L'emploi dans l'industrie automobile, États-Unis et France
Le journal Les Échos [1] vient de publier des statistiques frappantes sur l'extraordinaire rebond que connaît l'industrie automobile après les faillites qu'ont subi deux de ses Big Three en 2009. L'occasion de mettre en parallèle les statistiques françaises et d'en tirer des conclusions sur l'urgence de modifier les paradigmes de la politique française actuelle. Tâche qui va bien au-delà de la baisse des charges pesant sur les entreprises, et qui conditionne pourtant le retour du « made in France » industriel.
La production automobile aux Etats-Unis depuis 2007
En 2007 les trois producteurs américains sont déjà en difficulté. General Motors a vu sa production chuter de 5 millions à 3 millions de véhicules, puis à 2 millions en 2009. GM dépose son bilan en juin 2009 et la justice impose la reprise de ses actifs par une société sous la coupe du gouvernement américain qui imposera la fermeture de 12 usines. GM a maintenant complètement remboursé ses emprunts auprès de l'Etat qui vient de revendre totalement sa participation. GM a repris sa place de premier constructeur mondial. De son côté, à partir du milieu des années 2000, Ford connaît des pertes considérables (30 milliards de dollars entre 2006 et 2008), et supprime 30.000 emplois en 2006, puis se restructure en vendant plusieurs marques. En 2010, l'entreprise est partout en bénéfice. Quant à Chrysler, ses difficultés remontent à la décennie 1980. L'entreprise passe sous le contrôle de Daimler, mais continue à couler, en raison en particulier d'énormes coûts liés aux retraites des salariés. Comme GM et quelques mois plus tôt, en avril 2009, elle dépose son bilan, reçoit des prêts de l'Etat et passe sous le contrôle de Fiat avant d'amorcer sa renaissance à partir de 2010.
Voici l'évolution connue par l'industrie automobile américaine en pourcentage de production et d'effectifs. Source Les Echos
A l'heure actuelle, la production est revenue à son niveau antérieur. Elle s'élève à 10,5 millions de véhicules et emploie 770.000 salariés. L'industrie automobile exporte pour 51 milliards de dollars (première contribution aux exportations américaines), commence à relocaliser ses productions transférées au Mexique, et, ce qui est moins connu, beaucoup de constructeurs étrangers produisent aux Etats-Unis (dont BMW pour la totalité de ses cross-overs ou encore Toyota). A la base de ce redressement spectaculaire, des restructurations drastiques et douloureuses, 330.000 emplois perdus en 2009 par rapport à 2007, l'investissement de capitaux considérables, et, aussi importants, des accords qualifiés de « très raisonnables » passés avec l'UAW, le syndicat américain. L'industrie a réembauché 130.000 salariés.
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Déclaration de Bob King, responsable du syndicat UAW, après la signature des accords de 2009.« Tout d'abord, en raison des luttes menées aux États-Unis où le taux de chômage atteint un niveau record, nous cherchons à protéger avant tout les emplois de nos membres. Et c'est ce que nous avons fait. Ce contrat permettra le retour au travail de nos membres qui ont perdu leur emploi, la création de nouveaux emplois dans nos communautés, et fera revenir vers les États-Unis des emplois qui étaient partis à l'étranger ».
L'UAW s'est battu avec succès pour avoir un régime de retraite moins sévère, et a également obtenu quelques améliorations importantes pour les prestations de soins de santé. En outre, l'accord comporte un meilleur intéressement aux bénéfices avec une plus grande transparence que par le passé.
« Nous donnons encore aujourd'hui la preuve que nous pouvons obtenir, par la négociation collective, des salaires décents, des avantages et le droit à l'emploi pour les travailleurs et travailleuses, tout en garantissant des produits de qualité et de solides bénéfices aux employeurs. Nous restons engagés dans notre objectif de syndicalisation et de lutte au bénéfice des travailleurs et travailleuses de toute l'industrie automobile aux États-Unis ».)]
La production automobile française depuis 2007
Par comparaison, voici les graphiques correspondants des deux constructeurs français pendant la même période.
Sources diverses et calculs iFRAP
La construction a chuté de plus de 500.000 véhicules, à 1,8 million de véhicules contre 2,5 en 2007 et 3,5 millions précédemment et continue de chuter. Les effectifs ont peu baissé, mais ils continuent eux aussi à chuter. PSA est en situation périlleuse, et comme Renault avec Nissan, ne peut compter que sur une alliance avec un constructeur asiatique pour survivre. Mais dans les deux cas, et contrairement aux constructeurs américains, cela se traduit soit par des délocalisations, soit par des productions nouvelles hors de France. Renault a pu néanmoins passer récemment des accords, mais qui garantissent seulement l'absence de fermeture d'usines à moyen terme en contrepartie d'une hausse du temps de travail. Quant à PSA, une bonne partie de la présidence de Philippe Varin a été absorbée par la fermeture de l'usine d'Aulnay qui n'en finit toujours pas de défrayer la chronique, cependant que d'autres fermetures semblent devoir être envisagées.
La morale de l'histoire et les conditions du « made in France »
Il faut distinguer suivant que l'on évoque la santé des marques, celle des pays constructeurs ou encore celle des marchés. Ici, c'est évidemment des pays qu'il s'agit, puisque le sujet est l'emploi. Or, la France est passée en quelques années du sixième au treizième rang mondial. En Europe, elle est maintenant devancée non seulement par l'Allemagne mais aussi par l'Espagne, et talonnée par le Royaume-Uni. Nous voulons du « made in France » ? Peu importent alors les marques et leurs propriétaires, ce qui compte c'est le lieu de la production. On a vu que les constructeurs étrangers s'étaient installés aux États-Unis, que cette nation exporte pour 51 milliards de dollars par an, il en est de même en Espagne qui exporte 80% de sa production sur la base de marques non espagnoles, et les constructeurs établis au Royaume-Uni ne sont pas britanniques.
Nous avons en France fait l'inverse des autres pays, et en particulier des États-Unis, qui ont restructuré fortement, voire violemment, ou encore de l'Espagne qui a baissé fortement aussi ses coûts de production. Laissons de côté le cas de l'Allemagne, dont les coûts de production interne sont très élevés mais qui profite du renom exceptionnel de ses marques et fait d'ailleurs produire en dehors de ses frontières. L'industrie automobile allemande ne saurait pour ces raisons être un modèle pour l'industrie française, qui doit plutôt regarder du côté des autres pays que nous avons cités. Après tout, le renom des marques françaises n'est pas inférieur à celui des marques américaines, espagnoles ou autres. Mais on ne sait pas les fabriquer en France, faute d'avoir restructuré suffisamment, fermé les usines excédentaires et baissé les coûts de production. Alors nos marques se tournent vers la construction à l'étranger pour assurer leur croissance ou seulement leur survie, et les marques étrangères ne viennent pas s'établir en France, sauf de façon confidentielle (Toyota avec la Yaris, Daimler avec la Smart Fortwo), alors qu'elles sont établies dans les autres pays comme on l'a vu.
La France a donc mené une politique de maintien à tout prix des structures et de l'emploi existants, mais cette politique, si elle a pu un temps minorer les conséquences de la crise, se retourne maintenant contre elle, comme le montrent les graphiques ci-dessus. Il faut urgemment changer cette politique, savoir fermer les usines, avoir des entreprises bénéficiaires et attirer les capitaux. Or, on en est très loin, avec des accords sociaux dont le seul objectif, comme celui de Renault, est de maintenir coûte que coûte les usines existantes, avec les syndicats français qui n'ont de cesse de s'opposer à toute réforme du travail, à tout licenciement (pourtant compensé par des indemnités exorbitantes) ou à toute diminution des fameux « droits acquis », et de dénoncer le capitalisme prétendument prédateur. Peut-on imaginer un syndicat français se féliciter comme l'UAW américain, d'avoir par sa modération permis de garantir « de solides bénéfices aux employeurs » ?!
Il reste vraiment beaucoup à faire – bien au-delà de la baisse des charges patronales - pour que les mentalités changent, condition essentielle pour que la lutte pour l'emploi, priorité du gouvernement, soit finalement victorieuse.
[1] Parution du 13 janvier 2014