La gestion impossible des logements des hôpitaux de Paris (AP-HP)
Avec son activité continue et ses aspects humains et techniques aigus, tout établissement de soins est un organisme particulièrement complexe. Et avec ses 39 hôpitaux et ses 95.000 salariés, les hôpitaux de Paris (AP-HP) battent des records qui suscitent de nombreuses questions. En se penchant sur les logements gérés par l’AP-HP, le rapport de la Cour des comptes de 2012 ne traite que d’un aspect marginal du système, mais instructif. Alors que son activité nécessiterait déjà la maitrise de centaines de métiers différents, pourquoi l’AP-HP gère-t-elle des milliers de logements, activité très éloignée de son cœur de métier et pour laquelle le rapport confirme qu’elle n’a ni légitimité ni compétence ?
Loger ses salariés était courant au début du siècle dernier dans les grandes entreprises des secteurs privés et publics. Mais la liste des inconvénients ont depuis longtemps fait abandonner cette pratique paternaliste, source de problèmes pour l’employeur, pour le salarié et pour la société :
Employeur
Coût très élevé
Inefficacité des gestionnaires de logements dont ce n’est pas le métier
Demandes des salariés sans système de rappel
Sous estimation massive par les salariés de l’avantage que représente le logement.
Difficulté à récupérer les logements en cas de départ de l’entreprise ou en retraite
Difficulté d’adapter le logement aux évolutions des besoins (ex. départ des enfants)
Fraude aux attributions de logements
Salarié
Déresponsabilisation des salariés vis-à-vis du sujet du logement
Abandon du choix de type de logement
Problème au moment du départ en retraite
Intrusion de l’employeur dans la vie personnelle de ses salariés (niveau de salaire, composition et évolution de la famille…)
Problèmes de cohabitation dans les immeubles entre familles de collègues de travail
Collectivité
Création de ghettos homogènes, contraires aux objectifs de la mixité prônée par les gouvernements et des experts
Sous-estimation importante du revenu réel des salariés
Perte de rendement de l’impôt sur le revenu
Accès à des aides sociales injustifiées (allocations familiales, réduction de taxe d’habitation, cantines, RSA, pas de taxe télévision, aides énergie...)
La quasi totalité de ces dysfonctionnements sont décrits dans le rapport de la Cour des comptes sur les dix mille logements des personnels des hôpitaux de Paris (AP-HP).
- Des logements attribués sous prétexte de « nécessité absolue » sont en fait situés loin du lieu de travail du salarié ;
- le tiers des logements sont occupés par des personnes qui ne travaillent plus ou pas à l’AP-HP (Cour des comptes) ;
- le loyer est souvent deux à trois fois inférieur au prix du marché, conduisant à une sorte d’avantage en nature non déclaré de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’euros par mois ;
- le coût de cette politique n’est pas connu (Cour des comptes).
Source : La documentation française et sudrobertdebre.free.
Statut de la fonction publique
D’après les réponses faites à la Cour des comptes, l’attribution de logements à des tarifs préférentiels constitue un moyen de contourner les rigidités du statut de la fonction publique. Faute de pouvoir sortir de grilles de salaire/ancienneté pour tenir compte de l’environnement économique local (ex. Paris vs. Limoges), ou des performances de certains salariés (y compris hauts responsables), les revenus sont complétés par l’attribution discrétionnaire d’un logement. Une compensation qui peut être justifiée, mais une méthode très injuste pour les salariés qui se logent eux-mêmes, opaque, et source de risques de dérives importantes.
Conclusion
La volonté de mettre de l’ordre une fois de plus dans ce maquis est incontestable On verra l’efficacité de l’amendement suscité par le directeur de l’AP-HP qui l’autorise (sous des conditions de revenus et d’âge), à reprendre dans les six mois les logements qui ne sont pas habités par des salariés de l’AP-HP. Il est probable que, comme ailleurs, la plupart des démarches d’expulsion dureront des années.
Mais c’est le système qu’il faut changer, sinon les mêmes très anciennes dérives, faites sans doute de connivences politiques, syndicales et autres, ou de simple manque de courage, perdureront ou resurgiront inévitablement. Pour que les salariés de l’AP-HP perçoivent un salaire correspondant à leur performance du moment, et pas à leur diplôme et à leur ancienneté, ils devraient être embauchés sous un contrat privé. Ce revenu, ils seront responsables de l’utiliser comme ils le décident, notamment pour leur logement.
Les phalanstères et les Bataville ont eu leur heure de gloire, et peut-être leur utilité éducative, mais en 2016, l’employeur n’a pas à s’immiscer directement dans la façon dont ses salariés se logent. Encore moins quand il s’agit de fonctionnaires des hôpitaux bénéficiant d’un statut de CDI offrant toutes les garanties de stabilité d’emploi et de revenus. À Paris par exemple, de très nombreux autres salariés et non-salariés (ex : artisans, commerçants, employés des cliniques privées…) ont des contraintes d’horaires aussi fortes que celles des personnels hospitaliers et assument leur responsabilité eux-mêmes pour se loger avec les offres existantes (marché locatif privé, HLM). Les salariés de l’AP-HP ont aussi le droit et le devoir de ne pas être moins autonomes que leurs concitoyens.
Domaine privé[1] | Locataires sans aucun lien avec AP-HP | Locataires n’ayant plus de lien avec AP-HP | Logements de fonction | Logements sociaux | Réservations chez bailleurs sociaux |
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2.769 | 524 | 1.200 | 1.603 | 4.000 | 1.850 |
Source : Le Monde, 14/9/2015 et AP-HP
[1] Généralement luxueux, issus de dons, loués peu cher à des « personnalités »