La raffinerie Total des Flandres en panne sèche de dialogue social
Une raffinerie à l'arrêt sans que l'on sache officiellement pourquoi, des salariés désorientés, payés à ne rien faire mais néanmoins en grève, une menace de pénurie nationale de carburant, une sortie pas évidente du conflit, comment cela est-il possible, et pourquoi ?
Pas moins de six acteurs dans ce conflit, chacun jouant sa partition.
D'abord Total, qui fait face à une diminution de la consommation de carburant et la surcapacité de ses raffineries. Les douze raffineries françaises perdent actuellement 150 millions d'euros par mois. Dès avant la grève actuelle, la raffinerie des Flandres était sans activité, sans que l'on sache si cet arrêt correspondait à la maintenance ou à une décision de fermeture, en vue de laquelle aucune procédure n'a été engagée. Les salariés, (et certains sous-traitants), sont payés à ne rien faire, bien qu'étant en grève.
Ensuite, les employés de la raffinerie qui, quant à eux, ne peuvent se satisfaire d'une telle situation et de l'incertitude délétère dans laquelle ils sont plongés, et sont certains que Total veut fermer.
L'annonce devrait être faite le 8 mars.
Ils savent qu'ils ne seront pas licenciés, mais ils sont très sceptiques quant à l'emploi de substitution qu'on pourra leur proposer.
La région est sinistrée depuis la disparition de la sidérurgie et ils s'inquiètent de la création d'un nouveau désert industriel.
Ils sont aussi imperméables au changement, comme l'explique un délégué syndical : « La mobilité c'est pour les Anglo-Saxons. Nous, on a des racines, nous ne sommes pas que des consommateurs ».
Le troisième acteur, c'est la CGT, qui instrumentalise le conflit au niveau local, avec une menace de blocage de toute la France, pour marquer son territoire vis-à-vis des autres syndicats et affirmer sa puissance en faisant plier l'Etat au niveau national, et pour finir par sacrifier la raffinerie des Flandres au dernier moment sur l'autel de la négociation.
La centrale syndicale parvient en effet à obtenir de Total un engagement inouï de ne fermer ni céder pendant cinq années aucune des raffineries … à l'exception de la raffinerie des Flandres.
Nous avons en quatrième le gouvernement, pris au piège de la menace de pénurie au plus mauvais moment (départ des Français en vacances et élections régionales prochaines), contraint de marquer lui aussi son territoire vis-à-vis de l'entreprise française la plus emblématique parce que la plus riche, la plus internationale et celle dont la réputation est la plus sulfureuse (cf. l'Erika).
Le cinquième acteur est évidemment l'opinion publique, et le dernier, bien que muet, c'est la loi.
En effet, compte tenu du droit prétorien développé par la Cour de cassation, il est maintenant devenu quasiment impossible pour une entreprise, sauf accord, de procéder à des licenciements économiques en l'absence de pertes.
Même si le secteur dit « aval » de Total (raffinage et distribution) réalise des pertes au niveau mondial, la plus récente jurisprudence, appliquée notamment à Chartres dans le cas de Philips, montre que la justification de la réorganisation est de moins en moins appréciée secteur par secteur mais doit s'effectuer au niveau mondial, tous secteurs confondus.
Autrement dit il y a un risque qu'un tribunal, compte tenu des profits mondiaux de Total, secteur « amont » compris, refuse toute adaptation au niveau national, même dans le secteur déficitaire.
Total est en réalité contrainte de rechercher l'accord des syndicats.
Et voilà pourquoi on se trouve dans une aussi pitoyable situation, avec une entreprise incapable de faire prévaloir la logique économique qui s'impose, et des salariés frustrés payés à ne rien faire. La CGT a gagné, c'est un fait, en réussissant à faire plier gouvernement et entreprise. Mais la surenchère syndicale a fait prendre par Total un engagement aberrant sur cinq années, une éternité par les temps qui courent, alors au surplus que la France s'engage dans la lutte contre l'énergie polluante (au fait, a-t-on entendu le silence assourdissant de nos courageux écologistes ?).
Les employés de la raffinerie des Flandres s'illusionnent quand ils croient pouvoir faire redémarrer leur raffinerie avec une menace de blocage national, au motif de refuser une mobilité qui ne devrait certainement pas être réservée aux Anglo-Saxons. Mais employés et syndicats se battent avec leurs armes et on pouvait s'y attendre.
Ce sont nos édiles et nos élites qui sont le plus à montrer du doigt.
En premier, le patron de Total.
Il est certainement l'excellent stratège d'une multinationale considérable, mais on lui demande aussi d'être le patron des hommes, en l'occurrence plus de cent mille employés, et particulièrement de ceux qui travaillent dans le pays du siège de l'entreprise.
De New-York où il se trouvait quand la grève a éclaté, il a exprimé son étonnement que les entreprises françaises ne puissent pas, sous-entendu comme à l'étranger, procéder aux réorganisations qui s'imposent pour s'adapter.
C'est son étonnement qui nous surprend ! Comment peut-il ne pas savoir ? Ou plutôt, car il sait, ne pas intégrer cet aspect des choses dans sa stratégie, au point d'en arriver à payer employés et sous-traitants à ne rien faire, différer toute décision, revenir d'urgence à Paris pour se faire sermonner par l'Elysée, et finir par concéder un engagement sur cinq années qu'il considère lui-même comme proprement extraordinaire ?
Quant au gouvernement, le revoilà pris dans les filets de l'interventionnisme brouillon. Car enfin, demande-t-on au député UMP Frédéric Lefebvre, souvent présenté comme un porte-parole officieux du Président de la République, de déclarer comme il l'a fait qu'il était solidaire de la CGT, et quel message l'Etat envoie-t-il aux Français, si ce n'est que le maintien d'activités déficitaires passe avant l'équilibre des entreprises, pourtant seul en mesure d'assurer à terme la création d'emplois ?? Demande-t-on par ailleurs à l'Etat de jouer à l'arbitre permanent entre les entreprises et les syndicats, au prix d'une déstabilisation des premières et d'une capitulation devant les seconds ? L'ouverture d'Etats Généraux sur l'énergie est peut-être une bonne chose – en admettant qu'il ne s'agisse pas d'un nouveau Comité Théodule - mais en tout état de cause l'initiative est tardive, et consiste à éteindre un incendie après l'avoir allumé.
Au lieu d'envoyer des messages contradictoires, nos édiles feraient mieux de s'attaquer sérieusement à leur devoir de pédagogie. Il s'agit de faire comprendre que la flexibilité est nécessaire et que le maintien d'activités sans justification économique n'est en aucun cas la solution. Il s'agit aussi de modifier la loi pour assurer cette flexibilité.