Entreprises et emploi : l'Etat est-il aveuglé par l'INSEE ?
La dernière loi de finances pour l'exercice 2011, qui vient d'être bouclée le 13 décembre, et les discussions qui l'ont précédée sont symboliques du vide informationnel dans lequel opère la décision publique. Que ce soit le Gouvernement et son ministre du budget, l'Elysée, les rapporteurs généraux du budget auprès de nos assemblées parlementaires, ils agissent comme s'ils s'étaient tous laissé convaincre que la France crée assez d'entreprises et que, maintenant, le problème prioritaire de la France n'est plus de créer des entreprises mais de les faire grossir.
Cette thèse a, semble-t-il, le support actif de nombreuses entités gouvernementales ou para-gouvernementales comme la Caisse des Dépôts, qui sont beaucoup plus à l'aise pour financer de grosses opérations que pour jouer les Business Angels. Il faut pourtant contredire ces affirmations et se demander si le succès de l'auto-entrepreneur n'a pas aveuglé nos dirigeants ; l'impact de l'auto-entrepreneur est extrêmement positif pour le comportement sociétal des Français mais il représente de l'ordre de 20.000 emplois supplémentaires créés par an.
Pendant ce temps-là, à travers les créations d'entreprises naissant avec salariés, nous créons autour de 100.000 emplois par an depuis des années, là où les Allemands sont à 300.000 et les Anglais au-delà. Au bout de 10 ans, on aboutit à un manque de 2 à 3 millions d'emplois, ce qui rejoint les conclusions maintes fois énoncées par l'iFRAP qu'en trente ans, nous avons pris un retard de 5 à 7 millions d'emplois marchands sur nos voisins nordiques et que nous ne pouvons plus équilibrer nos budgets publics avec un tel handicap.
Vouloir équilibrer le budget en réduisant les niches fiscales qui contribuent à la création d'entreprises, comme le font et le Gouvernement et le Parlement, apparaît alors comme une politique de gribouille. Mais tant qu'un organisme officiel ne viendra pas le dire - et quel organisme autre que l'INSEE peut-il le faire ? -, les chances de voir le gouvernement bâtir ses politiques économiques autrement que sur du sable sont infimes. Il est d'ailleurs préoccupant de constater que dans toutes les enquêtes de l'OCDE portant sur la création d'entreprises et les créations d'emplois correspondantes, la France est absente des données comparatives.
Y a-t-il un intérêt pour l'INSEE à faire que notre retard en création d'emplois apparaisse comme l'un de ses secrets les mieux gardés ? On peut se poser la question. Quand on va sur le site d'Eurostat, qui centralise les statistiques européennes, notre infériorité sur les Allemands est invisible car les chiffres de création d'emplois sont peu différents des chiffres allemands. Mais ils agglomèrent les créations d'emplois d'entreprises nées avec zéro salarié, dont on ne sait pas vraiment ce qu'ils représentent en emplois plein temps. Il faut vraiment chercher pour trouver les chiffres des créations d'entreprises nées avec salariés et s'apercevoir que tant pour les entreprises nées avec au moins 1 salarié - ou au moins 5 salariés, ou au moins 10 salariés,- nous sommes partout à la moitié de nos voisins nordiques ; et qu'en outre l'emploi moyen créé dans ces entreprises est aussi environ moitié. D'où un rapport en création d'emplois de 1 à 3 ou 1 à 4. Au total. 100.000 emplois par an en France contre 300.000 en Allemagne (voir notre dossier de décembre 2010 sur l'emploi).
Nous aimerions certes recevoir un démenti de l'INSEE nous montrant où nous nous sommes trompés. Mais si ce n'est pas le cas, l'Etat est actuellement tenu dans l'ignorance d'une donnée capitale pour l'orientation de sa politique économique. Et sans laquelle tous les gouvernements, au bout de leur quinquennat, continueront de battre leur coulpe pour n'avoir pas résolu le problème du chômage.