Grèves SNCF : 2022, vers une année noire ?
Alors que les grèves « traditionnelles » de départ en vacances à la SNCF ont déjà permis aux agents d’obtenir près de 500 millions de revalorisations salariales et de primes pour 2022, la CGT et l’Union syndicale Solidaire ont déjà annoncé une grève interprofessionnelle le 29 septembre prochain. Les revendications : encore une fois les salaires (cela alors que les rémunérations progressent plus vite à la SNCF que dans le secteur privé) et… potentiellement la question de la réforme des retraites (encore une fois). Alors que nous sortons d’un quinquennat particulièrement lourd en journées perdues pour grève à la SNCF, le risque est grand d’une nouvelle année noire. Un risque qui doit poser la question de l’encadrement du droit de grève, et notamment des grèves politiques, en France.
Un quinquennat particulièrement marqué par les grèves SNCF
Le nombre de jours de grève perdus par agent est disponible en open data à la SNCF et si l’on se penche sur la moyenne par mandat présidentiel, on constate que le quinquennat qui vient de se terminer aura été celui qui aura cumulé le plus de jours de grève : 2,02 jours par agent.
En termes de grève, la dernière pire année aura été 2018, année de la réforme de la SNCF et de son, obligatoire car décidée au niveau européen, ouverture progressive à la concurrence et la fin programmée du statut des cheminots. 4,69 jours par agents auront été perdues cette année : à titre de comparaison, la réforme des retraites de 2010 avait entrainé 3,78 jours perdus par agent, et le plan « Juppé » avorté sur les retraites et la Sécurité sociale de 1995 avait entrainé 6,49 jours de perdus par agent. L’année suivante, de décembre 2019 à janvier 2020, les Français avaient subit pas moins de 50 jours de grève SNCF contre une potentielle réforme des retraites qui n’a pas eu lieu. Une grève qui a coûté près de 2 milliards d’euros à l’économie française et qui a durement abîmée l’image de l’entreprise au point que, fin janvier 2020, elle lançait une opération promotionnelle pour vendre 5 millions de billets de TGV à 35 euros pendant une semaine. Sauf que la crise sanitaire, les confinements et les restrictions de déplacement géographique auront limité les voyages des Français.
Depuis, en 2021, les grèves SCNF n’auront fait perdre que 0,47 jours par agent, soit le taux le plus bas depuis 2002 (0,21 jour) mais la reprise, depuis décembre 2021, d’importantes perturbations au moment des départs en vacances des Français fait craindre une nouvelle année noire. Depuis le début de l’année, déjà 19 mouvements de grève SNCF ont eu lieu :
- jeudi 27 janvier 2022 Grève générale et nationale le 27 janvier 2022
- dimanche 6 mars 2022 Grève à la SNCF en Nouvelle-Aquitaine du 6 au 8 mars 2022
- lundi 7 mars 2022 Grève à la SNCF en Nouvelle-Aquitaine du 6 au 8 mars 2023
- mardi 8 mars 2022 Grève à la SNCF en Nouvelle-Aquitaine du 6 au 8 mars 2024
- jeudi 17 mars 2022 Grève générale et nationale le 17 mars 2022
- mercredi 23 mars 2022 Grève illimitée à la SNCF en Occitanie dès le 23 mars 2022
- vendredi 22 avril 2022 Grève à la SNCF sur la Côte d’Azur le 22 avril 2022
- jeudi 28 avril 2022 Grève à la SNCF dans les Ardennes le 28 avril 2022
- lundi 2 mai 2022 Grève SNCF en Midi-Pyrénées le 9 mai 2022
- mardi 14 juin 2022 Grève à la SNCF en Champagne-Ardenne le 14 juin 2022
- mardi 21 juin 2022 Grève à la SNCF en région PACA le 21 juin 2022
- jeudi 23 juin 2022 Grève des lignes J et L du Transilien du 23 au 24 juin 2022
- vendredi 24 juin 2022 Grève des RER et Transiliens le 24 juin 2022
- mercredi 29 juin 2022 Grève du RER A et des lignes J et L du Transilien depuis le 29 juin 2022
- jeudi 30 juin 2022 Grève du RER A et des lignes J et L du Transilien depuis le 29 juin 2023
- vendredi 1 juillet 2022 Grève du RER A et des lignes J et L du Transilien depuis le 29 juin 2024
- lundi 4 juillet 2022 Grève du RER E et de la ligne P du Transilien les 4 et 5 juillet 2022
- mardi 5 juillet 2022 Grève du RER E et de la ligne P du Transilien les 4 et 5 juillet 2023
- mercredi 6 juillet 2022 Grève nationale à la SNCF le 6 juillet 2022
Source : https://www.cestlagreve.fr/
Ce dernier mouvement de grèves, lors de la semaine de départ en vacances de début juillet, est d’ailleurs arrivée à un moment particulièrement tendu alors que, pour l’été 2022, la SNCF a vendu 12 millions de billets, un record qui représente une hausse de fréquentation de +10% par rapport à l’été 2019 et que les mouvements de grève se multiplient également dans l’aviation.
Historique des grèves d’été depuis 10 ans
Source : data.sncf |
Déjà 500 millions de revalorisations salariales accordées
Le 6 juillet dernier, la direction de l’entreprise aura accordé une augmentation générale de 1,4% pour tous les agents, rétroactive au 1er avril 2022 (3,1% pour les cheminots, 3,7% sur les petits salaires et 2,2% pour les cadres), accompagnée d’une prime de 400 euros par agent, d’un bonus pour les cheminots de la première ligne (+7% sur les primes de nuit, de dimanches et jours fériés notamment) et d’une augmentation de 100 sur une gratification de vacances. Le tout pour un coût entre 250 et 300 millions d’euros.
Et cela alors que les négociations salariales de fin d’année avaient déjà conduit à une hausse salariale de +2,7% pour le personnel de la SNCF en 2022 (pour 243 millions d’euros), à l’octroi conditionné d’une prime « pouvoir d’achat » exceptionnelle de 600 euros pour les bas salaires et à une amélioration de la grille statutaire. Des mesures de revalorisation qui n’avaient pas empêché les traditionnelles grèves SNCF des départs en vacances de décembre 2021 (17, 19, 24 et 31 décembre).
Depuis le début de l’année, donc, les revalorisations salariales accordées à la SNCF se portent autour de 500 millions d’euros et, en mars 2022, un rapport sénatorial pointait que, sur la période 2016-2021, l’augmentation des rémunérations des personnels était en moyenne de +2,5% par an. En face, dans le privé et au 4ème trimestre de chaque année, entre 2016 et 2021, le salaire horaire de base des ouvriers et des employés augmentait, en moyenne, de +1,5% par an quand les prix (pour l’ensemble des ménages et hors tabac), augmentait, en moyenne, de +1,3% par an.
Source : Sénat
Source : Dares
D’ailleurs, lorsqu’on compare la rémunération moyenne brute des agents SNCF aux rémunérations moyennes dans le secteur privé, on constate que les « agents de conduite » (cheminots) touchaient, en 2020, une rémunération moyenne brute supérieur à la moyenne des professions intermédiaires du privé : de 352 à 423 euros en plus par mois selon le statut. Enfin, l’écart entre le secteur privé et les agents de la SNCF est particulièrement marquant pour les cadres avec des rémunérations, en moyenne, supérieures de +2 184 à +3 318 euros par mois à la SNCF.
Source : data.sncf pour la SNCF, Insee pour le privé
Le spectre de la réforme des retraites
Il faut craindre que les 500 millions déjà accordés n’aient acheté la tranquillité des voyageurs que pour l’été car la CGT et l’Union syndicale Solidaire ont déjà annoncé une grève interprofessionnelle le 29 septembre prochain avec, à nouveau, la question de l’augmentation des salaires) comme revendication, ils demandent notamment une rétroactivité au 1er janvier 2022, et une volonté de « s’inscrire dans une mobilisation large et dans la durée ».
Alors que depuis le début de l’année, les mouvements de grèves se sont multipliés à la SNCF, le risque semble grand d’une reprise de mouvements de grèves massifs à la rentrée, d’autant plus que le gouvernement a déjà confirmé sa volonté d’avancer plus vite sur le sujet de la réforme des retraites pour laquelle les négociations devront s’ouvrir à la rentrée. Or, à l’exception de l’année 2018 et de la réforme des retraites, les années noires en termes de grèves SNCF ont toujours entouré des réformes (abandonnées ou pas) des retraites que cela soit en 1995, 2003, 2010 et 2019.
En décembre 2019 et janvier 2020, lors des négociations sur la réforme des retraites, les deux mois presque consécutifs de grèves SNCF répondaient à la proposition d'équité qui consistait à fusionner le régime spécial des cheminots (ceux déjà en activité ainsi que les retraités) dans le système universel. Pour ce nouveau quinquennat, les contours de la réforme des retraites que le gouvernement doit défendre d’ici la fin de l’année ne sont pas encore très clairs mais, lors de la campagne, Emmanuel Macron s’est, à plusieurs reprises, prononcé pour les fins des régimes spéciaux et celui de la SNCF est le plus importants des trois régimes des entreprises publiques. Incontestablement le régime spécial de retraite de la SNCF devra être inclut dans la réforme des retraites à venir : pour rappel, pour payer les pensions des agents de la SNCF, l’Etat doit verser une subvention d’équilibre au régime spécial de la SNCF de plus de 3 milliards d’euros annuels et avec l’extinction du statut de cheminot au 1er janvier 2020, le déséquilibre démographique du régime s’accroît à mesure que le nombre de cotisants va progressivement se réduire.
Pour éviter une nouvelle paralysie des transports en France, mettre fin aux traditionnelles « grèves de départs en vacances », ou les « prises d’otage » des usagers pour négociation salariale et avancer sereinement sur la question de la réforme des retraites, il faut que le gouvernement songe à encadrer mieux le droit de grève en France, notamment celui des 153 000 agents de la SNCF. On peut, pour cela, s’inspirer du droit allemand.
En Allemagne, le droit de grève est encadré par 3 principes :
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