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Fusion Arrco-Agirc : le compte à rebours est lancé

Le 1er janvier 2019, l’ARRCO et l’AGIRC, les deux régimes obligatoires de retraite complémentaire des salariés du secteur privé vont fusionner. Une consolidation qui pose des questions d’équité pour les adhérents en plus des problèmes de pouvoir entre gestionnaires et syndicats administrateurs des caisses de retraites, les questions strictement techniques étant finalement les plus simples. La réussite de la fusion est essentielle dans la perspective de consolidations encore plus importantes. La Fondation iFRAP s'est toujours déclarée pour cette fusion, anticipant que des économies importantes pouvaient être attendues, pour autant que le fonctionnement actuel soit largement amélioré.

Plusieurs raisons ont rendu cette consolidation inévitable. La plus concrète et la plus pressante est comme souvent l’équilibre financier des deux régimes. L‘Arrco dispose de réserves financières un peu plus importantes que l’Agirc, permettant de maintenir ainsi le régime de retraite des salariés en survie. D’importantes économies de gestion (nombre de caisses, nombre d’administrateurs, traitements administratifs) sont aussi attendues de la fin de cette double gestion. Et pour les salariés et les retraités, cette réforme apportera une simplification bienvenue d’une partie d’un système global incompréhensible. Plus fondamentalement, cette fusion constituera le point d’aboutissement de quarante ans d’évolution qui ont vu le régime commun du secteur privé (non-cadre et cadre) se rapprocher du régime des cadres à tous les points de vue, taux de cotisation comme avantages annexes. Enfin, la notion typiquement française de cadre a tellement évolué depuis 1945 (moins d’encadrement, plus de spécialistes, des « assimilés cadres »), et est tellement dépendante des entreprises qu’elle est devenue assez floue, notamment en ce qui concerne les retraites. D’autant plus que sur le plan financier, l’augmentation rapide du plafond de la sécurité sociale crée une distorsion qui pénalise l’AGIRC, et conduit les salaires d’une partie des cadres à se trouver inférieure au plancher de cotisation AGIRC, ce régime devant leur attribuer un forfait de points.

Les enjeux énoncés par l’Agirc et l'Arrco

Les Cahiers de la retraite complémentaire n°25 du 3e trimestre 2016 évoquent ce regroupement qui va donner le jour à un nouveau régime unifié. Ces Cahiers précisent pages 20 et 21 que les commissions paritaires ont pris, le 20 juin 2016, de nouvelles décisions qui concernent notamment les modalités de conversion des droits à retraite Agirc et Arrco :

  1. « Tous les points de retraite inscrits au compte des assurés – qu’ils soient actifs, radiés ou retraités au 31 décembre 2018 - seront convertis en points du régime unifié. C’est la valeur du point de retraite Arrco au 31 décembre 2018 qui a été retenue comme unité de compte du nouveau régime unifié ».
  2. « Les droits inscrits au compte des participants au 31 décembre 2018 seront convertis euro pour euro en points Arrco par une simple règle de trois selon la formule de conversion » :
    (Nombre de points Agirc x valeur du point Agirc) / Valeur du point Arrco = nombre de points au nouveau régime unifié
  3. « Seules les personnes qui relèvent du régime de l’Agirc (20% des affiliés à l’Arrco, soit environ 3,6 millions de salariés) seront concernés par la conversion ». 
  4. Des mesures seront à prendre avant le 1er janvier 2018.
  • Gouvernance (fédération, institutions de retraite complémentaire) : taille des instances, fréquence des réunions, détermination des commissions spécialisées …
  • Harmonisation des dispositions réglementaires Agirc et Arrco : pensions de réversion (âge, prise d’effet, taux de réversion des majorations familiales), pensions d’orphelins, etc.
  • Fixation du plafond des majorations familiales pour enfants nés ou élevés ;
  • Réflexions autour de l’Association pour la gestion du fonds de financement (Agff), de la Contribution exceptionnelle et temporaire (CET) et de la Garantie minimale de points (GMP)

Les Cahiers précisent pudiquement que « les majorations éventuellement applicables n’étant calculées qu’au moment de la liquidation des retraites, cette opération ne concerne que les droits bruts ». Autrement dit cela veut dire que beaucoup d’avantages familiaux ne seront pas honorés ou seront réduits à partir du 1er janvier 2019.

La fusion appelle de revoir sérieusement la gestion actuelle de l'Agirc et l'Arrco

La fusion fait apparaître des interrogations nouvelles :

Populations concernées

Les Cahiers de la retraite complémentaire mentionnent « que seules les personnes qui relèvent du régime Agirc (20% des affiliés à l‘Arrco, soit 3,6 millions de salariés) seront concernés par la conversion de leurs points Agirc) ». Pourtant la même revue rappelle un peu plus tôt qu’en 2015 l’Agirc compte 4 millions de cotisants et 2,9 millions d’allocataires (le rapport annuel de l’Agirc pour cette même année mentionne 4.130.000 cotisants et 2.873.000 retraités) soit un peu plus de 7 millions de personnes concernées et non pas 3,6 millions seulement

Retraites indues 

En encadré (page 8) l’Agirc écrit : « vérification de la situation des allocataires : un premier bilan positif ». Mais le constat est inquiétant. En lisant ce rapport on serait en droit d’extrapoler que plus de 9% des allocataires (soit 1,1 million pour l’Arrco et 260.000 pour l’Agirc) percevraient une retraite à tort compte tenu de décès ou de remariages (réversions).

Les responsables de la gestion écrivent : « En cas de décès ou de remariage d’un allocataire l’institution doit cesser de lui verser sa pension sous peine de devoir se la faire restituer ensuite. Auparavant effectuées de façon isolée, les enquêtes de contrôle de persistance des droits ont été mutualisées entre les Institutions de retraite à partir d’octobre 2015, date de la première campagne communautaire. (...) Les deux premières campagnes ont concerné environ 900.000 personnes, pour lesquelles nous avons recensé 100.000 suspensions de paiement (...) Seules 15% des personnes dont le paiement a été suspendu se sont manifestées pour une demande de rétablissement de pension. Il semble que 85% des suspensions de paiement étaient légitimes (...) C’est un chiffre très encourageant ». 

Cela montre que la gestion paritaire est non seulement inefficace mais cette autosatisfaction dans les écrits dénote un manque de prise de conscience total des problèmes graves auxquels sont confrontées nos retraites. On verserait donc de façon indue autant de prestations à des personnes décédées ou remariées (pour les retraites de réversion) ?  

Et on peut d’autant plus s’inquiéter  que selon les chiffres du Centre des Liaisons Européennes (CLEISS) il y aurait plus de 1 million de bénéficiaires de retraites Agirc/Arrco résidant à l’étranger. Le CLEISS supervise le versement des prestations Sécu à l’étranger, donc celles de la CNAV, et réalise des contrôles réguliers en demandant chaque année un "justificatif d’existence" à faire valider par les autorités locales ou par un consulat de France. Mais cet organisme  ne s’occupe pas des versements au million de retraités Arrco/Agirc à l’étranger.  Quels contrôles effectuent l’Agirc et l’Arrco ?

Une organisation archaïque 

Au 1er janvier 2016 on dénombre encore 12 Institutions Agirc et 20 Institutions Arrco avec plus de 1.000 administrateurs paritaires dont l’utilité reste à démontrer. Une des préoccupations des instances représentatives est de s’interroger sur un nouveau modèle de gouvernance qui se situe bien loin des préoccupations des cotisants et retraités qui se sentent surtout concernés par la perception de leur retraite.

Les présidents de l’Agirc et de l’Arrco précisent qu’ils travaillent à la « ré-internalisation des activités du GIE informatique de la retraite complémentaire (Girc) à savoir la fabrication et l’exploitation du système d’information. Un rapprochement nécessaire, source d’optimisation et de rationalisation de l’organisation et des moyens. La feuille de route est ambitieuse… » Une proposition étonnante alors que la création d’une « Usine retraite » unique pour toutes les caisses Agirc/Arrco entreprise il y a dix ans devait être opérationnelle en 2013 et a coûté des centaines de millions d’euros.

Il convient de rappeler que ces régimes obligatoires existent - depuis près de 70 ans pour l’Agirc et de 55 ans pour l’Arrco. Ils n’ont pas été modifiés depuis leur création, seuls certains paramètres ont régulièrement changé. On ne peut qu’être inquiet sur la capacité des organisations paritaires à gérer cette fusion, alors même que la situation financière des régimes est encore périlleuse malgré les sacrifices acceptés en 2015 par plus de 22 millions de cotisants et 15 millions de retraités très attachés à ces régimes.

La gestion paritaire ne doit pas faire obstacle

La Cour des comptes avait dénoncé dans son rapport de décembre 2014 des coûts de gestion exagérément élevés, une qualité de service insuffisante et des déficits à venir. Dans ces conditions, plusieurs questions s’imposent : Qui contrôle ? Qui pilote ? Qui est responsable de cette déroute ? Et surtout : qui peut exiger la mise en œuvre des mesures de redressement indispensables ?

En 2014, Manuel Valls dans une lettre de mission au Haut Conseil du Financement de la Protection Sociale (HCFiPS), présidé par Mireille Elbaum, avait demandé de réfléchir à « une nouvelle étape de rationalisation du recouvrement des prélèvements sociaux en ce qui concerne notamment les cotisations de retraite complémentaire des salariés du secteur privé ». Ce à quoi les syndicats s’étaient vivement opposés, en particulier FO, au motif que ce serait « remettre en question le mode de gestion paritaire des régimes sociaux ». Déjà la Loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) avait prévu dès 2007 que les agents des URSSAF puissent avoir compétence pour vérifier les cotisations Agirc/Arrco mais les décrets d’application n’ont jamais été publiés. De même pour le contrôle des prestations, on voit qu’une mise en commun de moyens pourrait être - très utilement réalisée - avec la CNAV, que ce soit pour les versements en France ou à l’étranger. Tout un travail de mise en commun de moyens qui aurait pu être réalisé avec la CNAV et les URSSAF.

Conclusion

On l’aura compris, il est urgent :

  • De réussir la fusion des régimes Arrco et Agirc à la date prévue ;
  • De clarifier le statut des caisses de retraite complémentaire, d’être en mesure d’exiger des comptes et de désigner un organisme de tutelle ;
  • De réformer le système en mettant en commun tous les moyens permettant d’améliorer la gestion des caisses, de baisser les coûts et d’apporter un meilleurs service ainsi qu’une plus grande transparence aux affiliés ;
  • D’interdire le mélange des activités de retraite par répartition avec les autres activités de prévoyance et d’assurance-vie relevant du secteur concurrentiel. Ces activités ont été largement développées à l’abri de nos régimes de retraite, ou avec les fonds destinés à gérer nos retraites. Les nouvelles obligations prudentielles (Bâle 3, Solvabilité 2) mises en place après la crise financière de 2008 exigent cette séparation. On doit les obliger à porter des noms distincts pour qu’il n’y ait plus de confusion.

Avec cette fusion Arrco/Agirc, ce régime serait prêt, dès que la décision sera prise, à une fusion suivante avec le régime de retraite IRCANTEC des non titulaires de la fonction publique et des élus locaux qui ne comporte déjà qu’une seule caisse pour tous les niveaux de salaires et de grades (pas de caisse non cadre vs. cadre). Une fusion simple avant le passage de la retraite CNAV de la Sécurité sociale par points et sa fusion avec le régime unique Arrco/Agirc/IRCANTEC, puis l’intégration des régimes spéciaux de salariés (fonctionnaires, RATP, EDF/GDF, SNCF…).

Des régimes particuliers de retraite comme celui de la banque ont rejoint le régime complémentaire des salariés à l’initiative des partenaires sociaux et dans des conditions satisfaisantes. La confiance des citoyens et la réussite de la construction de ce régime unique annoncé en 1945 dépendent largement du succès de cette première étape Arrco/Agirc. Il est vital qu’il n’y ait pas de problème technique type RSI, que personne n’ait l’impression d’avoir été floué, mais qu’au contraire la simplification du système facilite sa compréhension par les intéressés et mette fin aux suspicions entre cadres et non-cadres sur la question des retraites.