Le contrat de travail unique, une piste à explorer
Le contrat de travail unique, serpent de mer de la vie politique française (Nicolas Sarkozy l'a proposé en 2007, François Bayrou en 2012), aurait-il repris vigueur avec les recommandations de la Commission européenne qui conseillait dans son dernier rapport sur la France de réduire la segmentation du marché du travail ? Il s'agirait, au lieu d'avoir un marché du travail très marqué par la division entre CDD (Contrat à Durée Déterminé) et CDI (Contrat à Durée Indéterminée) qui précarise les titulaires du premier et surprotège les seconds, d'instituer un Contrat de Travail Unique (CTU) permettant de faire fusionner CDI et CDD en un seul contrat sans référence de durée. Le CTU aurait également pour avantage de clarifier un droit du travail fort complexe, qui ne contient pas moins de 38 formes de contrat de travail. Les derniers développements laissent peu d'espoir…
La France est championne des pays de l'OCDE en matière de recours aux CDD. C'est ainsi que plus de 77% des embauches se font sous cette forme contre 13.6% au Royaume-Uni ou 26.3% pour l'ensemble des pays industrialisés. Ce sont les 15-24 ans qui sont le plus touchés par le phénomène puisque la moitié des emplois de cette tranche sont des CDD tandis que seul 8% des emplois des actifs des 35-45 ans et 6% de ceux des plus de 45 ans le sont [1]. Ceci s'explique par le fait que, contrairement aux autres pays développés, la France n'a cessé depuis la fin des années 1980 de réglementer de manière de plus en plus rigoureuse le droit du travail, ayant pour effet de rendre le licenciement d'un employé en CDI, très long, très coûteux et ayant de grandes chances de finir devant les prud'hommes (plus de 25% des licenciements économiques se retrouvent ainsi devant un tribunal prudhommal). Face à ces multiples difficultés, les entreprises préfèrent multiplier les CDD plutôt qu'embaucher en CDI un employé qui convient parfaitement sous peine d'avoir toutes les difficultés à s'en séparer si nécessaire. Cette précarisation de l'emploi via le très fort recours aux CDD tend à exclure socialement les employés en contrat temporaire en les excluant de fait du recours au crédit ou en rendant très difficile leur accès au logement.
Par ailleurs, la législation très sévère du travail n'atteint pas son but puisqu'elle ne protège ni les emplois comme le montre le taux de chômage (2,75 millions de chômeurs en juin 2012 d'après l'Insee) ni les personnes en emploi. On constate en effet que, face aux lourdeurs que doivent affronter les entreprises qui souhaitent recourir aux licenciements économiques (délais, coût, intervention de l'État via l'inspection du travail), elles préfèrent avoir recours aux licenciements par voie de rupture conventionnelle (entre 20 000 et 40 000 par mois depuis 2008), bien moins protecteurs pour le salarié. Les salariés les plus qualifiés, souvent plus au courant des nuances du droit du travail, vont avoir tendance à accepter ce mode de rupture de contrat et obtenir des indemnités très élevées contre l'abandon de tout recours. Ainsi, le Code du travail, loin de seulement laisser les plus fragiles expérimenter des formes de travail précaire, induit également une division à l'intérieur des CDI, entre les mieux informés et les autres. Le Code du travail qui se veut pourtant protecteur a donc tendance à renforcer l'extrême segmentation du marché du travail français. Employés et employeurs sont donc les grands perdants de la législation française, les uns se sentant confrontés à l'arbitraire des patrons, les autres devant agir aux marges du droit pour pallier la rigidité des textes législatifs. Il est donc souhaitable de sortir du système dual CDD/CDI pour en mettre en place un plus harmonieux.
Historique du CTU
De nombreux rapports ont mis en avant les dysfonctionnements de la réglementation du travail tant en ce qui concerne les employés que les entreprises. Chacun d'entre eux a tenté de définir des pistes pour améliorer le fonctionnement du marché du travail [2]. Le rapport de Pierre Cahuc et Francis Kramarz [3] a constitué une réflexion élaborée du CTU, lequel serait un CDI sans limitation de durée reposant sur un système donnant-donnant qui assurerait une législation plus souple en matière de licenciement, tout en permettant au salarié un meilleur accompagnement dans sa reprise d'emploi :
Les exigences juridiques pesant sur les entreprises en matière de licenciement seraient allégées. Il ne serait en effet plus obligatoire en cas de licenciement économique de reclasser dans la mesure du possible de manière interne ou externe l'employé licencié. Le juge ne pourrait plus contrôler le motif de licenciement.
En contrepartie, les employés licenciés toucheraient une indemnité égale à 10% de l'ensemble des rémunérations perçues par le salarié. Elle serait au moins équivalente à la prime de précarité touchée à la fin d'un CDD. Le préavis de licenciement devrait être proportionnel à la durée du contrat écoulé. Le salarié, grâce à un fonds de reclassement abondé par l'employeur à hauteur de 1% des salaires versés, se verrait offrir l'assurance d'un accompagnement personnalisé et d'un revenu de remplacement en cas de perte d'emploi.
Le CTU aurait donc plusieurs mérites : celui de simplifier le Code du travail, de fluidifier un marché du travail divisé entre travailleurs précaires et travailleurs stables et enfin d'assurer au mieux l'avenir professionnel du salarié licencié.
Nicolas Sarkozy a tenté de reprendre l'idée des deux chercheurs, mais la tentative a vite tourné court, en particulier parce qu'elle s'est heurtée à des problèmes juridiques touchant au contrôle du motif de licenciement par les juges. Les syndicats étaient vent debout contre une modification aboutissant à faciliter les licenciements, tandis que le patronat aurait perdu la facilité qu'offre le CDD, qui reste, malgré ses inconvénients, le seul contrat ne donnant quasiment jamais lieu à contentieux.
En juin 2011, l'Association nationale des DRH (ANDRH) reprend l'idée du CTU dans une proposition elle aussi mort-née dans la mesure où elle se heurtait au même problème du contrôle des licenciements. L'ANDRH proposait que l'on reconnaisse trois causes de licenciement : la faute du salarié, la rupture conventionnelle et la fin de l'activité pour laquelle le salarié avait été embauché. Système qui ne pouvait pas convenir, car d'une part il limitait le motif individuel à la faute du salarié, alors que d'autres causes comme l'incompétence doivent être reconnues, et d'autre part parce qu'il refusait toute possibilité de juger de la cause économique, actuellement enserrée dans un carcan légal extrêmement –beaucoup trop certainement- exigeant : c'était passer d'un extrême à l'autre.
Lors de la conférence sociale des 9 et 10 juillet derniers, les partenaires sociaux paraissent avoir renoncé à résoudre cette quadrature du cercle que constitue un CTU dont les règles seraient admissibles par tous. François Hollande, dans son discours d'ouverture, a bien appelé à une « réflexion » sur le contrat de travail, mais sans aucunement indiquer ce qu'il entendait par là. Quant au Medef, Laurence Parisot est restée silencieuse sur le sujet du CTU. Le Medef a plutôt évoqué son souhait de l'institution d'une rupture conventionnelle collective à l'image de la rupture conventionnelle individuelle, et que soit débattu la question de la flexibilité du temps de travail, sujet qui faisait partie de la négociation instaurée au début de l'année par le gouvernement précédent et abandonnée depuis. Mais comme l'a indiqué la CGT, les syndicats estiment que l'heure est moins que jamais à la facilitation des licenciements. Bien au contraire une partie des socialistes et des syndicats tentent de durcir la loi en faisant appel à la notion de « licenciement boursier ». La restructuration chez PSA démontre l'inanité de cette prétention, comme l'a relevé François Chérèque pour la CFDT, et d'ailleurs le chef de l'État a indiqué que la loi actuelle lui semblait suffisante pour bloquer les licenciements économiques injustifiés.
Comment progresser ?
De ce que nous venons de voir, il apparaît assez clairement que la piste du CTU est pour le moment et pour longtemps encore abandonnée. Il faut bien voir cependant que le statu quo n'est acceptable pour le patronat (y compris d'ailleurs l'État-patron) que par l'utilisation qu'il peut faire du CDD dans des conditions souvent en marge de la loi. Or le programme socialiste prévoit un durcissement du CDD et le renchérissement de son utilisation. C'est là que va se situer le débat le plus difficile et le plus vital pour les entreprises.
Mais il faudra bien, et ce le plus tôt possible, reprendre la discussion. Même si le CTU est une voie difficile, il est nécessaire de revoir notamment les règles d'indemnisation, et tenter de réduire le prix des licenciements en unifiant le montant des indemnités qu'il s'agisse d'un licenciement pour un motif économique ou personnel. On peut également, en cas de non-respect de la procédure de licenciement, plafonner les indemnités. Ceci aurait pour effet de limiter l'attrait d'un contentieux et de ne pas remplacer les faiblesses de l'assurance chômage par le recours au juge. Une telle proposition va dans le sens d'une des réformes proposées par la Fondation iFRAP dans 100 jours pour réformer la France qui préconisait de supprimer les dommages-intérêts forfaitaires au profit des salariés.
Le chemin est très malaisé, et le restera aussi longtemps que les syndicats se refuseront à considérer que l'insuffisance d'embauches tient pour beaucoup à la frilosité des employeurs qui savent que, dans les règles actuelles, les licenciements économiques ne sont autorisés que si leur entreprise est déjà au bord du dépôt de bilan.
[1] Insee 2011.
[2] Citons le rapport de Jean Boissonnat en 1995 qui propose la mise en place du contrat d'activité (c'est un dispositif qui limite les risques associés à un perte d'emploi tout en mutualisant les coûts de reconversion des travailleurs entre quelques employeurs. Pensons également au rapport de Michel de Virville en 2004 qui souligne que le Code du travail français est inadapté en étant à la fois trop rigide et source d'insécurité juridique pour les entreprises et les salariés.
[3] De la précarité à la mobilité professionnelle : vers une Sécurité sociale professionnelle. Rapport au ministre de l'Économie, des Fiances et de l'Industrie et au ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale. Pierre Cahuc et Francis Kramarz, publié le 6 décembre 2004.