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Le financement de l'APA par les contribuables n'est pas justifié

Une prestation ambivalente : aide sociale et couverture du cinquième risque

L'allocation personnalisée d'autonomie (APA) est, avec le RMI devenu le RSA, l'une des principales prestations sociales financées par les départements, donc par les contribuables. Soit l'APA est une véritable aide, ce qu'elle est censée être, et elle est alors conditionnée par l'absence de ressources, soit il s'agit de la couverture d'un risque, en l'occurrence celui de la dépendance, et, comme toute prestation de sécurité sociale, on doit y affecter des ressources sous forme de cotisations. Décryptage.

L'APA a remplacé en 2002 la Prestation Spécifique de Dépendance (PSD), et consiste en une allocation versée à des personnes âgées de 60 ans et plus qui ont perdu leur autonomie et nécessitent des soins, soit en établissement, soit à domicile. Cette allocation est mensuelle et varie actuellement entre 524 et 1224 euros suivant le degré de perte d'autonomie de la personne. Son coût pour les départements a très fortement augmenté depuis 2002, en particulier en raison du nombre de bénéficiaires qui est passé de 156.000 début 2002 à 865.000 fin 2004 pour atteindre 1.136.000 fin 2009. Pour 2009, le coût budgété pour l'ensemble des départements était de 5,25 milliards d'euros (83 € par habitant).

L'augmentation considérable pour les départements de la charge des aides sociales provoque des tensions budgétaires alarmantes, qui ont justifié la commande par le gouvernement d'un rapport sur les finances des départements, rapport confié à Pierre Jamet et remis le 20 avril dernier. En ce qui concerne l'APA, le rapporteur critique, outre une absence de compensation suffisante par l'Etat des coûts sans cesse plus importants de l'aide, une gestion disparate entre les départements et non maîtrisée, notamment du fait de l'individualisation des prestations conduisant à des inégalités de traitement. D'autres recherches, dont le rapport Jamet ne s'est pas fait l'écho, ont même abouti à la conclusion que 10 à 15% des prestations seraient indues, voire versées dans certains cas à des personnes décédées.

Des prestations sociales qui ne sont pas justifiées lorsqu'elles sont non contributives

Ce n'est toutefois pas sur ce sujet de la gestion que nous voulons ici insister, mais sur celui de l'envolée de prestations que nous estimons injustifiées dans leur principe. L'APA n'est pas, contrairement à la plupart des autres aides sociales, conditionnée par l'absence de ressources suffisantes de la part du bénéficiaire. Le critère d'attribution de l'APA est en effet essentiellement fondé sur le degré de perte d'autonomie, et il est seulement prévu que l'on tienne compte de ces ressources pour déterminer le montant du ticket modérateur demandé au bénéficiaire. Or la PSD, dont l'APA a pris la suite en 2002, prévoyait une récupération des aides versées sur la succession du bénéficiaire à son décès, lorsque le montant de cette succession le permettait. Cette disposition n'a pas été conservée avec l'APA. Toutefois, certains sénateurs se sont émus de l'envolée des dépenses et ont voulu fin 2007 rétablir la récupération sur succession. Ils ont introduit à cet effet dans la loi de finances un amendement qui a été voté par le Sénat. Cette initiative a immédiatement provoqué un tollé de la part des organismes de retraite, et la disposition a été annulée par le Parlement.

L'argument des organismes de retraite reposait sur ce qu'ils estimaient être un « non-sens », à savoir que la récupération sur succession transformait « un dispositif d'accompagnement de la perte d'autonomie en une aide sociale ». Cet argument n'est pas recevable. Soit l'APA est une véritable aide, ce qu'elle est censée être, et elle est alors conditionnée par l'absence de ressources, soit il s'agit de la couverture d'un risque, en l'occurrence celui de la dépendance, et, comme toute prestation de sécurité sociale, on doit y affecter des ressources sous forme de cotisations.
En l'espèce, le risque n'est couvert par aucune cotisation versée par les bénéficiaires et aucune récupération de l'avance versée par l'Etat n'étant prévue sur la succession des personnes solvables, la couverture est en fait assurée par l'Etat, c'est-à-dire par l'ensemble des contribuables, c'est-à-dire encore qu'elle se traduit à l'époque actuelle par une augmentation du déficit public et donc de la dette souveraine.

Une aide déresponsabilisante qui augmente indûment la dette publique

Nous avons ici un exemple détestable du fameux « toujours plus » sans aucun souci du contrôle des dépenses publiques. Car enfin cette APA n'est que la substitution de l'Etat à l'obligation alimentaire qui pèse sur les familles, et il serait parfaitement justifié qu'en admettant que l'Etat veuille en quelque sorte faire dans un but humanitaire l'avance de frais liés au troisième âge, il puisse les récupérer sur la succession dans la mesure où celle-ci le permet [1]. Au lieu de cela, en quelques années on vient non seulement d'augmenter considérablement la dette publique jusqu'à asphyxier les départements qui ont la charge de l'aide, mais en outre on s'en interdit le recouvrement.

Aide sociale sous condition de ressources, ou couverture d'un risque, il faut choisir. La solution actuelle est la pire, et elle vient conforter l'illusion des Français quant à la société d'assistance à laquelle ils ne cessent de demander davantage de façon inconséquente. Il est question, d'après les annonces du chef de l'Etat, de mettre en place une véritable couverture du « cinquième risque », celui de dépendance. Espérons que cette initiative, si toutefois elle peut voir le jour dans les circonstances actuelles, sera l'occasion de remettre de l'ordre. Mais les Français doivent s'attendre à en payer directement le prix par une augmentation de leurs cotisations, et non par une assistance déresponsabilisante demandée à un Etat exsangue.

[1] D'autant plus que la récupération sur succession n'est pas exceptionnelle, l'allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA, ex-minimum vieillesse) est récupérable sur les successions au-delà de 39 000 euros.