France/Allemagne, la vague du chômage ne sera pas la même
Plus de 700 000 emplois ont été détruits en France durant le premier semestre. Sauf que la reprise ne s'annonce pas partout pareil : dans le meilleur des cas, il est attendu que le taux de chômage en France atteigne 9,5% fin 2020 et plus de 11% en 2021... contre 5% en Allemagne.
Sources : Eurostat, Insee pour la France, Destatis pour l’Allemagne[1]
La définition statistique du chômage (au sens de l’OIT) prend en compte les individus activement en recherche d’un emploi. Selon cette acception, le taux de chômage des 15-64 ans atteint 7,1%[2] de la population active en France, 6,4% en Allemagne, et 15,6% en Espagne. Les marchés du travail nationaux n’ont pas tous été résilients face au Covid-19 ce qui explique une telle dispersion. L’OCDE a ainsi salué l’Allemagne pour la qualité de son système de santé, ses mesures de confinement plus ciblées que ses voisins européens, mais surtout l’extension du dispositif de Kurzarbeit (chômage partiel) et l’envergure de ses deux plans de relance équivalents à 8,3% de son PIB[3].
Plus inquiétante est la deuxième tendance : la hausse drastique du chômage des jeunes (moins de 25 ans). A partir d’avril 2020, de nombreux pays de la Zone Euro ont surpassé un niveau de 20% de chômage pour cette catégorie, comme en France, en Suède ou en Italie. L’Allemagne est un cas exceptionnel où le chômage des jeunes s’est maintenu constamment à 5,6%. A l’opposé du spectre, l’Espagne a atteint plus de 40% de chômage.
La troisième tendance notable, qui est la véritable originalité de la situation actuelle, est la croissance sans précédent du nombre d’inactifs en Europe. Ces derniers étaient auparavant comptabilisés dans les chiffres du chômage, mais étant donné le choc subi par les économies européennes, beaucoup de travailleurs se sont arrêtés de chercher un emploi et ces anciens chômeurs se déversent donc dans les inactifs, ou encore « le halo du chômage » en France. L’Istat en Italie a évalué que 38,1% des Européens étaient ainsi inactifs en avril 2020[4]. La France est un bon exemple : bien que son taux de chômage n’ait que peu augmenté, le nombre d’inactifs a presque doublé par rapport à 2008 pour représenter au deuxième trimestre 2020 2,5 millions d’individus. L’Insee anticipe que le halo pourrait se dégonfler d’ici la fin de l’année, mais resterait supérieur à 1,8 million (niveau atteint fin 2019).
Les perspectives de l’emploi pour la fin d’année 2020
Source : OCDE
L’OCDE estime que sans seconde vague de pandémie en 2020, le chômage de la Zone Euro atteindra 11,1% des actifs, et 12,6% dans le cas contraire au quatrième trimestre 2020. Globalement, cette hausse attendue s’explique par les médiocres perspectives de croissance. En temps normal, afin de préserver l’emploi, notre richesse globale doit croître d’un certain montant pour absorber les nouveaux venus sur le marché du travail et notre productivité croissante : c’était le fameux « 2% de croissance » tant revendiqué par les chefs d’Etat. La contraction du commerce international, la perte de confiance des ménages qui consomment moins, ne sont pas des signaux encourageants de reprise – l’Insee anticipe un recul de 9% du PIB fin 2020. De plus, une fois les dispositifs de chômage partiel mis à l’arrêt, les salariés risquent de perdre leur emploi ce qui augmentera subitement la masse des chômeurs (actuellement en sous-emploi). L’OCDE envisage ainsi des taux de chômage supérieurs à 10% pour nombre de ses pays-membres.
La France atteindrait 12,3%, ce qui est déjà mieux que l’Espagne où plus d’un cinquième de la population serait au chômage. Les pays nordiques seraient plus résilients, avec 5% de chômage en Allemagne, et 5,5% dans le cas pessimiste. On constate en fait les différences structurelles de marché du travail à deux niveaux : d’abord, en prenant le scénario « à une vague », les écarts de taux de chômage sont importants entre les pays qui ont bien entamé les réformes (Allemagne, Pays-Bas entre autres) et ceux qui tardent à les mettre en place comme la France, le Portugal ou l’Espagne. Ensuite, l’écart entre le scénario « à une vague » et « à deux vagues » montre comment les marchés du travail pourraient digérer un chômage supplémentaire. L’Allemagne n’a qu’un écart de 0,5 point car elle dispose des marges de manœuvre financières suffisantes pour accompagner ses travailleurs ; le Royaume-Uni accuse quant à lui d’une différence de 5 points, fortement dépendante de l’issue du Brexit et de la sécurité de l’emploi.
Conclusions principales
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[1] Pour Eurostat (données de juin 2020), Communiqué de presse euroindicateurs du 30 juillet 2020 ; Insee (aout) https://www.insee.fr/fr/statistiques/4641598#graphique-chomage-g2-fr « Au deuxième trimestre 2020, un marché du travail sous l’influence du confinement », Enquête Emploi, INSEE, 13/08/20 ; Destatis (aout), https://www.destatis.de/DE/Themen/Wirtschaft/Konjunkturindikatoren/_inhalt.html?fbclid=IwAR3UyXfkzNUxtvSZVAPZukmNPCZA3u-zpEMnB1fk_SS-E_rZrr4p9jvYlvE
[2] « Le taux de chômage en Europe », Agnès Faure, Toute l’Europe, 14/08/2020, https://www.touteleurope.eu/actualite/le-taux-de-chomage-en-europe.html?fbclid=IwAR2aksFbdi3zQSzBQ7nEwUufS3_gkrXpcmVEcCGRtWl4oippYUQH3s5JxGg
[3] “Worker Security and the Covid-19 Crisis – How Does Germany Compare?”, OECD Employment Outlook 2020, 07/07/2020, https://read.oecd-ilibrary.org/view/?ref=134_134914-ji1sq3fttc&title=Employment-Outlook-Germany-EN&fbclid=IwAR0A24EmNqe9EHdf6DzLY_EeDRTYfmlSB-JcwcSEC9XvQbcmlGxcvYWv2D0
[4] « Employment and Unemploymet », Provisional Data, Istat, 03/06/2020, https://www.istat.it/it/files/2020/06/Employment_unemployment_202004.pdf