Hôpital public : «Taire certains faits n’est pas rendre service aux professions de santé»
L’hôpital public va mal, le système de santé aussi. Tout le monde est d’accord pour l’admettre. Pourtant, avec 11,2 % de son PIB consacré aux dépenses de santé, la France fait partie des pays européens les plus généreux, avec l’Allemagne, la Suède ou les Pays-Bas. D’autres, comme le Danemark, la Finlande ou le Royaume-Uni ne dépensent pas plus de 10 % de leur PIB, soit un écart de 30 milliards d’euros par an. Preuve que le problème ne peut pas s’arranger avec des milliards déversés en plus.
D’autant que les crédits augmentent déjà chaque année, et que 30% des actes effectués sont inutiles. Pour 2020, 222 milliards de dépenses d’Assurance-maladie sont programmés, dont 84 milliards pour l’hôpital. C’était 171 milliards, dont 74 pour l’hôpital en 2012… Va-t-on encore saupoudrer, alors que ce système est au bout du rouleau ? Malheureusement, ce sujet est explosif et il est rare d’accepter d’en parler calmement.
Quand on entend médecins et infirmières parler de leurs conditions de travail, quand l’absentéisme explose (jusqu’à 39 jours par an dans certains hôpitaux et en moyenne 24 jours par an) et que les urgences sont totalement saturées, on a du mal à croire que la France compte plus de personnel par lit que les Allemands (1,7 personnel par lit en Allemagne, contre 3,1 en France). La vérité, c’est pourtant que nous bénéficions de plus d’hôpitaux, de plus de lits et que nous dépensons déjà 11 milliards d’euros de plus par an dans l’hospitalier que nos voisins d’outre-Rhin. Mais cet investissement maximal est mis à mal par une série de freins spécifiques.
Embaucher sous statut
Le statut public hospitalier par exemple. Pourquoi le conserver alors même qu’il empêche qu’une infirmière qui travaille dans un hôpital public à Paris soit plus payée qu’une infirmière qui travaille dans un hôpital public dans l’Oise ? À quoi bon vouloir à tout prix que la grille des salaires soit unique ? Comment ne pas essayer de sortir du carcan érigé par nos syndicats, ceux-là mêmes qui demandent plus de moyens sans remettre en cause leurs dogmes ?
Pourquoi ne pas dire qu’il faut cesser d’embaucher sous statut - comme à la SNCF - et reconnaître enfin le mérite individuel en sortant de l’hypocrisie qui prévaut aujourd’hui. Cette règle absurde conduit à conserver l’activité privée à l’hôpital public pour garder les meilleurs chirurgiens qui seraient partis sinon depuis belle lurette. Être payé davantage quand on consacre beaucoup à l’hôpital, moins quand on consacre moins: cela semble évident, mais ce n’est pas la logique actuelle, loin de là.
C’est à la médecine de ville qu’il faut affecter plus de moyens (6 milliards d’euros de plus par an en Allemagne). Cela permettrait de rediriger le flux des petites urgences - qui ne devraient pas allonger les files d’attente dans les hôpitaux - vers les gardes des médecins de ville qu’il faut remettre en place en les rémunérant correctement. À force d’envoyer tous les flux vers l’hôpital public, nous allons être de moins en moins bien soignés en France ! Pourquoi ne pas dire que les pays qui ont des hôpitaux mieux gérés et plus efficients ne font pas appel à des cadres formés dans des établissements comparables à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, mais à des experts (ingénieurs, gestionnaires, professions médicales) ayant, par exemple, déjà géré des cliniques?
Embaucher beaucoup moins d’administratifs dans nos hôpitaux français permettrait de consacrer plus de masse salariale aux soignants. Et travailler à résoudre les problèmes internes de nos hôpitaux éviterait d’incriminer la tarification à l’activité (T2A), mode de financement indispensable, mis en œuvre dans les cliniques et dans les hôpitaux de la plupart des pays étrangers, vingt ans avant la France.
De quel droit serait-il interdit de dire à quel point nous gagnerions à avoir un système de santé moins centralisé, moins politique, mais plutôt géré au niveau régional comme dans la plupart des pays ? Cela éviterait les cas comme celui de l’hôpital de Longué-Jumelles (Maine-et-Loire) où tous les politiques locaux et l’Agence régionale de santé (ARS) s’étaient accordés pour qu’il devienne un établissement privé… avant que, au dernier moment, la ministre ne tranche en décidant de manière arbitraire (par crainte des syndicats ?) qu’il demeurerait public.
Une meilleure équité
La France comptait en 1980 670.000 agents de la fonction publique hospitalière ; aujourd’hui, on en dénombre plus de 1.160.000. Heureusement, il nous reste encore des cliniques privées ou des hôpitaux privés non lucratifs pour éviter que le système ne craque totalement. On a toujours fait en France trop de politique avec l’hôpital public. Au risque de faire baisser la qualité des soins. Tout aussi politique est le choix de ne conserver qu’une seule assurance de base, la Caisse nationale d’assurance-maladie et 420 assureurs complémentaires pour un coût annuel de 16 milliards d’euros par an : une honte !
Voilà la situation en France, alors que les systèmes de santé qui fonctionnent ailleurs ont mis en concurrence au premier euro les caisses obligatoires afin de pousser à l’innovation les fournisseurs de soins (télémédecine, soins ambulatoires, dossier médical informatisé) et de fournir un meilleur service aux patients (prévention, accès à l’information, orientation dans le système de soins). Comment expliquer qu’on ne puisse évoquer ces faits dans notre pays sans se faire insulter sur les réseaux sociaux alors que ces systèmes de santé fonctionnent aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suisse ?
D’autant que ces pays garantissent une meilleure équité entre assurés, contrairement à la France où les moins favorisés (chômeurs, débutants, agriculteurs, salariés des petites entreprises) et les plus coûteux (retraités) sont concentrés dans les mêmes complémentaires santé, tandis que les salariés des grandes entreprises et de la fonction publique restent entre eux dans leurs propres mutuelles.
La France a joué après guerre les précurseurs avec la Sécurité sociale, il ne faudrait pas que la seule vision d’avenir soit la momification administrative progressive de ce système de santé autrefois novateur. L’hôpital public n’est certes pas une entreprise, mais il ne devrait pas être une administration. L’ignorer nous pousse au-devant de grandes désillusions.