La solution pour éviter les licenciements : l'accord de performance collective
La crise du Covid-19 a mis nombre d’entreprises à rude épreuve. Au total, entre mars et mi-septembre, on compte près de 52 000 licenciements annoncés dans les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) en France… et la moitié de ces suppressions de postes reposent seulement sur 13 entreprises. La crise a aggravé des difficultés déjà inhérentes à certains marchés très compétitifs (aviation, automobile, pneumatique, etc.). Si on met le projecteur sur les entreprises qui licencient, on parle peu des entreprises qui font tout pour préserver l'emploi en signant des accords de performance collective. Il faudrait pourtant les montrer en exemple.
Le 10 juin 2020 à la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire faisait référence à la destruction d’environ 800.000 emplois « dans les prochains mois »[1]. Le premier semestre a déjà été marqué par une hécatombe de 700.000 emplois[2]. Le gouvernement grâce au chômage partiel a permis d’absorber temporairement une masse de travailleurs en sous-emploi qui se chiffre par autour de 4,5 millions selon la DARES, mais ce dispositif temporaire est insuffisant pour sauver les entreprises sur le long terme (et les emplois qui vont avec). Pour éviter les faillites en chaîne, la clé réside dans la modulation et la flexibilité interne de l’entreprise en laissant la possibilité d’adapter le nombre d’heures travaillées et la rémunération. Mais peu d’outils sont à la disposition des entreprises sur ce sujet.
13 entreprises concentrent la moitié des licenciements annoncés… pour l’instant
Le rapport de la DARES fourni ce 20 août, relate l’évolution du nombre de PSE menés entre début mars et mi-août. On constate deux pics en juillet, précédés d’un premier accroissement début juin (2448 postes en voie de suppression). Début juillet, en effet, Airbus[3] annonce la suppression de 5.000 postes en France, et Air France 7.580[4] à une journée d’écart. Sur la période complète, environ 49.000 postes sont en voie de suppression via des PSE.
Sources : DARES[5] et estimation de l’auteur (*) avec les annonces de GE, Auchan, SKF et Bridgestone les 9 et 16 septembre. Il faut lire les dates comme les semaines débutant par ce jour.
L’étude de la DARES s’achève au début du mois d’août, mais entre le 9 et le 16 septembre, 4 nouvelles entreprises ont entamé des procédures de sauvegarde : l’américain General Electric Energy[6] Hydro Solutions (89 postes à Belfort) et Grid Solutions (675 postes), le leader suédois du roulement automatique SKF Aerospace[7] (123 postes à Lons-le-Saunier), Auchan[8] (1475 postes), et le très polémique champion japonais de la pneumatique Bridgestone[9] (863 postes à Béthune).
Ce qui rajoute 3.225 suppressions de postes en l’espace d’une semaine – les portant donc au moins à 52 000 en cumulé. Les plans de sauvegarde se font ainsi remarquer par leur volume : sur la même période en 2019, il y avait 3 fois moins de destructions de postes prévues (17.121). Mais une autre caractéristique est la concentration des plans de sauvegarde autour d’assez peu d’entreprises. 13 entreprises[10] seulement permettent de recenser 23.625 suppressions de postes, soit un peu moins de la moitié du total.
Des accords de performance collective sous exploités
En cas de difficultés majeures, les entreprises ont recours à des dispositifs de suivi des restructurations : les PSE lorsqu’une entreprise de 50 salariés ou plus envisage de licencier au moins 10 employés sur une période de 30 jours ; et les « petits » licenciements collectifs économiques, signalés depuis le 1er janvier 2020 pour les entreprises de moins de 50 salariés licenciant au moins 10 salariés, ou entre 2 et 9 (c’est le cas de 90% de ces 2.721 procédures conduites entre mars et août7).
Eviter les PSE, c'est l’objectif des Accords de Performance Collective (APC) créés en 2017, ces accords permettent de baisser avec l'accord de syndicats représentant 50% des salariés les rémunérations (suppression du 13ème mois, de primes, réduction du nombre de jours de RTT...). Un accord de ce type avait été proposé il y a deux ans aux salariés de Bridgestone avec des investissements à la clé mais ce plan avait été rejeté par les syndicats... Maintenant, Bridgestone annonce 863 licenciements ce qui n'aurait peut-être pas été le cas si l'APC avait été signé à l'époque. Les rapports de France Stratégie sur les ordonnances de 2017 affirment que 371 APC ont été conclus entre janvier 2018 et juin 2020, dont 145 portants sur l’aménagement du temps de travail. Fin juillet, 4 ont été conclus dans des entreprises de moins de 500 salariés[11].
Heureuseument, d'autres entreprises comme Valeo, Derichebourg, Lisi, ADP ont réussi à signer avec leurs syndicats des accords de performance collective durant la crise du Covid-19. Mais d'autres ont été bloqués pour l'instant par les syndicats comme à L'Equipe au pretexte que la proposition de rendre seize jours de RTT (sur vingt-deux) et d'accepter une baisse d’environ 10 % de salaire n'est pas acceptable. Au risque d'entraîner des suppressions de postes. Il est temps de permettre aux entreprises de consulter sur ces sujets directement les salariés par référendum sans être bloqués par les syndicats. On comprend ici que le chômage partiel de longue durée a la préférence de nombreux syndicats. C'est dommage car les APC protègent plus, à moyen et long terme, la pérennité de l'emploi que le chômage partiel. Des TPE et PME de la plasturgie se sont d'ailleurs mobilisées pour signer une cinquantaine d’accords grâce au syndicat Plastalliance fin juillet, avec un bilan plutôt positif [13].
Le 12 août, le Ministère du Travail a redéfini les trois domaines que traitaient les APC : l’aménagement de la durée du travail, de la rémunération, et des conditions de la mobilité professionnelle ou géographique dans l’entreprise[12]. Il aurait pu en profiter pour déverrouiller le dispositif. En Allemagne, le modèle du syndicat-maison permet de faciliter la mise en place de tels aménagements. Fin août, le syndicat de la métallurgie IG Metall a ainsi lancé l’idée de la semaine de 4 jours, mesure bien accueillie par Hubertus Heil, ministre social-démocrate du Travail. A cette mesure s’adjoindrait une compensation pour les salariés pour limiter la perte de pouvoir d’achat. Dans un sondage Yougov publié le 19 août, 60% des Allemands se montraient en faveur de cette mesure. Au début des années 1990, Volkswagen avait ainsi sauvé 30.000 emplois menacés grâce à une telle mesure associée à une réduction de 10% du salaire.[14]
Côté français, un début de solution serait de permettre que les accords (sur le temps de travail, sur les majorations d’heures supplémentaires - pour passer à 10% -, sur les baisses de primes et/ou de salaires, sur les réductions de RTT) dans nos entreprises, dans les deux ans qui viennent, puissent être signés (comme dans les TPE de moins de 10 salariés) suite à un référendum organisé dans l’entreprise à l’initiative de l’employeur et soit signé si plus de 50 % des salariés votent oui, et quelle que soit la taille de l’entreprise.
[1] « Emploi : versla suppression de 800 000 postes ces prochains mois, selon Le Maire », Le Parisien, 10/06/2020, https://www.leparisien.fr/economie/emploi-vers-la-suppression-de-800-000-postes-ces-prochains-mois-selon-le-maire-10-06-2020-8333100.php
[2] « Point de conjoncture du 8 septembre », Insee, 08/09/2020, https://insee.fr/fr/statistiques/4653862?sommaire=4473296
[3] « Plan de restructuration chez Airbus : 3.378 postes vont être supprimés à Toulouse », France bleu, 02/07/2020, https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/airbus-les-annonces-pour-toulouse-et-sa-region-1593679680
[4] « Renault, Airbus… voici les entreprises qui ont déjà annoncé un plan social en France depuis le début de la crise », Businessinsider, 07/07/2020, https://www.businessinsider.fr/renault-airbus-voici-les-entreprises-qui-ont-deja-annonce-un-plan-social-en-france-depuis-le-debut-de-la-crise-184910#air-france-veut-supprimer-7-580-emplois-dont-1-020-chez-hop
[5] « Tableau de bord – Situations sur le marché du travail durant la crise sanitaire », DARES, 20/08/2020, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_tdb_marche-travail_crise-sanitaire_20-08.pdf
[6] « General Electric : fermeture de la branche hydro à Belfort, 80 emplois concernés », France bleu, 09/09/2020, https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/general-electric-fermeture-de-la-branche-hydro-a-belfort-89-emplois-concernes-1599646408
[7] « SKF prévoit de supprimer 123 postes dans son usine de Lons-le-Saunier », France bleu, 16/09/2020, https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/skf-prevoit-de-supprimer-123-postes-dans-son-usine-de-lons-le-saunier-1600245518
[8] « Suppressions de postes chez Auchan : il y avait d’autres solutions objecte la CFDT », Le Parisien, 09/09/2020, https://www.leparisien.fr/economie/emploi/suppressions-de-postes-chez-auchan-il-y-avait-d-autres-solutions-objecte-la-cfdt-09-09-2020-8381928.php
[9] « Bridgestone crée le choc en fermant une usine », Le Figaro économie n°23665, 17/09/2020
[10] Boiron, Renault, BFMTV-RMC, Nokia, Sanofi, Airbus, Air France, Technicolor, HSBC France, Aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, GE Energy, Auchan, SKF, Bridgestone par ordre chronologique d’annonce
[11] « Covid-19 : les accords de performance collective commencent à faire peur », Les Echos, 10/09/2020, https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/covid-19-les-accords-de-performance-collective-commencent-a-faire-peur-1241100
[12] « Coronavirus : le ministère du Travail recadre les accords de performance collective », Les Echos, 12/08/2020, https://www.lesechos.fr/economie-france/social/coronavirus-le-ministere-du-travail-recadre-les-accords-de-performance-collective-1231892#:~:text=L'accord%20de%20performance%20collective,acceptent%20pas%20perdent%20leur%20emploi.
[13] « Accord de performance collective : la plasturgie branche la plus active sur les APC », Plastalliance, 30/07/2020, https://www.plastalliance.org/accord-de-performance-collective-la-plasturgie-branche-la-plus-active-sur-les-apc
[14] « Allemagne : la pandémie relance le débat sur la semaine de quatre jours », Ouest-France, 20/08/2020, https://www.ouest-france.fr/economie/allemagne-la-pandemie-relance-le-debat-sur-la-semaine-de-travail-de-quatre-jours-6943140