La RATP et son CRE (comité d'entreprise)
Un audit interne réalisé par l'Inspection générale de la RATP (non publié) montre que l'entreprise « achète » la paix sociale grâce aux moyens qu'elle attribue aux organisations syndicales afin d'assurer la représentation du personnel, et ce par de multiples moyens : subventions aux organes représentatifs, attribution de chèques syndicaux, suivant des pratiques « opaques » et largement dérogatoires par rapport au droit commun… et pour un coût total astronomique : 37 millions d'€ de subventions aux institutions représentatives, dont le Comité d'entreprise (CRE-RATP). Edifiant.
Lorsque l'on regarde les relations sociales et la « grévi-culture » à la RATP, un premier élément peut étonner, le recours à la grève semble régulièrement en baisse, et à cet égard l'année 2009 [1] sera l'année où la conflictualité aura été la plus basse depuis près de 20 ans. En effet, alors que le nombre de préavis de grève avait déjà atteint un minimum historique en 2006 avec « seulement » 173 préavis de grève (plus bas niveau depuis 1990), celui-ci s'est littéralement effondré en 2009 avec 80 préavis… pour 43 mouvements de grève accomplis [2]. Comment expliquer ce phénomène ? Est-ce en raison de la qualité du dialogue social et du dispositif « d'alarme sociale [3] » précoce comme l'énonçait le rapport du sénat sur le projet de loi sur le service minimum dans les transports publics de juillet 2007 [4] ? En réalité, un audit interne [5] réalisé par l'Inspection générale de la RATP (non publié) permet de livrer le pot aux roses : l'entreprise « achète » la paix sociale grâce aux moyens qu'elle attribue aux organisations syndicales afin d'assurer la représentation du personnel, et ce par de multiples moyens : subventions aux organes représentatifs, attribution de chèques syndicaux, suivant des pratiques « opaques » et largement dérogatoires par rapport au droit commun… et pour un coût total astronomique : 37 millions d'€ de subventions aux institutions représentatives, dont 14,4 millions d'€ rien qu'en mesures conventionnelles dérogatoires, chiffre qui grimpe à 17,4 millions, voire 18 millions d'€ si on y ajoute les dettes syndicales non réglées (et non réclamées) vis-à-vis de l'entreprise [6]. Edifiant.
1) Comment la RATP a « acheté » une relative paix sociale :
Tout d'abord, le Comité d'entreprise de la RATP est l'un des mieux dotés de France, après celui de la Poste [7] (et EDF hors concours [8]) avec une subvention de fonctionnement de 0,3% de la masse salariale brute, correspondant à 5,17 millions d'€. Un petit tableau permet de mieux cerner les avantages accordés au comité d'entreprise de la RATP par rapport à d'autres grandes entreprises du secteur public et du secteur privé (hors EDF) :
Entreprises | % subvention de fonctionnement CE/Masse salariale Brute (hors œuvres sociales et culturelles) | Subvention/salarié (en €) | ETP pour les représentants du personnel/1000 salariés |
---|---|---|---|
La Poste | 0,5 | 204 | 3,47 |
RATP | 0,3 | 113 | 13,97 |
SNCF | 0,2 | 59 | 13,72 |
ORANGE (France Télécom) | 0,2 | 90 | 13,55 |
CEA | - | 89 | 0,89 |
ADP | 0,2 | 93 | 5,58 |
AREVA NC | 2 (dont sub aux œuvres) | 101 | 1,67 |
AREVA NP | 0,2 | 69 | 0,61 |
Monnaie de Paris | 0,2 | 100 | 24 |
Moyenne | 0,22 (hors AREVA NC) | 102 | 8,61 |
Source : données des entreprises du panel, GIS/MRS, rapport d'audit RATP |
Si on réintègre la subvention du CE à celle des œuvres sociales et culturelles de la RATP, celle-ci s'élève alors à 3,111% (2,811% pour les œuvres) de la masse salariale brute, soit une subvention totale de 53,66 millions d'€. Par ailleurs, la subvention de fonctionnement par salarié est la seconde plus importante après celle de La Poste avec 113 €/salarié. Et en constante augmentation en raison de la croissance de la masse salariale, +20% en 9 ans, alors que les effectifs eux, n'ont augmenté que de 8%. Une dynamique particulièrement perverse car plus les revendications salariales aboutissent, plus la subvention au CE et aux œuvres croît, indépendamment du nombre d'agents. Enfin, la RATP est l'entreprise publique qui dispose du plus grand nombre de représentants du personnel 13,97‰ salariés, devant la SNCF elle-même !
Il faut dire que les instances représentatives sont pléthoriques : 85 établissements distincts, 10 comités d'établissements (CDEP (comités départementaux économiques et professionnels)), un comité central d'entreprise (comité régie d'entreprise CRE), 15 comités d'hygiène, de sécurité et conditions de travail (CHSCT) ainsi qu'un conseil de prévoyance, ce qui représente 650 représentants élus et 650 délégués syndicaux. A la clé, la mise en place d'un « dispositif dont la générosité et la sophistication sont apparemment sans égal » : les instances représentatives du personnel et les organisations syndicales représentent une dépense totale de 37 millions d'€ auxquels s'ajoutent 46 millions d'€ consacrés aux œuvres sociales. A eux seuls, les 58 représentants syndicaux, les administrateurs salariés (8,5 ETP) et les personnels détachés à temps plein dans les confédérations et les unions syndicales ont coûté 5,7 millions d'€ à l'entreprise. En affinant, le manque à gagner pour la RATP est le suivant : 3,4 millions d'€ au titre des 58 salariés détachés dans les sections syndicales, en vertu des articles 20 et 21 du Protocole d'accord du 20 février 2006 ; 1,3 million d'€ pour les 22 agents détachés au niveau des fédérations et confédérations et non remboursés à l'entreprise (6 l'on été), ainsi que 21 des 72 agents détachés dans les œuvres. Au total, les mesures « conventionnelles » représentent un coût global supplémentaire pour l'entreprise de 14,4 millions d'€ par rapport aux dispositions réglementaires de droit commun (voir le détail au tableau n°2).
- RATP - Coût des dispositions conventionnelles par rapport à la réglementation de droit commun (lien vers PDF)
2) Un équivalent RATP de la « clairance » du contrôle aérien, la « relève » :
Par ailleurs, comme le dénonce le rapport avec une formule éclairante : « en forçant le trait on peut dire que « tout se vend et tout s'achète sur le marché de la relève » ». Qu'est-ce à dire ? Qu'il existe un trafic de chèques syndicaux. Ces chèques sont gérés par les syndicats. En cas d'absence syndicale, l'autorisation d'absence d'un salarié est consommée par la remise à l'employeur d'un chèque syndical qui vaut alors « autorisation d'absence » de son poste. En théorie donc lorsque l'ensemble des chèques alloués sont dépensés, il n'y a plus d'autorisations d'absence pour l'année en cours… Sauf que la pratique à la RATP est totalement dérogatoire par rapport au droit syndical classique, si bien que ce cas de figure n'arrive jamais, explications : Le rapport d'audit nous apprend que les instances représentatives du personnel ont « acheté » en 2009 à la RATP 11.702 jours de relève pour un montant payé de 1,7 million d'€ avec au passage un manque à gagner pour l'entreprise de près de 547.486 € non réglés par les syndicats et que l'entreprise s'est bien gardée de réclamer. Par « acheté » il faut comprendre que les organisations syndicales peuvent régler auprès de la RATP des jours de relève syndicale supplémentaires par rapport aux 132.000 jours qui leur sont conventionnellement attribués (soit un coût net de 24,7 millions d'€). Ces heures sont attribuées sous la forme de chèques demi-journées en fonction de leur audience, que chaque organisation peut utiliser pour ses délégués ou tout autre agent désignés par les syndicats. Mais fort curieusement, des non syndiqués ou non élus peuvent échanger ou acheter des heures de relèves, ce qui revient à faire « payer » ou bénéficier gracieusement d'autorisations d'absence, virtuellement tout salarié de la RATP. Il est donc pratiquement impossible de savoir, comme dans le contrôle aérien, qui est à son poste et qui n'y est pas, ce qui peut occasionner des périodes de sous-effectifs ou des contraintes particulières dans la gestion des personnels.
Par ailleurs la « fongibilité » des chèques syndicaux demi-journées est totale puisqu'ils peuvent servir également à régler des dépenses de fonctionnement (théoriquement réservées aux syndicats) car ils sont « monétisables » (c'est-à-dire convertibles en moyens de paiement). Cette monétisation a représenté près de 814.000 € en 2009, soit une moyenne de 116.000 € par organisation syndicale. Chacune peut d'ailleurs, si elle ne désigne pas tous ses délégués permanents centraux, les « convertir » en crédits d'heures syndicales non utilisées, qui seront à leur tour transformées en chèques demi-journées ! Cette convertibilité dans tous les sens, permet ainsi aux organisations syndicales de se constituer des réserves de chèques demi-journées sous forme de stocks. En effet, les chèques ne sont pas « millésimés », si bien que leur non-consommation une année permet de les utiliser l'année suivante ou plus tard. A l'entreprise de s'adapter. On estime à 20% les dotations annuelles des organisations syndicales qui ne sont pas consommées ce qui devrait représenter l'équivalent de 26.400 jours. Cela permet ainsi à certains comités d'hygiène (CHSCT) de surconsommer des heures en dehors du cadre légal, + 303% à MRF (établissement du Matériel roulant ferroviaire), tandis que le comité du même établissement n'utilise ses crédits qu'à 63% et utilise 55% de sa subvention afin d'acheter des heures supplémentaires. Par ailleurs le comité d'établissement DSC (département relatif à la sécurité, au patrimoine et aux affaires juridiques) consomme 312% de sa subvention en heures de relève. Plus généralement, 76% des subventions administratives allouées servent à acheter des heures pour relever des agents avec ou sans mandats, les subventions étant « détournées partiellement de leur objet pour être utilisées à des fins militantes. » Tandis que le comité central d'entreprise (CRE) lui prélève ses heures en parfaite illégalité sur les « œuvres sociales » du comité d'entreprise alors qu'elles devraient être prélevées sur sa partie « fonctionnement ». Dans cette dernière hypothèse, la pratique syndicale nuit donc directement aux salariés de la RATP puisque leur représentation au sein de l'entreprise se finance directement sur le budget des activités culturelles et sociales destinées aux salariés et à leurs familles.
3) Le second trésor de guerre des syndicats, la thésaurisation de leur subvention de fonctionnement :
Enfin, les comités d'établissement (CDEP) n'hésitent pas à thésauriser une partie de la subvention annuelle de fonctionnement qui leur est dévolue. Ils se constituent de la sorte un second trésor de guerre, financier cette fois-ci. Montant annuel estimé, environ 1,28 million d'€/an, soit une moyenne de 129.000 € par comité d'établissement. L'établissement DSC mettant en réserve jusqu'à 92% de sa subvention de fonctionnement ! Une situation d'autant plus curieuse que ce même établissement a pris pour habitude de ne pas régler auprès de l'entreprise ses achats d'heures de relève et ce, depuis sa création ! Manque à gagner pour l'entreprise 2,77 millions d'€, soit une dette de 3 millions d'€ de l'ensemble des comités d'établissements à l'égard de la RATP.
On l'aura compris, à la longue l'achat de la paix sociale à la RATP est particulièrement salé ! Nous l'avons dit, celle-ci représente près de 18 millions d'€ si on agrège aux mesures dérogatoires conventionnelles, les pratiques illégales constatées. Or la perduration de ces pratiques repose avant tout sur le manque de transparence de l'entreprise quant à ses relations sociales. Il est d'ailleurs particulièrement curieux que l'on ne puisse avoir accès librement au dernier accord d'entreprise de la RATP, le Protocole d'accord relatif au droit syndical et à l'amélioration du dialogue social du 20 février 2006, réservé à l'intranet de l'entreprise. Une lecture attentive de ses dispositions aurait permis de mettre en évidence les fondements de nombre de dysfonctionnements constatés. Par ailleurs, les dix comités d'établissements semblent fonctionner en roue libre, alors que ces derniers doivent remettre chaque année un rapport sur leur gestion. Rapports dont la diffusion aurait dû permettre à la direction de l'établissement public de mettre fin aux nombreuses irrégularités constatées…sauf à vouloir acheter par son silence une coûteuse paix sociale de 18 millions d'€ !
[1] Voir à ce propos le document, Synthèse 2009, de la Commission du dialogue social, 8 avril 2010, p.1.
[2] Ce taux est à rapprocher du niveau de mobilisation du personnel, particulièrement « faible » lui aussi, avec 0,4 jour de grève/an/agent contre une moyenne nationale du secteur de 0,8j/an/agent en 2006, qui a simplement augmenté d'un dixième de point en 2009 à 0,5j/an/agent. La moyenne nationale elle restant à peu près constante.
[3] Le dispositif « d'alarme sociale » a été inscrit à l'article 15 de l'accord du 23 octobre 2001 relatif au droit syndical et à l'amélioration du dialogue social, faisant suite à l'accord du 30 mai 1996. Il a depuis lors été remplacé par le Protocole d'accord relatif au droit syndical et à l'amélioration du dialogue social du 20 février 2006.
[4] On se reportera au dossier législatif relatif au Projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl06-363.html .
[5] Rapport d'Audit, Les moyens attribués à la représentation du personnel, juin 2010, 23 p., mais aussi 6 annexes.
[6] Il faut cependant les rapprocher des Provisions pour avantages aux salariés tels que définis dans le Rapport Financier 2009, p.32, qui les évalue à 490 millions d'€ (note 23 des commissaires aux comptes)
[7] En cours de constitution à l'issue de sa transformation en SA à partir du 1er janvier 2010.
[8] Se reporter aux récents rapports de la Cour des comptes relatifs au CCAS (caisse centrale des activités sociales) d'EDF, 2007 mais aussi septembre 2010, à paraître au sein du rapport annuel 2011. Notons à cet égard que le CE d'EDF jouit d'une subvention adossée à un prélèvement de 1% sur les ventes de gaz et d'électricité, permettant d'abonder un budget de 470 millions d'€ !