Le financement de la protection sociale est à revoir...
Sur la question du financement de la protection sociale, le dernier rapport de la Cour des comptes reste à la surface des choses, se contentant de relever que les systèmes reposent sur des « impôts souvent très proches », la France et l'Allemagne « partageant un niveau de protection sociale élevé dont le financement repose largement sur les cotisations sociales ».
Les différences sont en réalité importantes, la France pratiquant le système dit « bismarckien » (reposant sur les cotisations sociales et non sur une imposition universelle) de façon bien plus importante que le pays dans lequel ce système est né, et ce avec des conséquences qui ne sont pas favorables à la France.
La Cour des comptes a établi un tableau montrant, à partir de salaires bruts identiques, ce qui reste en net après cotisations salariales et impôts, et aboutit à la conclusion que le solde est plus important pour le salarié français. Ce calcul est exact mais économiquement trompeur, car ce qui est important c'est la comparaison entre le coût du travail, qui inclut les cotisations patronales, et le revenu net après impôt : le salaire brut n'est ni ce que paye l'employeur, ni ce que reçoit le salarié. Et là, en raison de la différence considérable entre les cotisations patronales dans les deux pays, la comparaison est nettement en défaveur du salarié français. A coût de travail identique, le solde net est en effet généralement inférieur de 6 à 8% pour ce dernier. L'OCDE a chiffré le salaire moyen à 40.929 € en Allemagne et 33.065 € en France ; la Cour le signale, mais ne calcule pas, combien il reste en net au salarié. Or ce calcul, à partir des données de la Cour des comptes, montre que dans les deux cas le coût du travail est quasiment identique, mais que le solde net, tous impôts et cotisations payés, est supérieur de 7,8% en Allemagne, malgré des impôts sur le revenu nettement plus importants.
Ceci est loin d'être négligeable en soi, et entraîne en outre toute une série de conséquences. La France est contrainte de procéder à des exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires, ce qui lui coûte cher, et se traduit aussi par un phénomène d'écrasement des salaires. Ces exonérations ainsi que la forte progressivité des cotisations françaises, alors qu'elles sont dégressives en Allemagne, incitent les employeurs à pratiquer des bas salaires (la « trappe à bas salaires » souvent dénoncée). Quant aux titulaires français de revenus moyens, ils sont à juste titre découragés par l'augmentation de la fiscalité au fur et à mesure qu'ils montent dans la hiérarchie.
La Cour des comptes se borne à signaler la hauteur des cotisations françaises, mais sans plus.
Or c'est une question centrale, qui devrait être réglée en France d'abord par une modération des dépenses de protection sociale, qui au contraire augmentent, et aussi par la recherche d'autres modes de financement. La Cour suggère à ce propos de remonter les taux réduits de TVA (une forme de TVA sociale), qui portent sur les biens de première nécessité ou sont justifiés par des motifs d'aide à l'emploi. C'est plus que contestable, et d'ailleurs surprenant venant d'une institution dirigée par un socialiste.
La solution allemande d'une augmentation de l'impôt sur le revenu, dont le rendement est extrêmement bas en France, n'est pas préconisée par la Cour, ni d'ailleurs par le gouvernement. Cette solution gêne probablement tout le monde du point de vue politique. Il faudrait cependant à la fois supprimer certaines niches fiscales (les investissements dans les DOM-TOM notamment), et élargir l'assiette en faisant davantage participer les bas revenus. A ce propos la préconisation de Thomas Piketty qui augmente le taux de l'IR pour les plus riches en la diminuant pour les plus pauvres, n'est pas recevable, car elle fait reposer le rendement de l'IR sur une base encore plus étroite. De plus, elle ne ferait qu'accentuer le phénomène fâcheux d'écrasement des salaires que nous avons signalé, en pénalisant encore plus les revenus moyens supérieurs.