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Les plus démunis perçoivent la moitié des aides en complément de revenu

De nombreuses voix ont profité de la parution, le 24 novembre dernier du rapport de l'OCDE sur les dépenses sociales, pour déplorer la faible redistributivité du modèle social français : en effet, les 20% des ménages français les plus modestes ne percevraient que 16,6% des dépenses sociales, bien loin des taux scandinaves (40% en Norvège ou 34% au Danemark). C'est oublier les particularités du modèle français en termes de fiscalité, de contributivité et de dépenses en nature.

À première vue, les dépenses sociales bénéficient peu aux personnes les plus démunies en France : d'après l'OCDE, le premier quintile (les 20% de personnes les plus modestes) ne perçoit que 16,6% de l'ensemble des dépenses sociales contre 27% pour le dernier quintile (les 20% de personnes les plus aisées). Tout l'opposé du Royaume-Uni, où le premier quintile reçoit 26,1% des dépenses sociales et le dernier quintile seulement 8%. En Allemagne, la répartition est plus égalitaire, les 20% de ménages aux revenus les plus aisés et les 20% de ceux aux revenus les plus modestes percevant respectivement 18,5% et 20% des dépenses sociales.

Le gonflement des dépenses sociales françaises par les retraites

Ce déséquilibre en France s'explique par la surreprésentation au sein des dépenses sociales des dépenses contributives (allocations chômage et pensions de retraites). L'État providence français s'est construit sur le modèle assurantiel « bismarkien », au sein duquel les revenus de remplacement sont calculés au prorata des cotisations individuelles. Il n'est pas anormal alors que le quintile supérieur reçoive davantage que le premier quintile, dans la mesure où il a plus cotisé. Ces dépenses, notamment les pensions de retraite et l'assurance chômage représentent la moitié des dépenses sociales françaises. La comparaison avec des pays de tradition « beveridgienne » à la logique « assistancielle » est donc biaisée. De même il est délicat de mettre sur le même plan des pays qui ont choisi des systèmes de retraite par répartition ou des systèmes par capitalisation (les retraites des premiers gonflent « artificiellement » les dépenses sociales). Ainsi, si l'on retranche des dépenses sociales françaises et britanniques le montant des retraites (13,5% du PIB en France et 5,6% au Royaume-Uni), les dépenses sociales publiques en point de PIB sont presque identiques (17,2% contre 17,1%).

Le rôle primordial des dépenses sociales en nature

D'autre part, le calcul opéré par l'OCDE sur la répartition des dépenses sociales entre quintiles porte sur les seules dépenses sociales en espèces. Or il existe de grandes disparités entre les pays de l'OCDE dans la structure des dépenses sociales. La Suède par exemple dépense plus en nature qu'en espèces. En France, les dépenses en espèces concernent essentiellement les dépenses contributives (cf. ci-dessus) tandis que les prestations sociales en nature (services gratuits ou presque) sont justement destinées aux plus démunis (logements sociaux, crèches, cantines scolaires, gratuité des transports, etc.). Un exemple probant est celui de l'aide au logement : en moyenne, un ménage britannique percevra 895 euros par an d'aide au logement en espèces contre seulement 540 euros pour un ménage français. Mais ces aides au logement versées directement à l'occupant (15,9 milliards) ne représentent qu'une petite part des aides au logement en France (40,6 milliards d'euros) qui comprennent des crédits d'impôts, des taux préférentiels qui profitent indirectement et in fine aux plus démunis. Dans sa note 264 de février 2012, le CAS estimait ainsi qu' « au moins 21 milliards d'euros (…) des avantages conférés en 2009 par les aides au logement sont ciblés sur les ménages modestes ».

Revenus disponibles et aides en complément de revenu

La comparaison entre les dépenses en espèces n'a donc de sens que si on isole les dépenses sociales allouées aux retraites et au chômage (parce que contributives) pour se concentrer sur les transferts sociaux non-contributifs, c'est-à-dire les dépenses sociales soumises à des conditions de ressources ou à des critères d'éligibilité : les prestations familiales, les prestations logement et les minima sociaux (RSA, AAH, ASS, minimum vieillesse, etc.).

Calcul à partir des données du rapport de l'INSEE et ONS.

Le graphique ci-dessus bat en brèche l'idée que les prestations sociales ne bénéficieraient pas aux plus démunis en France. En effet, en 2011, les ménages du premier quintile percevaient la moitié des aides en complément de revenu (48%). Cela représentait, pour le premier quintile, 4.563 euros dans le revenu annuel disponible du ménage (sur 15.170 euros) soit 32,1% du revenu disponible (et même 42,3% pour le premier décile).

Au Royaume-Uni, les mêmes aides sont, certes, moins ciblées sur le premier quintile (33% du total des aides) mais elles restent plus élevées en général : les aides en complément de revenu du premier quintile s'élèvent à 3.852 livres (4.892 euros environ). Mais c'est sans compter les aides en nature françaises particulièrement redistributives.

Il faut aussi souligner que les ménages du premier décile percevront un complément net de revenu (après impôt) de 4.592 euros en moyenne en France contre 3.437 euros au Royaume-Uni.

En effet, le premier quintile britannique est deux fois plus taxé que son homologue français (9,9% contre 5,1%). Il en résulte un écart net négligeable : 4.332 euros en France contre 4.408 euros au Royaume-Uni.

Conclusion

Dans son rapport du 24 novembre 2014, l'OCDE concluait que les 20% de Français les plus démunis ne percevaient que 16,6% des dépenses sociales en espèces. Ce constat est biaisé :

  • d'une part, il prend en compte les dépenses contributives,
  • d'autre part, il omet les dépenses en nature et les effets de la fiscalité.

Une fois ces trois distorsions prises en compte, la comparaison entre la France et le Royaume-Uni permet de réfuter le constat de l'OCDE : les 20% de ménages français les plus modestes perçoivent 48% de l'ensemble des aides en complément de revenu, contre 33% au Royaume-Uni. Cela représente en France 4.563 euros par an soit 32% du revenu disponible. Ce à quoi il faut ajouter toutes les dépenses en nature qui profitent en premier lieu aux plus démunis.