Les entreprises et l'économie sous tutelle de l'Etat
Le programme Ayrault, une « révolution copernicienne » pour le ministre Moscovici ? En un sens, oui, le gouvernement s'est enfin rendu compte que la santé des entreprises était le nœud du problème de la compétitivité de la France ainsi que de l'emploi. Il faut le saluer, tout au moins au chapitre des bonnes intentions. Mais l'efficacité économique du dispositif central, le crédit d'impôt, est bien douteux. Et surtout, aux personnes qui se demandent pourquoi on ferait simple quand on peut faire compliqué, il faut répondre que le mécanisme a principalement pour motif, non de baisser simplement les charges des entreprises, mais de leur imposer des contreparties : où l'on voit réapparaître la défiance générale à l'égard des entreprises. On veut bien aider, mais à condition qu'elles marchent droit, et dans le sens de stratégies définies par l'État. En parlant de Copernic, auteur de la théorie de l'héliocentrisme, le ministre ne croit pas si bien dire : le soleil, c'est l'État, autour duquel les entreprises ne sont pas libres de graviter comme elles l'entendent.
Le crédit d'impôt, outil pour la mise sous tutelle des entreprises
Il faut placer le mécanisme du crédit d'impôt dans la bonne perspective. L'IS doit rapporter, selon les prévisions officielles, 52,3 milliards d'euros en 2013 après 40,2 en 2012. Donc une ponction supplémentaire de 12 milliards par rapport à 2012, fruit de la fiscalité du PLF 2013, sans compter les augmentations de taxes diverses et des cotisations sociales (pour payer le retour limité de la retraite à 60 ans). S'y ajouteront encore des taxes environnementales annoncées par le programme Ayrault pour 3 milliards, chiffre considérable. Au total, environ 20 milliards de plus de prélèvements obligatoires, qui vont peser dès 2013 sur les entreprises, lesquelles vont voir les cotisations sociales augmenter alors qu'elles s'attendaient à les voir diminuer. L'État propose d'en restituer la moitié en 2014 sous forme de crédit sur l'IS (et d'impôt négatif en l'absence de bénéfice). Demain on rasera moins cher… Une entreprise ne raisonne pas, budgétairement parlant, à échéance d'une année, mais à échéance trimestrielle, voire moins.
Et surtout, l'État évoque des conditions et des contrôles par les salariés et par lui-même –bien que le point soit encore très obscur-, qui indiquent sa volonté de mettre l'entrepreneur sous tutelle quant à l'utilisation du crédit d'impôt. Par exemple, l'entreprise ne devra pas l'utiliser pour « augmenter » les dividendes qu'elle verse (ce qui est déjà en soi une usine à gaz). Et nous voilà revenus dans l'ornière de l'anti capitalisme primaire. On peut douter que ceci suffise à apaiser l'aile gauche de la majorité, alors que par ailleurs et de façon totalement contradictoire, plusieurs des 35 « décisions » du programme sont orientées vers l'incitation à développer les investissements en capitaux, et même l'ouverture d'un « PEA/PME » et d'un marché boursier qui serait spécifique aux PME – ce qu'on ne peut qu'applaudir. Si l'on veut que les capitaux s'investissent, il faut les rémunérer. Comment le faire si les entreprises ne peuvent pas distribuer de dividendes, et quand elles le font, si les profits sont presque intégralement raflés par l'État au niveau de l'IR (voir la fronde des pigeons) ? Gageons que certaines entreprises refuseront même le crédit d'impôt, préférant conserver leur liberté de décision. D'ailleurs, celles dont le niveau de salaires général dépasse 2,5 SMIC n'auront même pas à se poser la question puisqu'elles n'auront pas droit à ce crédit d'impôt. Ce qui rentre en conflit par ailleurs avec une orientation importante du Pacte de compétitivité et du rapport Gallois, la réorientation des entreprises vers la montée en gamme. Il semble difficile de satisfaire à l'objectif en recomposant sa masse salariale avec des rémunérations ne dépassant pas 2,5 SMIC, surtout s'il s'agit de renforcer le potentiel de Recherche & Développement [1].
Voici donc en résumé un crédit d'impôt conditionnel, appelé à adoucir de moitié seulement et avec une année de décalage les excès des prélèvements complémentaires du PLF 2013. Ce n'est vraiment pas un « cadeau » pour les entreprises, ni ce qu'elles demandaient. Des bonnes intentions qui continuent à paver l'enfer fiscal.
En général, un programme marqué par l'étatisation de l'économie
En dehors du crédit d'impôt, le programme Ayrault contient 34 décisions orientées vers la compétitivité. Il serait trop long de les examiner ici. Nombre d'entre elles sont judicieuses, bien qu'il soit difficile de les définir concrètement car elles restent encore au niveau des déclarations de principe et d'intention. On retiendra particulièrement les déclarations sur la simplification administrative et sur la stabilité fiscale, qu'il faut applaudir chaleureusement… en attendant de les voir se concrétiser.
Ce qui frappe cependant, c'est de voir à quel point on s'éloigne des souhaits des entreprises qui, sur les questions qui nous occupent ici, demandent essentiellement à voir leurs charges et impôts baisser, et à ce qu'on les laisse travailler librement. Qu'on nous « fiche la paix » est une récrimination fréquente. Au contraire, le programme gouvernemental se traduit par la multiplication d'initiatives étatiques ainsi que par la création de nouveaux « machins » qui vont encore enserrer les entreprises dans de nouveaux carcans, complexifier leurs démarches et probablement aussi nécessiter de nouveaux agents publics.
La BPI, dont on a souvent souligné l'ambiguïté du rôle, est au centre d'un système d'aides. On va par exemple définir un PIA (programme d'investissements d'avenir), créer un « groupe de travail national sur l'innovation », créer un nouveau CNI (conseil national de l'industrie) où les intervenants seront multipliés, prévoir l'identification des PME de croissance par la BPI (ce n'est pas à l'État d'identifier les entreprises d'avenir !), créer des « plateformes territoriales d'appui », réunir une « conférence de l'achat public d'innovation » (?), créer une « nouvelle instance de dialogue et de prospective » (?) etc. On va aussi créer un « fonds de trésorerie » pour les entreprises, doté de 500 millions d'euros. Là encore, est-ce le rôle de l'État de servir de banque à court terme, en concurrence encore avec le système bancaire traditionnel ?
En résumé, c'est tout un programme qui repose sur une certaine défiance à l'égard des entreprises, et la certitude bien ancrée que c'est à l'État, non seulement de fournir un cadre et des moyens pour leur épanouissement, mais de définir les orientations et de contrôler leurs finances, en un mot d'exercer sa tutelle sur le système productif français. Une idéologie d'étatisation dont on ne semble pas près de sortir, et qui ne correspond pas à la demande des entreprises. En même temps, les prélèvements, qu'ils soient fiscaux ou sociaux n'ont pas été diminués et les dépenses publiques ont quant à elles des raisons d'augmenter avec le renforcement du rôle et des interventions de l'État prévu par le programme. Quant au problème du financement de la protection sociale, il est disjoint et renvoyé à plus tard. Pas sûr que la « révolution » aille dans le bon sens.
[1] On n'ose imaginer l'effet pervers potentiel induit avec une pression à la baisse des salaires lors de l'embauche des ingénieurs aux sortir des écoles pour rester en dessous de 2,5 SMIC. Nouvelle trappe à bas salaires pour les chercheurs/développeurs qualifiés et donc baisse de l'attractivité du site France sur un marché des talents de plus en plus mondial ?