc locatif privé par type de propriétaires en %
Personnes physiques | Institutionnels | Autres | |
---|---|---|---|
France | 95 | 3,3 | 1,6 |
Belgique | 86 | 14 | |
Espagne | 86 | 6,7 | 7,2 |
États-Unis | 78 | 13 | 5 |
Royaume-Uni | 75 | 25 | |
Suisse | 63 | 23 | 12 |
Allemagne | 61 | 17 | 9 |
Pays-Bas | 44 | 37 | 19 |
Danemark | 8 | 10 | >50 |
Suède | très peu | essentiellement des sociétés |
Source : ANIL
Une étude intéressante de l'Agence Nationale pour l'Information sur Logement (ANIL) montre que l'enjeu de faire revenir les institutionnels dans le marché locatif est une préoccupation partagée en Europe. L'étude conclut que dans la plupart des pays les pouvoirs publics réfléchissent aux leviers qui encouragent les investisseurs institutionnels. C'est l'environnement fiscal, la visibilité sur le rendement à long terme de l'investissement et le cadre juridique des rapports locatifs qui apparaissent comme des facteurs déterminants d'engagements des professionnels. Du côté du ministère, on a déclaré cette semaine vouloir inciter les assureurs à participer à la construction de logements à loyer intermédiaire en les contraignant à placer un pourcentage de leur collecte en assurance-vie, leur rappelant que ce support bénéficie d'avantages fiscaux qui pourraient leur être supprimés. Cette politique de la contrainte sera-t-elle suffisante alors que beaucoup a été fait pour les décourager (lois sur les rapports locatifs et les ventes à la découpe plus contraignantes, réquisitions, encadrement des loyers, fiscalité) ? Ces investisseurs sont avant tout des créateurs de richesse qui arbitrent entre différents types d'actifs (Bourse, immobilier, capital-risque, etc.) le meilleur couple rendement/risque. Si l'enquête de l'ANIL montre que l'Allemagne est un pays qui protège les locataires dans leurs relations avec les bailleurs ce qui n'empêche pas d'avoir un pourcentage élevé d'institutionnels investisseurs, c'est aussi parce que ce pays a mis en place une fiscalité attractive pour les bailleurs. Voilà une piste de réflexion intéressante pour Cécile Duflot certainement plus attractive que la contrainte. Les institutionnels ne réinvestiront vraiment le marché de l'immobilier que lorsque l'État sera prêt à les considérer comme de vrais entrepreneurs.
[1] Voir note 230 du Conseil d'Analyse Stratégique "Le logement social pour qui ?" juillet 2011