HLM : oui, il faut systématiser les enquêtes de ressources des locataires !
Malgré les protestations des associations représentatives du monde HLM, le ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, a raison de poser la question de l'occupation du parc HLM et des moyens d'augmenter la mobilité. Avec un taux de mobilité de 8% contre 23% pour le parc locatif privé, augmenter la mobilité de 1 point permettrait d'accroître de 70% l'offre annuelle de logements sociaux.
"Quand on a 5,2 millions de logements sociaux en France et 1,8 million de ménages qui candidatent légitimement pour y entrer, est-il normal qu'ils soient empêchés de le faire alors qu'il y a des gens au sein du parc social dont la situation a largement changé depuis qu'ils se sont vu attribuer leur logement ?" s’est interrogé le ministre du Logement dans Les Echos[1].
Selon lui, plus de 8% des locataires de HLM ne seraient plus éligibles à un logement social s'ils en demandaient un aujourd'hui. Le ministre veut que les bailleurs sociaux procèdent à une évaluation régulière et obligatoire de "la situation personnelle, financière et patrimoniale" des locataires du parc social.[2]
Ces déclarations ont suscité de nombreuses réactions du monde du logement social. La présidente de l’USH, Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du Logement, a considéré que l’actuel ministre avait tort "de considérer que c'est en insécurisant les locataires du parc social qu'on palliera les insuffisances de la politique du logement que nous constatons depuis 2017". Pour l’USH, le "logement social à vie" n'a pas de réalité puisque "L'article L.441-9 du Code de la Construction et de l'habitation impose une enquête annuelle sur les revenus".
Pour la fédération des OPH, Marcel Rogemont président de la Fédération des offices publics a lui-aussi dénoncé les propos de Guillaume Kasbarian. "Nous regrettons que le gouvernement laisse entendre, une fois de plus, que les HLM logent des riches, alors que la quasi-totalité des locataires a des revenus modestes, voire très modestes, et que si certains dépassent légèrement les plafonds de ressources, c'est à la faveur de la mixité sociale, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville, où elle est vitale".
Pour Marianne Louis, directrice générale de l’Union sociale pour l'habitat (USH), "Le logement à vie, ça n'existe pas, Les organismes qui gèrent les logements sociaux demandent chaque année l’avis d'imposition aux locataires, ce qui permet de calculer un éventuel dépassement du plafond de ressources. Si c’est le cas, un supplément de loyer est appliqué. Et si un locataire dépasse de plus de 150% le plafond de ressources pendant deux années consécutives, le bailleur doit lui demander de libérer l’appartement. Les propos du ministre donnent l’impression que le travail n’est pas fait, or la loi est déjà appliquée par les bailleurs, qui sont eux-mêmes contrôlés par une agence[3]."
Le ministre du Logement a raison de mettre les pieds dans le plat
Si les déclarations du ministre ont suscité de nombreuses réactions, elles ont surtout permis de remettre en lumière le fonctionnement des attributions et d’interroger les mécanismes conduisant à plus de mobilité au sein du parc social.
L’Ancols, l’agence de contrôle du logement social, indique que les locataires du parc social bénéficient d’un droit au maintien dans les lieux sous conditions :
- Dans un premier temps, le supplément de loyer de solidarité (SLS), système de majoration de loyers, s’applique aux ménages dont les ressources mensuelles sont supérieures de 20 % aux plafonds de ressources qui correspondent au logement qu’ils occupent.
- Au-delà du SLS, les locataires du parc social peuvent perdre leur droit au maintien dans les lieux si leurs ressources dépassent d’au moins 50 % les plafonds des logements financés par des prêts locatifs sociaux (PLS) deux années consécutives. Le ménage doit quitter le logement dans un délai de 18 mois à compter du 1er janvier de l'année qui suit les résultats de l'enquête.
Le nombre de départs pour dépassement des plafonds concernerait 8000 ménages selon Marianne Louis citée dans Le Parisien, ce qui est relativement peu, souligne-t-elle[4].
Un contrôle des plafonds à la portée limitée
Mais l’Ancols indique aussi que l’application du SLS connaît de nombreuses exceptions géographiques. Le SLS n’est pas appliqué dans les zones suivantes :
- Les zones de revitalisation rurale (ZRR) ;
- Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et quartiers assimilés (anciennes (ZUS) ;
- Le cas échéant, des zones déterminées dans les programmes locaux de l’habitat (PLH).
- Les logements intermédiaires (PLI) sont également exemptés de SLS.
Il existe aussi des dérogations à cette règle pour les plus de 65 ans, les personnes en situation de handicap et les ménages logés en QPV.
Ainsi, seulement 58 % des logements rentrent dans le champ d’application du SLS ; 42 % de logements exclus du champ le sont pour favoriser la mixité sociale dans certaines zones géographiques. Ce qui fait que les ménages soumis au SLS représentent 2,1 % seulement des ménages du parc social, soit un peu plus de 90 000 ménages en 2018[5]. Cette part est plus importante dans les zones les plus tendues comme la région parisienne, le Genevois français et la côte méditerranéenne. (7% des ménages sont soumis au SLS en zone A bis dans les logements entrants dans l’application du dispositif).
L’Ancols relève aussi que le SLS en pratique n’incite pas à plus de mobilité, les ménages l’acquittant étant en moyenne plus âgé et peu enclin à déménager. Quelle que soit la tension du marché, la proportion de ménages interrogés restés dans leur logement pour lequel ils étaient soumis au SLS en 2017 et/ou 2018 est légèrement supérieure à 80 %.
Notons aussi que dans son dernier tableau de bord des attributions de logements sociaux, l’Ancols relève que pour un quart des attributions, le revenu n’est pas renseigné[6]. De plus en 2019, 5 bailleurs sociaux ont fait l’objet d’amende toujours sur recommandation de l’Ancols pour irrégularités quant aux plafonds de ressources des locataires ou des attributions de logement[7].
Autre point soulevé par l’intervention du ministre : "Il faut réinterroger la pertinence à continuer à occuper un logement social de ceux qui ont largement dépassé les plafonds de revenus, ont pu hériter, ont parfois une résidence secondaire en leur possession, et dont le patrimoine - et c'est le sens de la vie - a évolué". Il entend exiger des bailleurs sociaux une évaluation régulière et obligatoire de "la situation personnelle, financière et patrimoniale" des locataires du parc social.
Il n’existe pas d’interdiction formelle pour un locataire HLM d’être en même temps propriétaire d’une résidence. Certes il est difficilement envisageable pour un propriétaire de sa résidence principale de faire une demande de logement social. Et cette situation est donc de fait exclue. De même un locataire par ailleurs propriétaire d’un bien mis en location verra ses revenus locatifs intégrés dans sa déclaration de ressources et pourra voir son bail social résilié. De même un locataire du parc social par ailleurs propriétaire d’une résidence secondaire et occupant son logement social moins de 8 mois par an verrait aussi son bail résilié. Mais sauf ces situations particulières, le fait d’être par ailleurs propriétaire n’est pas en soit un motif de rupture de bail. Cela peut poser question notamment si le bien a été acquis grâce à l’épargne dégagée par un loyer social inférieur au prix du marché. Le parc HLM n’a pas vocation à permettre de se constituer un patrimoine[8].
Compte tenu de tous ces éléments le ministre a raison de poser la question des conditions d’attribution et de mettre la pression sur les bailleurs sociaux pour s’assurer que les enquêtes de ressources sont effectuées (sauf pour les locataires bénéficiant de l’APL puisque dans ce cas, c’est la CAF qui se charge de contrôler les revenus) et de regarder quel est le patrimoine immobilier constitué par ailleurs. D’ailleurs n’est-ce pas la règle déjà appliquée pour la retraite de réversion ? Les biens immobiliers, hors résidence principale ou exploitation agricole, doivent être déclarés. La caisse de retraite estimera un revenu annuel équivalent à 3 % de leur valeur, même si le bien est en location pour un loyer différent.
[1] https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/exclusif-le-gouvernement-veut-mettre-fin-au-logement-social-a-vie-2088389
[2] https://www.banquedesterritoires.fr/logement-social-vie-encore-un-faux-debat?
[3] https://www.capital.fr/immobilier/le-ministre-du-logement-veut-il-que-lon-expulse-400-000-familles-la-colere-de-la-patronne-du-monde-hlm-1495238
[4] https://www.leparisien.fr/societe/seuil-de-revenus-et-hlm-quelles-sont-les-regles-en-vigueur-12-04-2024-YUSSOYTQGBGELOVCYKEPMTCKHY.php
[5] https://www.ancols.fr/publications/etudes/application-du-sls-dans-le-parc-social/telecharger-rapport
[6] https://www.ancols.fr/publications/etudes/les-attributions-de-logements-sociaux-3/telecharger-rapport
[7] https://www.batiactu.com/edito/cinq-bailleurs-sociaux-sanctionnes-par-etat-56608.php
[8] https://www.adil83.org/documentation/publications-adil/question-de-la-semaine/titre-par-defaut-6/