Livre | La monnaie virtuelle, de J.-F. Serval et J.-P. Tranié
Alors que le monde se remet peu à peu de la crise financière, nombreux sont ceux qui ont leur avis sur les failles du système financier mondial, et sur les réponses que l'on peut y apporter – au sein des systèmes nationaux comme dans la nouvelle instance du G20, que la France préside actuellement. Dans ce débat parfois technique, souvent idéologique, Jean-François Serval et Jean-Pascal Tranié, à la fois acteurs et observateurs du système, offrent tant une synthèse édifiante des vices conceptuels et réglementaires, qu'un panel de propositions concrètes d'amélioration, dans leur ouvrage : « La monnaie virtuelle qui nous fait vivre ».
L'exposé est construit autour de la monnaie, comme les auteurs le rappellent en préambule : « la mutation de la monnaie, sa description, ses propriétés et son contrôle, constituent le thème du présent ouvrage ». Le thème de la monnaie, qui peut paraître restrictif au premier abord, est en fait central dans l'émergence de la dernière crise financière, comme les exemples suivants le montrent :
L'évolution économique récente a nourri l'innovation financière : des produits financiers complexes sont échangés continument et de façon automatisée entre les acteurs financiers, avec un éloignement de l'économie réelle et de son facteur temps ;
Les récentes normes comptables (particulièrement avec la juste valeur) et d'information financière (où l'entreprise est à la fois sujet et client de l'agence de notation) ont engendré des mécanismes auto-réalisateurs où les autorités n'ont plus la main sur la création monétaire. (cf. encart)
Les déséquilibres mondiaux, notamment le déficit courant américain et l'explosion des dettes publiques et privées des pays riches, nourrissent un gonflement préoccupant des réserves de change dans les pays émergents.
Tout en disséquant les causes de la crise, les auteurs ne manquent pas de forger une série de propositions de réformes, tant au niveau conceptuel que réglementaire, parmi lesquelles nous pouvons citer :
Élargissement de la notion de monnaie « à tout actif et passif susceptible d'échange » ;
Suppression dans les normes comptables de la juste valeur, sauf pour les activités de pur négoce, et leur remplacement par le coût historique qui ne fait enregistrer un profit que sur la base de la production réelle de l'entreprise ;
Autorités efficaces de surveillance et de régulation, avec un système de surveillance qui « appréhende les classes d'actifs et de passifs et leur rotation par rapport aux chiffres d'affaires » et régule spécifiquement certaines classes d'instruments. Ce système aurait par exemple permis en 2008 de surveiller à la fois les Credit Default Swaps (CDS) (cf. encart) et leur imbrication dans l'économie.
Les Credit Default Swaps (CDS) permettent au souscripteur de se prémunir contre une défaillance d'un créancier, mais ont été exagérément utilisés lors de la crise de 2008 – c'est-à-dire qu'ils étaient échangés principalement par des spéculateurs qui pariaient sur des banqueroutes d'États ou de grandes entreprises sans nécessairement détenir leur dette.
Au vu des défaillances du système, comment mieux le réguler sans anéantir ses bénéfices pour le développement économique ? Les auteurs préconisent la « généralisation du droit, des outils et des concepts d'information ». Mieux réguler le système, c'est donc aboutir à des principes simples et vertueux à chaque niveau de prise de décision économique (entrepreneurs, banquiers…). Ces principes conjugueront la liberté, qui permet la créativité entrepreneuriale et la création de richesses, et la responsabilité à tous les niveaux. En effet, comme le rappellent les auteurs, « un des enjeux de la révision des normes est de les rendre adaptées à une décentralisation des responsabilités ». L'idée est de corriger les imperfections des marchés, mais bien de laisser l'initiative individuelle au cœur du développement économique : c'est bien selon nous l'esprit d'entrepreneur qui fait prendre des risques individuels pour développer une nouvelle activité et créer des emplois. En collectivisant les risques et les responsabilités, on briderait l'entrepreneuriat.
Mêlant éléments de théorie économique et repères d'éthique politique, précis sur la technique sans être abscons, « La monnaie virtuelle qui nous fait vivre » est à mettre dans les mains de tout citoyen désireux de mieux comprendre les mécanismes de la finance moderne, et de se forger un avis dénué d'idéologie sur les réformes à venir.
La juste valeurQuand la valeur des actifs d'une entreprise monte, le principe comptable de la juste valeur lui permet de compter cette hausse en profit. Inversement, si le marché baisse, cela provoque instantanément des pertes, et l'entreprise peut être contrainte de vendre des actifs pour rester à l'équilibre. Lorsque le marché est à la hausse, les entreprises peuvent davantage s'endetter et enregistrer des profits, ce qui alimente d'autant plus la hausse du marché… jusqu'au jour où l'on constate que les valeurs de marché sont en total décalage avec la réalité économique, ce qui provoque des crises brutales comme celle de 2008.
Jean-François Serval et Jean-Pascal Tranié, « La monnaie virtuelle qui nous fait vivre », Editions Eyrolles 2010)