La Start-up Nation : un colosse aux pieds d’argile ?
Emmanuel Macron avait fait du développement d’une « Start-up Nation » un axe fort de son premier mandat. D’ailleurs, il avait déclaré en 2021 : « Nous sommes depuis deux ans la première nation européenne du numérique et de la technologie. Nous devons donc continuer d’investir et encourager ces initiatives qui ont créé plus de 160 000 emplois. » (Scale Up Europe, juin 2021). La France réussit effectivement à hisser de plus en plus d’entreprises parmi le club fermé des licornes, ces entreprises valorisées à plus d’1 milliard $. Alors que la reconquête de notre souveraineté économique passe par des entreprises fortes capables de maîtriser les technologies de demain, de créer des emplois et de conquérir des marchés, tout l’enjeu est d’encourager l’investissement dans ces entreprises, tout particulièrement au stade le plus risqué, l’amorçage. Les chiffres nous montrent qu’il faut aller plus loin.
Un record de nouvelles immatriculations mais les entreprises nouvelles ne créent pas assez d’emplois
En 2020, et malgré la crise sanitaire et économique, la France avait battu un record de création d’entreprises, avec près d’un million de nouvelles immatriculations. Pour l'ensemble de l'année 2021, le nombre de créations d’entreprises s'est élevé à 995.868, en augmentation de 17,4% par rapport à 2020, établissant un nouveau record historique.
Contrairement à 2020, où les créations de micro-entreprises contribuaient exclusivement à la hausse, les créations de sociétés portent également les statistiques vers le haut en 2021. Les effets du confinement, de l’essor de la vente en ligne ou encore des restructurations d’entreprises face à la crise ont contribué à cette progression spectaculaire. Des mesures de simplification et de relèvement du régime de la micro-entreprise ont aussi boosté la création d’entreprises.
Seule ombre au tableau, en 2021, comme pour les années précédentes, une infime minorité d’entreprises sont employeuses dès la création : 2 % des nouvelles entreprises emploient au moins un salarié au moment de leur création selon l’INSEE. En excluant les micro-entrepreneurs, la part des entreprises employeuses à la création est de 6 %. Les entreprises employeuses au moment de leur création en 2021 démarrent leur activité avec 2,9 salariés en moyenne, contre 3,0 en 2020.
Créations d'entreprise (en milliers) par statut
| 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 |
---|---|---|---|---|---|
Micro entreprises | 314 | 400 | 502 | 548 | 641 |
Entreprises individuelles | 79 | 90 | 95 | 82 | 83 |
Sociétés | 198 | 201 | 218 | 218 | 272 |
Source : Insee
Quid de la Start-up Nation ?
L'expression reste accolée à la présidence d'Emmanuel Macron qui s'est rendu très rapidement après son élection au Salon Vivatech. Une Start-Up Nation c'est un pays capable de produire des entreprises à forte croissance, qui pourront devenir en quelques années des licornes, c'est-à-dire représentant une capitalisation de plus d'1 milliard de dollars, entièrement financées par des capitaux privés, non cotées sur des marchés financiers. Ces entreprises ont vocation à irriguer tout le territoire en richesses et en emplois selon les mots du Président de la République.
La France occupe une place honorable en matière de création d'entreprises à forte croissance (entreprises dont la croissance annuelle moyenne est supérieure à 20 % par an, sur une période de trois ans) : elles représentent 11,6 % des entreprises actives d'au moins 10 employés. C'est au niveau de la création d'emplois que la France accuse du retard : ces entreprises à forte croissance représentent 9,8 % de l'emploi total des entreprises actives de plus de 10 salariés, mais déjà 13,7 % en Allemagne et 21,54 % au Royaume-Uni (source Eurostat, chiffres 2018). Les entreprises françaises ont donc des difficultés à se développer.
Les start-up qui se développent ne représentent qu'une infime fraction de toutes les start-up. Cependant, c'est la croissance rapide d'un petit nombre de start-up très performantes qui est à l'origine de la création globale d'emplois. On comprend alors que l’économie française a besoin qu’un plus grand nombre de ces start-up qui prennent le chemin des Licornes à même de stimuler la création d’emplois. Mais, ces projets de rupture nécessitent de grands volumes d’investissement privé, français ou étranger.
Aux États-Unis, les start-up bénéficient en moyenne de 8,3 fois plus de financement à l’amorçage grâce à l’abondance des fonds privés. Cela se traduit au bout de 10 ans par un nombre moyen de salariés par start-up doublé comparativement aux start-up européennes. L'accès aux financements est donc la clé.
Levées de fonds ? Investissements en capital-risque ? Où en est la France
Selon le baromètre du capital risque EY, en 2021, 11,6 milliards ont été levés pour 784 opérations. Si on se compare au niveau européen, le Royaume-Uni reste largement en tête avec 32,4 milliards d’euros de fonds levés dont 15,36 Mds $ dédiés aux opérations de capital-risque. La France qui ambitionnait de prendre la 2e place reste derrière l’Allemagne, se fait dépasser : l’Allemagne totalise 16,21 Mds $ dont 7,18 Mds $ dédiés au capital-risque. Et la France avec 11,57 Mds $ dont 6,60 Mds $ pour le capital-risque, arrive devant les Pays-Bas et la Suède. Malgré la crise de 2020, l’écosystème financier des start-up a donc plutôt bien résisté.
Autre signe, la France compte plus d’une vingtaine de licornes (26 selon les derniers chiffres) alors qu’elle n’en comptait que 3 en 2017. Les licornes, ce sont des entreprises représentant une capitalisation de plus d'1 milliard de dollars. On compte parmi ces fleurons du digital : Doctolib, Backmarket, ManoMano ou Blablacar pour les noms les plus connus du grand public. Des start-up plus exotiques figurent aussi sur cette liste comme Sorare qui a réalisé la plus grosse levée de fonds en 2021 avec 580 millions levés pour l’entreprise spécialisée en cartes NFT dans le monde du football.
Cependant, il y a quelques nuances. Selon le site Eldorado.com, derrière la solidité des investisseurs et des licornes françaises, l’étude de la répartition des tours de table en 2020 montre que les tours de table d'amorçage (seed) sont ceux qui ont le plus reculé (-21%). D'après Eurazeo, le nombre de tours de table en amorçage était stable en 2021 (227 opérations contre 230 en 2020) mais les montants collectés à ce stade d'investissement ont baissé : 326 millions en 2021, contre 381 millions l'année précédente.
Même les chiffres de Bpifrance présenté comme un investisseur actif sur le segment de l’amorçage restent modestes : l’opérateur public qui a financé, via son activité Digital Venture, 113 jeunes pousses françaises en amorçage, série A et B dont près de 30 % des montants ont été alloués aux deeptechs, représente 720 millions d'actifs sous gestion, pour une activité lancée en 2011. Cependant, en dix ans, BpifranceDigital Venture a cédé 21 participations pour une valeur totale de 1,9 milliard d'euros.
L’insuffisance des chiffres en matière de financement en amorçage constitue donc une menace pour le développement futur de nouvelles licornes. L'ambiance favorable doit par ailleurs tenir dans un contexte financier qui s’annonce plus agité pour les prochains mois (remontée des taux, sevrage des liquidités de la BCE, croissance économique à l’arrêt, volatilité des marchés actions, etc.)
Dans ce contexte, nos dispositifs d’incitation doivent impérativement soutenir un environnement favorable à l'amorçage pour consolider le secteur. En 2014, l’iFRAP aspirait à un objectif de 4 milliards € par an en investissement privé en amorçage. Nous devons faire encore davantage. Dans notre étude "Doubler l'épargne fléchée vers la création d'entreprises", nous rappelions l'importance d'une fiscalité sur les investissements et la plus-value qui doit permettre le réinvestissement de l’épargne dans l'économie à risque. La Fondation iFRAP propose trois mesures pour favoriser les Business Angels : renforcer la mesure IR-PME en portant la réduction à 30 %, mettre en place une franchise d'imposition des plus-values jusqu'à 10 millions d'€ et un IFI-PME sur le modèle de l'ISF-PME.