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Les 18 mesures de Valls : une prise de conscience encore trop timide

Ce fut la surprise, 18 mesures sorties du chapeau mardi matin, sans concertation préalable. Trois constats : le premier, la bonne volonté évidente du Premier ministre et de son ministre des Finances, une prise de conscience des difficultés des entreprises pour embaucher et un changement très bienvenu d’état d’esprit. Le second, un certain nombre de mesures techniques qui sont loin d’être négligeables, et qui auront leur importance pour les PME et leur influence indirecte sur l’emploi. Le troisième, malheureusement les mesures qui sont censées s’adresser spécifiquement au problème des freins à l’embauche sont très insuffisantes. C’est un pas et un seul dans le bon sens, et cela dessine surtout en creux ce qui ne changera pas sous le présent gouvernement.

Un état d’esprit qui change

Pour le Premier ministre et le ministre de l’Économie, l’entrepreneur doit cesser d’être celui à qui l’on impose des contraintes infinies et que l’on sanctionne (« punit » plutôt) à la moindre incartade. À titre d’exemple, l’irrégularité formelle du licenciement (lettre mal rédigée) ne sera plus équivalente à une absence de « cause réelle et sérieuse », là où une telle cause existe. On sanctionne quand même (1 mois de salaire forfaitaire), ce qui montre qu’on ne va pas au bout de la démarche (pourquoi accorder une réparation au salarié si cette irrégularité formelle n’entraîne pas de préjudice ?). Mais on revient de loin sur une absurdité criante, c’est déjà ça, même si beaucoup d’autres absurdités de ce genre vont continuer à foisonner dans le Code du travail.

Autre exemple, lorsqu’Emmanuel Macron justifie certaines des mesures, il ne craint pas d’affirmer que les entreprises sont en quelque sorte contraintes de se mettre dans l’illégalité en raison des contraintes juridiques. Il propose d’alléger certaines de ces contraintes, au lieu de reprendre le discours habituel consistant à brandir de nouvelles sanctions.

Il faut enfin saluer le réalisme du gouvernement devant l’échec du dialogue social entre partenaires sociaux au niveau national. Il est clair que les grand-messes qui réunissent ces partenaires à la demande du pouvoir n’aboutissent qu’à des crispations et des jeux de rôle inutiles. L’État reprend la main, et c’est une bonne chose comme nous l’avons souvent souligné. Le dialogue social s’exercera là où il a sa place normale, c'est-à-dire dans les entreprises.

Revue de certaines mesures

Il serait fastidieux de reprendre les mesures techniques de simplification figurant dans la liste des 18. Elles ne bouleverseront certes pas la vie des entreprises, mais ne sont pas négligeables et auront un impact, même si celui-ci est différencié suivant les entreprises[1].

Voici ce qu’il faut penser de certaines des mesures les plus médiatiques concernant la     première partie consacrée aux freins à l’emploi.

                            

 

C’est bien

mais…

L’aide à la première embauche 

 

4 000 euros sur 2 ans, réservé aux créateurs d’entreprises et indépendants sans salarié pour leur première embauche.

Évidemment pas déterminant pour l’emploi (environ 8% du coût annuel d’un salarié au smic), une sorte de super-CICE, mais seulement pour deux ans.

Deux renouvellements pour les CDD et les intérims

 

Facilite les embauches et la prolongation de l’emploi pour les salariés.

La durée totale, renouvellements compris, reste 18 mois. La mesure aura peu d’effet. Elle satisfera les employeurs qui embauchent pour un premier CDD d’au plus 6 mois, et ne sert à rien lorsque le premier CDD est d’une durée plus longue. Paradoxal et risque d’abaisser à 6 mois la durée du premier CDD. Rappelons que dans l’administration les CDD peuvent aller jusqu’à 3 ans renouvelables une fois.

Simplifier et réduire les effets de seuils

 

Réunion des seuils de 9, 10 et 11 salariés. Moratoire de 3 ans sur les prélèvements et fiscaux.

Le moratoire n’est pas pérenne (encore une !), et ce n’est qu’un pis-aller. Est-on en droit d’espérer  que la mesure pourrait devenir permanente si son efficacité est reconnue ? Il s’agit d’autre part des seuls prélèvements financiers, alors que le message est brouillé par de nouvelles mesures de  complexité administrative, coûteuses ne serait-ce que par le temps qu’elles exigent de la direction des entreprises mais aussi des représentants du personnel. Ces mesures sont ajoutées par ailleurs par la loi Rebsamen, concernant le franchissement des seuils de 11 et 50 salariés. 

Remarque : À la demande de la Délégation sénatoriale aux entreprises, l’institut allemand IFO a réalisé une étude sur les seuils sociaux[2]. Sa conclusion est claire : « Nous trouvons des preuves d’effets de distorsion sur la taille des entreprises seulement en France. Les entreprises françaises sont de plus en plus concentrées en-dessous des seuils sociaux correspondant  aux 10, 20, et 50 employés ». Ni le fait de repousser plus haut les seuils, ni leur gel temporaire ne trouvent grâce aux yeux de l’Institut, qui recommande plutôt une réduction des taxes au niveau des surcoûts entraînés par le franchissement des seuils.

La barèmisation des indemnités de licenciement pour rupture abusive

 

Doit permettre d’éviter des décisions aberrantes comme celle que rappelait récemment le JDD, et qui aurait impressionné Emmanuel Macron : un patron licencie pour vol un salarié. Il gagne aux Prud’hommes, et perd devant la Cour d’appel, qui lui inflige une condamnation à pas moins de 5 années de salaire !

Nous nous sommes récemment prononcés sur ce sujet (REF). De toute façon le barème différencie suivant la taille de l’entreprise, ce qui n’a pas de sens puisqu’il s’agit juridiquement de réparer un préjudice pour le salarié, et non de punir l’employeur en fonction de ses ressources financières présumées. Le gouvernement doit s’attendre à ce que le Conseil constitutionnel annule la disposition, ce qui jette un soupçon sur la nature purement politique de la proposition. Encore une fois, c’est au niveau de la cause réelle et sérieuse qu’il faut agir, ainsi qu’à celui des obligations extrêmement lourdes de reclassement pesant sur les employeurs dans les cas de licenciement économique. Ajoutons encore que les députés viennent de modifier les plafonds (dans un sens favorable aux salariés) par rapport à la proposition, et que cette proposition comprend d’assez nombreuses exceptions permettant aux tribunaux de dépasser les plafonds, ce qui fait craindre des effets pervers, les salariés plaidant systématiquement le « harassement » ou d’autres circonstances pour obtenir des dépassements d’indemnité.

 

L’assouplissement des règles du maintien dans l’emploi

 

L’élargissement à 5 ans de la durée possible de l’accord. Le retour à l’ANI d’origine qui prévoyait que l’accord constitue un motif de licenciement pour les salariés refusant de se le voir appliquer.

Les conditions sont encore trop nombreuses et contraignantes. En particulier l’accord reste à durée déterminée et surtout « la difficulté conjoncturelle doit être avérée ». Comment établir cette difficulté et pourquoi les difficultés structurelles, ne pourraient-elles pas aussi être considérées, sachant au surplus que la distinction est assez artificielle ? La modification législative n’a pas encore été communiquée, mais il semble qu’Emmanuel Macron, dont l’intention était de véritablement élargir l’application de cette disposition de la loi du 14 juin 2013, n’ait pas été écouté.

Calculer la période d’essai sur le temps de présence de l’apprenti dans l’entreprise (et non plus cumulé avec les temps de formation pédagogique)

En théorie, alors qu’un apprenti passe deux semaines sur trois en entreprise, l’employeur avait seulement un peu plus d’un mois de travail pour évaluer son apprenti.

Cette mesure ne fait qu’effleurer les difficultés de recrutement dans l'apprentissage. Ce qui démotive les employeurs, c'est le très faible temps de présence réelle de l'apprenti dans l'entreprise. En moyenne, l'apprenti passe 1 semaine en école pour 2 semaines en entreprise, ce qui est déjà peu alors que au Royaume-Uni et en Allemagne, les temps de formation pédagogique sont plus courts et ont plutôt lieu en fin d’après-midi, le samedi ou le soir.

Et le temps de présence varie beaucoup selon le secteur. Ainsi dans la métallurgie, un apprenti de 2ème année passe  20 semaines en école pour 26 semaines en entreprise, ce qui augmente considérablement son taux horaire qui peut dépasser celui de son tuteur. 

Conclusion : Ce que signifient « en creux » les 18 mesures

Indéniablement, le changement d’état d’esprit est présent. Mais il témoigne en même temps des limites politiques des réformes qui s’imposent au gouvernement, en raison des frondeurs et plus généralement des oppositions internes existant au sein de la majorité. Or les réformes qui devraient être faites nécesssiteraient d’être prises au niveau législatif. Le gouvernement est parfaitement clair sur le fait qu’il ne s’attaquera jamais aux tabous qui sont la signature de la gauche ou qui provoqueraient un révolte syndicale ou sociale : c’est-à-dire la protection accordée par le CDI (pas de rapprochement CDI/CDD, pas de redéfinition de la cause réelle et sérieuse), les seuils sociaux du dialogue social (rien au-delà des 18 mesures et de la loi Rebsamen), le smic (aucune flexibilité n’est envisageable), ou encore les 35 heures (malgré le conflit au sein de l’APHP dont on ne voit guère comment il pourrait se terminer autrement qu’à la confusion de Martin Hirsch). Nous voici prévenus, on n’ira pas, avec le présent gouvernement, au-delà de ce que les lois Macron, Rebsamen et les 18 mesures réunies vont apporter. En ce qui concerne spécifiquement la levée des freins à l’emploi, la récolte est au total bien maigre et le verre vide à plus de la moitié.


[1] Ainsi des simplifications apportées à la fiche de paye, à l’obtention des aides publiques, au  respect des délais de paiement (potentiellement capital !), …

[2] Voir le Sénat