HLM à Paris : un système d'attribution trop complexe
La Ville de Paris a récemment rendu public un rapport de la mission d'information et d'évaluation sur l'attribution des logements sociaux à Paris [1]. Cette étude tombe à propos : elle décrit l'incroyable complexité de la gestion du parc entre réservataires et bailleurs sociaux. Et cette question est d'importance car l'addition des dysfonctionnements constitue un facteur de gaspillage du parc social alors même que la loi sur la mobilisation du foncier public vient d'être votée au Parlement.
Cette loi relève le pourcentage de logements sociaux obligatoires dans les grandes agglomérations (25% au lieu de 20%). Or il est justement plus difficile de construire dans les grandes villes et la demande de logements sociaux y est particulièrement forte. Trouver toutes les solutions pour une gestion la moins "frictionnelle" possible du parc de logements sociaux est donc une excellente initiative. Et on en est loin ! Comme on peut le voir, la ville de Paris ne constitue qu'un des acteurs de la sélection des dossiers aux côtés d'autres acteurs "réservataires" comme l'État via la Préfecture de région, d'autres administrations, le 1% logement, la région Île-de-France, de grands établissements publics comme l'AP-HP et les grands bailleurs sociaux.
La question de l'allongement des listes de demandeurs de logements sociaux est dans de nombreux esprits. C'est elle qui a conduit la ministre du Logement à présenter dès la rentrée un texte sur le logement social comportant deux axes essentiels : libérer du foncier public et augmenter le pourcentage de logements sociaux prévus par la loi SRU. Malgré cela, le déséquilibre entre offre et demande de logements demeure et demeurera, et la question de l'accès au parc social devient de plus en plus criante : le nombre de demandeurs de logements sociaux est estimé à 1,7 million de personnes. Ce problème est d'autant plus délicat que les délais d'obtention ne sont pas connus, que la complexité des démarches et des filières rend l'ensemble du système incompréhensible.
A Paris, cette question est encore plus brûlante pour les raisons suivantes :
La demande a explosé passant de 82.900 ménages en 1996 à 126.500 en 2011 ;
Chaque année les attributions ne représentent que 10% de la demande ; à l'échelle nationale c'est le tiers.
Le rythme de la construction est un des plus faibles : 40.000 logements annuels tous secteurs en Île-de-France alors qu'il en faudrait 70.000.
Cette difficulté s'étend de proche en proche aux communes de la 1ère couronne
Le taux d'effort des ménages à bas revenus est de 33% à Paris contre 24% pour le reste de l'Île-de-France (2006).
Les loyers du parc privé ont progressé rapidement passant de 13,8 €/m² en 1998 à 23,4 €/m² en 2011 : une augmentation de 3,4% par an. Il faut la relativiser car, en France, sur la même Période, l'augmentation moyenne a été de 2,6% par an.
En comparaison, toujours sur la même période, l'inflation a été de 1,7% par an et l'augmentation des revenus de 2,3% par an.
Il est clair qu'à Paris, les loyers augmentent un peu plus vite et un peu plus fort qu'ailleurs :
Soit une augmentation de 64% en 15 ans, 30% hors inflation.
Le différentiel se creuse de plus en plus entre loyers privés et loyers HLM :
- PLUS/PLAI : 6-7 €/m²+charges
- PLS-PLI : 10-11 €/m²+charges
Les conséquences sont un effondrement de la rotation des logements : un quart des demandeurs de logements sociaux sont actuellement déjà logés dans le parc social
Le caractère social de la demande se fait de plus en plus certain : plus de 67% des demandeurs de logements sociaux ont des ressources inférieures au plafond PLAI (le plus social) alors que 24% des Parisiens sont dans cette situation.
Mais, dans le même temps, l'évolution des plafonds de ressources est telle que 4 Parisiens sur 5 sont éligibles à un logement social.
Enfin, si tous ces critères concourent à augmenter la demande de logement social déjà importante à Paris, les modifications des procédures d'enregistrement de demande de logement social font qu'un demandeur francilien peut désormais déposer sa demande n'importe où en Île-de-France et demander 5 villes franciliennes de son choix. Ce qui contribue à fortement augmenter la demande pour Paris venant de personnes du reste de la région : ainsi un quart des demandeurs de logements sociaux pour Paris n'habitent pas Paris (9% en 1996). Cette pratique qui était justifiée par l'existence, auparavant, de nombreux doublons, a eu un effet inflationniste.
Quant aux demandeurs parisiens, près de 40% d'entre eux font leur demande uniquement dans l'arrondissement où ils habitent déjà !
Tous ces facteurs ont contribué à faire enfler la demande ces dernières années. Mais ce qui est le plus frappant c'est la rigidité de l'offre que l'on trouve en face : même si le parc de logements sociaux a connu une évolution importante ces dernières années - la Ville de Paris a placé la barre très haut avec un objectif d'atteindre le précédent quota de la loi SRU (20%) en 2014 et non 2020, au prix d'une très couteuse politique de préemption-, l'offre continue d'être totalement cloisonnée par rapport à la pression de la demande.
Tout d'abord, le rapport rappelle l'inégale répartition par arrondissement et par types de logements gérés par les bailleurs sociaux (178.000 logements sociaux comptabilisés dans la loi SRU de type PLAI, PLUS, PLS et assimilés, mais 56.500 logements intermédiaires et logements à loyers libres hors SRU). Alors que la demande se fait majoritairement pour des appartements sociaux ou très sociaux (92%), ceux-ci ne constituent que 67% du parc social global. De plus le parc de logements parisiens est composé d'appartements de petites tailles, repoussant les familles hors de Paris.
Mais surtout, le parc social est excessivement segmenté : l'offre de logements sociaux est composée de l'addition de contingents dont disposent les réservataires dans ce parc, et qui sont la contrepartie de leur participation au financement :
L'État via la Préfecture de Paris et d'Île-de-France dispose d'un contingent de 30% du programme de logement social (25% pour les mal-logés et 5% pour les fonctionnaires)
La Ville de Paris dont le contingent repose sur les garanties des prêts CDC qu'elle a accordés et les crédits propres qu'elle a mobilisés pour subventionner l'opération.
Les CIL (comités interprofessionnels du logement – ex 1% Logement) bénéficient de réservation en fonction de leur participation financière aux programmes de construction pour loger les salariés des entreprises contributrices.
Enfin, on compte un parc important appartenant à de grandes administrations (ministères, préfecture de police, AP-HP, Région IDF, SNCF, RATP,…)
La Ville de Paris possède le seul "parc" à vocation généraliste, les autres répondent à des clientèles ciblées : ainsi la Préfecture dispose d'un contingent de 30% sur chaque programme de logements sociaux dont 5% pour les fonctionnaires et 25 % pour les publics défavorisés se définissant eux-mêmes par plusieurs critères : personnes en situation de handicap, personnes mal logées, chômage de longue durée, violences conjugales, etc. En conséquence de quoi, le réservataire va proposer après examen un candidat sur le contingent qui lui revient au bailleur social qui gère le parc. Et c'est là où les choses se compliquent encore. Le parc social à Paris est géré par environ 40 bailleurs sociaux mais fortement concentré entre 4 acteurs : Paris Habitat, RIVP, Immobilière 3F et SGIM. Paris Habitat gère par exemple près de la moitié du parc de logements SRU. Mais la structure du parc pour chaque bailleur social se combine avec la répartition par réservataire. D'où la complexité du système :
Voici le tableau matriciel des parcs des principaux bailleurs sociaux par réservataire. Or il faut savoir que l'offre est gérée de façon étanche entre bailleurs. Le dossier du candidat sera donc examiné et rempli par l'administration en charge pour chaque réservataire puis le dossier sera transmis à une commission d'attribution des logements (CAL) pour chaque bailleur social qui va examiner selon une procédure très encadrée (délai, motivation des refus, etc.) l'attribution éventuelle dans le parc social.
Un point est à relever s'agissant des délais : il existe des conventions de réservation qui indiquent dans quels délais un réservataire doit présenter un dossier, en général 3 mois. Or, au-delà de ce terme, si le réservataire ne parvient pas à désigner un candidat, le logement revient sur compte propre au bailleur social qui peut y placer un de ses candidats. Sachant que le taux de mobilité est extraordinairement faible à Paris, cela peut prendre des années avant que le réservataire ne récupère son droit à "placer" un de ses candidats. En effet pour toutes les raisons indiquées au début de cette note, le taux de mobilité à Paris n'a cessé de chuter : il est à 4,4% en 2011 contre 9% en moyenne nationale et 21% dans le parc privé. L'USH d'Île-de-France, fédération des HLM, estime que les services de l'État perdraient, à cause de délais d'examen trop longs pour présenter un dossier de candidature, 5.000 logements chaque année à l'échelle de la région Île-de-France, soit 30% de leur contingent.
D'autre part, les demandes de mutations gérées par chaque bailleur social sont limitées et au sein du même contingent ; il n'y a pas de mutualisation !!! La rotation du parc est donc doublement freinée. Un accord collectif départemental a été mis en œuvre dans Paris pour permettre un examen des dossiers les plus sensibles sur l'ensemble des contingents. Mais cela est loin d'être suffisant et c'est à Paris que l'on compte le plus de procédures DALO, filière prioritaire de relogement dans le contingent préfectoral.
Au final, si l'on cumule le cloisonnement des contingents, les procédures d'attribution très diverses, l'existence de procédures prioritaires type DALO qui constituent en fait un système coupe-file, l'ensemble du système renvoie l'image d'une grande opacité et illisibilité. La conclusion est sans appel : "l'information sur le logement social est donc le miroir du système : une image confuse qui déroute l'utilisateur et renforce son sentiment, dans une situation de pénurie, que les mieux informés et les mieux introduits obtiennent plus facilement un logement". Et dans son rapport de 2010 consacré à la gestion du logement social et à la délégation des aides à la pierre à Paris, la Chambre régionale des comptes d'Île-de-France déplorait "qu'aucun cadre conventionnel associant la totalité des acteurs, seul à même de permettre une action concertée, n'ait fédéré les dispositifs d'intervention existants. Or le rééquilibrage géographique, l'échelon régional, la recherche de mixité sociale et la régulation de la demande sociale sur tout le territoire francilien, justifieraient largement la mise en œuvre d'un tel partenariat."
Et si malgré tous ces obstacles, des candidats sont proposés aux bailleurs sociaux pour l'obtention d'un logement social, c'est le désistement des candidats qui est un ultime facteur d'échec non négligeable à prendre en compte : ce qui fait repartir toute la procédure. Ainsi, pour le contingent de la Ville de Paris, il y a eu au total, en 2011, 1.935 désistements de candidats soit 51,8% du nombre total de candidats relogés sur le contingent. Le volume des désistements est notamment très important pour les logements de type PLI. En revanche, on s'en doute, le taux de désistement est le plus faible pour les procédures DALO. Tout cela constitue un gaspillage considérable d'énergies. Ce comportement n'est néanmoins pas si illogique si l'on considère toutes les années que certains candidats ont dû attendre : certains patientent jusqu'à 10 ans et l'attribution d'un logement social n'est plus dès lors une transition en attendant de pouvoir se loger dans le secteur libre, mais un aboutissement pour lequel ils ne sont pas prêts à accepter n'importe quel logement.
La Ville de Paris a fait d'indéniables efforts pour faciliter les procédures d'attribution, mais l'opacité et l'inefficacité du système actuel demeurent la règle. Les propositions pour y remédier sont intéressantes (favoriser les mutations par la création d'une instance inter-bailleurs et inter-contingents) mais y arrivera-t-on ? En attendant, les listes des demandeurs augmentent à cause de la pénurie de logements organisée par la bureaucratie. Et cette pénurie conduit les responsables politiques à vouloir toujours ajouter des logements sociaux alors que c'est de simplicité dont le système a besoin. La solution pourrait être un système à l'allemande où un logement est défini comme social durant toute la durée du prêt qui a servi à le financer puis retombe dans le parc privé à l'issue du crédit. Cela contribuerait à augmenter l'offre et à simplifier les procédures d'attribution pour un pourcentage accru du parc.
[1] Source : Rapport sur les modes et méthodes d'attribution des logements sociaux à Paris : état des lieux et mise en perspective, Conseil de Paris, mission d'information et d'évaluation, juillet 2012.