La Banque Publique d'Investissement bientôt sur les rails ?
La France frôle les 3 millions de chômeurs. En cette rentrée chargée, le gouvernement met en œuvre les différents piliers de sa politique économique pour redresser le pays. La Banque publique d'investissement pourra-t-elle être un acteur efficace dans sa bataille contre le chômage ?
Les chiffres de la DARES l'ont rappelé lundi : la France doit faire face à de nombreux plans sociaux qui se sont égrenés cet été (PSA, Carrefour, etc.). Pour y répondre, le gouvernement veut s'appuyer sur deux axes : la relance des emplois aidés avec les contrats d'avenir, et le soutien aux entreprises avec la Banque publique d'investissement (BPI) pressée d'être rapidement opérationnelle début 2013, et même avant. Cette mesure qui figurait dans le programme du candidat Hollande comme dans ceux des principaux candidats a été mise sur les rails avec la remise fin juillet d'un rapport de préfiguration remis par Bruno Parent de l'IGF. Objectif ?
La mission préconise dans un premier temps la constitution d'une "BPI socle'' regroupant les acteurs centraux du financement de l'économie (Oséo, FSI et la filiale de la Caisse des dépôts, CDC-Entreprises).
C'est donc une nouvelle étape dans le rapprochement des établissements publics qui pourrait mettre un point final à la question de l'émiettement des structures de soutien aux entreprises. Il est d'ailleurs question que la BPI intègre dans un second temps les missions publiques de soutien à l'export : la mission IGF propose d'associer la Coface et Ubifrance, ce que demande également Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, qui dans une interview aux Échos a jugé les dispositifs de financement à l'export pas assez efficaces. La mission IGF recommande donc de simplifier et de clarifier l'intervention des différents acteurs en assurant un guichet unifié et un rapprochement sur le terrain des délégations d'Oséo, du FSI et de CDC-Entreprises, la filiale spécialisée en capital-risque del Caisse des Dépôts. Ainsi, avec Oséo, établissement spécialisé dans le crédit et la garantie d'emprunt auprès des PME dont le rôle s'est fortement accru avec le plan de relance et la Caisse des dépôts et le FSI, spécialisés dans l'intervention en fonds propres au capital des entreprises, l'établissement couvrira tout le spectre des opérations financières auprès des entreprises.
Mais le rapport précise aussitôt que les entités ne seraient pas fusionnées, et que l'on pourrait conserver une branche "garantie/financement" et une branche "fonds propres" sous forme de filiales, sous l'autorité d'une holding assurant la stratégie, l'allocation des moyens et la maîtrise des risques. C'est "une approche pragmatique qui est retenue". Il faut tout d'abord éviter les situations de conflit d'intérêt entre les activités. Il s'agit là de réglementations prudentielles et d'encadrement des engagements financiers. Mais il y a un autre écueil que la BPI doit dépasser : assurer une gouvernance qui compose avec des acteurs très jaloux de leur indépendance. Le rapport prévient déjà que même si le rapprochement doit être rapidement effectif, la conduite du changement devra être faite en prenant soin d'identifier les "problématiques de gestion des ressources humaines" de quelque 1.000 agents au total.
Autre problème, la place des régions dans le futur schéma. La BPI a vocation à être déconcentrée pour rester au plus près du terrain. Rien de pire pour des entreprises que d'avoir à attendre la validation "de Paris" pour voir leur dossier avancer. Alors pourquoi pas des banques régionales d'investissement ? Le développement économique est une compétence généralement dévolue aux régions et celles-ci réclament d'ailleurs dans le cadre de la future loi de décentralisation une compétence exclusive au grand dam des communes et des grandes agglomérations qui craignent d'être mises sur la touche. Les régions n'ont par conséquent pas tardé à faire valoir leur intérêt pour le projet : certaines voulaient une banque publique régionalisée dont elles auraient été les actionnaires. Le rapport de l'IGF tranche en faveur d'une banque nationale à laquelle les régions seront étroitement associées au travers d'un comité d'orientation. Cette solution est sans doute plus sage : les régions auraient-elles eu la distance nécessaire pour se retenir d'investir au nom de l'emploi dans des entreprises locales à l'avenir incertain ? On songe par exemple à l'intervention du Conseil régional de Poitou-Charentes au redressement d'Heuliez-Mia. En la matière le modèle allemand avec ses Landesbanken proches des régions a connu ces dernières années bien des déboires : jugées trop petites et souvent prises en porte-à-faux avec les politiques, ces banques ont été durement frappées par la crise financière. Leur rentabilité était insuffisante et elles ont été contraintes de se restructurer et de fusionner.
Cette question est essentielle. Le rapport de l'IGF précise d'ailleurs quelques principes d'action de la future banque.
D'abord, la BPI n'a pas vocation à être une banque généraliste, elle ne s'occupera que des entreprises, et même plus précisément des PME et des ETI.
Ensuite, le rapport propose que la BPI concilie un financement général des entreprises (intervention horizontale) en même temps qu'une logique de soutien plus particulièrement par filières industrielles (intervention verticale). C'est ce que fait par exemple OSEO, qui assure le prêt à la création d'entreprise à vocation générale et qui en même temps a développé des offres spécifiques pour les filières bois ou hôtelières ou encore automobile.
De toute façon, les collectivités locales voient leurs moyens financiers également se contracter à cause de la crise des finances publiques. C'est toute la question. Dans un rapport public également paru en juillet la Cour des comptes avait justement audité le rôle de l'État dans le financement de l'économie. Le constat s'agissant des différents établissements financiers publics était clair : la place prise par le secteur public (Caisse des dépôts, Oséo, FSI mais aussi la Poste, la CNP, etc. est considérable dans les mécanismes de financement des entreprises (voir encadré). Mais ces financements ne sont pas sans limites : en cause l'insuffisance de fonds propres et le manque de rentabilité de ces acteurs du financement public comme le souligne la Cour des comptes. Ces dispositifs sont censés aider les entreprises qui ont du mal à se financer. Ils doivent donc intervenir là où le marché estime ne pas avoir à s'investir. Il ne s'agit clairement pas des créneaux les plus rentables. D'autant plus que l'État reste toujours tenté de prélever sur les fonds pour boucler son budget : ainsi en est-il du dividende versé à l'État par le FSI ou la Caisse des dépôts qui est en contradiction avec la volonté de développer le financement des entreprises.
A cela s'ajoute le problème de la gouvernance : Lorsque l'État doit voler au secours de Dexia, ou bientôt du Crédit Immobilier de France, demandera-t-il à la BPI de le faire ? Ces opérations de restructuration se feront de toute façon sur des fonds publics c'est-à-dire d'autant moins pour les PME et les ETI qui souhaitent un financement. Et ce ne sont pas les seuls risques que pointe la Cour des comptes : anti sélection, déresponsabilisation, distorsion de concurrence avec le secteur privé bancaire, etc. Même en insistant sur un cofinancement public privé pour développer l'effet de levier, l'impact sur les comptes publics peut se révéler catastrophique, si la crise se prolonge et si l'on constate une cascade de défaillances des PME. Sur ce point, le rapport de mission de Bruno Parent est assez flou : s'interrogeant sur la "co-intervention" ou le "financement seul", la mission recommande "une approche différenciée selon les outils ", fonds propres ou financement. Pour les premiers, il recommande des interventions seules de la BPI tout en réfléchissant sur "le degré d'accompagnement" des entreprises et "l'attitude plus ou moins proactive des équipes de la BPI en matière d'identification et de démarchage des entreprises de croissance susceptibles de bénéficier de l'appui de la BPI". Derrière ces termes, doit-on parler de retenue ? La mise en œuvre par le ministre de l'Économie le dira. Mais agir sur l'environnement fiscal, social et réglementaire des entreprises nous paraît tout aussi urgent et important pour "emporter un effet d'entraînement sur l'économie" souhaité par Pierre Moscovici.
La mutualisation des structures et des équipes est une bonne nouvelle pour les entreprises et pour les fonds publics qui parviendront ainsi à dégager des économies. Même si le budget de fonctionnement des trois structures (Oseo, FSI, CDC-E) peut être estimé à moins de 400 millions d'euros, dégager des économies d'échelle sera toujours un point positif. Mais le problème de fond qui demeure comme toujours avec les établissements financiers publics est le suivant : quelle prise de risque aux côtés des entreprises ?
Soit il s'agit de couvrir une vraie défaillance du marché, c'est-à-dire les segments les plus risqués comme l'amorçage et le démarrage des entreprises, le financement de l'innovation et l'impact sur les finances publiques peut à terme être important. Pourtant on sait que c'est de ces investissement risqués mais indispensables que dépendent la croissance et l'emploi.
Soit il s'agira de financer des projets plutôt "classiques" auprès des établissements financiers privés ; dans ce cas, les opérations les plus risquées resteront en panne de moyens sauf à ce que des niches fiscales "intelligentes" contribuent à les financer.
[( [*Les trois entités regroupées dans le projet de BPI :*]
Caisse des dépôts et consignations (CDC)
Fonds collectés en 2010 : 45 milliards d'euros
Portefeuille financier : o de la CDC (section générale) : 12 milliards d'euros o au titre des fonds d'épargne réglementée (dont la gestion est confiée à la CDC) : 100 milliards d'euros
Les fonds d'épargne occupent une place de plus en plus importante dans l'action de la Caisse auprès des entreprises. Même si traditionnellement ces fonds d'épargne centralisent une majeure partie des dépôts sur les produits d'épargne réglementée (Livret A, Livret Développement durable, etc.) pour financer des missions d'intérêt général, essentiellement le logement social, la Caisse a diversifié ses emplois ces dernières années à la demande l'État qui manquait de moyens. Aujourd'hui l'encours centralisé atteint fin 2011 222 milliards d'euros. Sur cette somme considérable, 15 milliards d'euros vont vers de nouveaux investissements : 6 milliards pour les grandes infrastructures, 5 milliards pour Oséo, près de 3 milliards pour les collectivités locales, etc.
FSI (Fonds stratégique d'investissement)
Le FSI est une filiale commune de l'État et de la CDC lancé en 2008 par Nicolas Sarkozy sur le modèle d'un fonds souverain. Ses moyens sont constitués de 6 milliards d'euros d'apports en numéraire (non encore totalement libérés) et 14 milliards d'apports en participations essentiellement de France Télécom et d'ADP (participations peu liquides et donc peu susceptibles de refinancer les interventions du FSI). Le FSI intervient au capital d'ETI et de grandes entreprises. Il a également repris le programme France Investissement basé sur du cofinancement public/privé. Ce dernier initialement dimensionné à 3 milliards d'euros d'investissements dans des fonds de fonds sur la période 2006-2012 prévoyait 2 milliards issus du public et 1 milliard issu du privé, mais cette participation s'est finalement limitée à 283 millions d'euros. Les effets de ce programme sont jugés assez importants avec un effet d'entraînement élevé sur les fonds privés, ce qui a justifié le lancement d'un nouveau programme France Investissement en 2012.
Oséo
Établissement public qui intervient dans le crédit aux PME et dans la garantie d'emprunt, le groupe est issu du rapprochement de la BDPME et de l'ANVAR. La Cour rappelle que les dotations de l'État à Oséo ont atteint 2,9 milliards entre 2007 et 2010 qui ont permis à Oséo de cofinancer ou de garantir 8 milliards d'euros. Les entreprises ont grâce à cela bénéficié d'un fort effet de levier et obtenu des financements privés importants. Oséo indique que son intervention a permis de mettre en place 31 milliards de financements en 2011. Son action s'est étendue, passant de 55.000 entreprises soutenues en 2005 à 84.000 en 2011.
[*En résumé :*]
Oséo a permis la mise en place de 31 milliards d'euros de financement en 2011. Les fonds investis grâce à FSI France Investissement représentent 3,6 milliards d'euros dans 1.740 entreprises depuis son lancement à fin 2011. La Caisse des dépôts via les fonds d'épargne avait engagé fin 2011 5 milliards d'euros auprès d'Oséo et 0,5 milliard au FSI. CDC-Entreprises a réalisé à fin 2010 plus d'1 milliard d'euros de financements dans des fonds de fonds (une partie de son portefeuille de participations a été transférée au FSI).
Source : Cour des comptes, l'État et le financement de l'économie, juillet 2012. )]