Les dangers de l'État à la fois régulateur, actionnaire, manager et client
« Ils s'interrogent sur la qualité de l'offre 4G de Free mobile ». Ce commentaire du ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg et de sa collègue Fleur Pellerin en charge des télécommunications, dès le lendemain de l'annonce par Free Mobile de son réseau 4G, est étonnant. Il est vrai qu'avec 26,97% du capital, l'État est le premier actionnaire de son principal concurrent, France Telecom/Orange. Mais en profitant une fois de plus de la confusion sur les rôles de l'État, à la fois régulateur et actionnaire, le gouvernement ne peut-il pas être accusé de conflit d'intérêt, concurrence déloyale et de manipulations du cours des actions ?
L'État régulateur et actionnaire
Le cas FranceTelecom/Orange. Que les associations de consommateurs enquêtent sur la qualité des réseaux des différents fournisseurs de téléphonie mobile est naturel : c'est leur métier. Que les autres fournisseurs soulèvent des questions sur la qualité du réseau de Free est normal : c'est leur concurrent. Et que les organismes publics de contrôle de la concurrence (DGCCRF) et des télécommunications (ARCEP) travaillent sur ce sujet est indispensable : c'est leur responsabilité. Mais on n'imagine pas que ces services officiels aient eu le temps en 24 heures d'étudier ce sujet, même de façon superficielle.
Début 2013, l'action EDF était au plus bas : 13,5 euros, alors qu'elle avait été introduite en bourse à 32 euros en 2005. Une perte potentielle sévère pour l'État actionnaire à 85% de cette grande entreprise, et un mauvais signe envoyé aux organismes prêteurs d'EDF. Sans doute parce que le précédent gouvernement avait maintenu les augmentations du prix de l'électricité à des niveaux insuffisants, inférieurs aux recommandations de la commission chargée de lui faire des propositions. Sans doute aussi parce que les aventures aux États-Unis, et en Amérique du sud s'étaient terminées par des échecs, celle au Royaume-Uni n'était pas conclue, que le coût du chantier de Flamanville explosait et que l'avenir du nucléaire en France n'était pas clair.
En un jour, tous ces problèmes ont disparu grâce à la décision d'augmenter le prix de l'électricité de 5% par an en 2013, 2014 et 2015 au moins. Résultat : le cours de l'action a doublé à 27 euros. La question n'est pas de savoir si cette augmentation des prix est justifiée (elle semble l'être), mais de souligner que les multiples interventions de l'État font de cette entreprise un jouet imprévisible entièrement dans les mains de l'État. Et que face à une politique aléatoire, il est très difficile à ses concurrents de développer la politique rationnelle qui bénéficierait aux consommateurs et au pays. Les atermoiements pour la remise en jeu des barrages hydrauliques, une mesure pourtant imposée par Bruxelles, décidée en 2010 et toujours pas réalisée, conforte cette sensation de gestion soit aléatoire soit partisane.
L'État régulateur, actionnaire et manager
L'étape d'après pour cet actionnaire influent est d'intervenir directement dans la gestion de ses entreprises. D'abord avec la tentation de nommer des amis à leur tête, mais aussi dans des directives plus précises sur le plan industriel ou commercial. On l'avait vu dans les pressions pour que Renault construise une usine de batteries à Flins, moyennant un financement public du FSI. Mais aussi dans l'interdiction faite à Orange de vendre Dailymotion, pour laquelle un partenaire est toujours activement recherché.
L'État régulateur, actionnaire, manager et client
Contrôler tous les maillons de la chaîne, c'est la situation préférée des gouvernements : si l'État peut en plus de tous ses rôles, être le propre client des entreprises dont il est actionnaire, le système échappe à toute évaluation extérieure. Même si les expériences passées n'ont pas été encourageantes : arsenaux, Giat industrie, imprimerie nationale, fabrique des billets de la Banque de France,…
L'annonce par le ministre des Transports de la commande à Alstom par la SNCF d'une série de 40 TGV constitue un cas typique. Le président Guillaume Pepy n'a pas semblé convaincu de son utilité : « cette commande n'avait pas, au départ, paru 100% intuitif à la SNCF », la longévité des rames TGV étant meilleure que prévu. Un cas intéressant puisque ce contrat avait déjà été annoncé en 2012 de façon tout aussi impromptue par le précédent gouvernement
L'attribution systématique des champs d'éoliennes marines à des entreprises françaises dont l'État est actionnaire (EDF, AREVA, STX, Alstom, GDF/Suez), a conduit leurs concurrentes étrangères à se retirer du jeu, alors qu'elles possédaient une dizaine d'années d'avance dans ce secteur. Une garantie que ces emplois seront localisés en France (c'était quasiment une condition préalable) mais aussi la certitude de coûts de production d'électricité nettement plus élevés.
La commande groupée de 50.000 voitures électriques en 2010, annoncée par le gouvernement, à destination principalement du secteur public et d'entreprises dépendant de commandes de l'État. Une grande partie devait être fournie par Renault (État actionnaire à hauteur de 15,33%). Les ventes de voitures électriques n'ont été que de 5.700 en 2012 et d'environ 8.000 en 2013.
Mise en vente des participations
Les besoins de financement de l'État et la vente d'une partie (900 millions d'euros) de ses actions Safran, renforcent les rumeurs de vente de participations de l'État, par exemple dans Orange, EDF ou GDF. Une mesure excellente, similaire à celles prises par les pays voisins mais qui fait craindre des mesures politiques destinées à valoriser les candidates avant cession et, après la cession, la dépendance de ces entreprises aux aléas des choix étatiques.
Quand l'État commence à se mêler de gérer des entreprises industrielles, l'enchaînement est sans fin : d'abord actionnaire, puis manager, puis client, et toujours régulateur, cela fait beaucoup.