Actualité

Entreprise : incontournables exonérations de charges sociales

Il est très louable de s'inquiéter de l'ampleur prise par les allégements de charges sociales, et de l'efficacité douteuse de ces exonérations. Mais peut-on les contourner sans procéder à une révision générale des politiques publiques dans les domaines fiscal et social ? Les deux exemples suivants, qui concernent pour l'un environ 22 milliards d'euros (allègement Fillon sur les bas salaires), et pour le second (travailleurs saisonniers du secteur agricole) une niche sociale de 400 millions brusquement creusée l'année dernière, nous montrent que ce serait une illusion de le croire.

L'allégement général Fillon sur les bas salaires

Nous l'avons indiqué la semaine dernière à propos du renouveau du débat sur les 35 heures, et le gouvernement vient de le rappeler, la plus grande partie des allégements de charges sur les bas salaires, qui exonèrent les entreprises de 26% des charges patronales au niveau du Smic, et jusqu'à 1,6 Smic en décroissance progressive, ont pour cause en partie les 35 heures, mais surtout l'importance de ces charges indépendamment de la durée du travail. Même compte tenu des allégements existants, le coût du travail au niveau du Smic reste avec celui du Luxembourg le plus élevé des pays de l'OCDE. Si nous devions supprimer ces allégements, le coût du travail monterait alors de façon vertigineuse. Le coût mensuel au niveau du Smic, en prenant comme l'INSEE pour base 45% de charges obligatoires, serait alors de 1.979 euros sur base 35 heures et 2205 euros sur base 39 heures.

Des études d'économistes signalées par les Conseil d'Orientation de l'Emploi font état d'une perte de 800.000 emplois au cas où les allégements seraient supprimés. Comment faire sinon en revoyant complètement le système ?

Une nouvelle niche de plus de 400 millions

On se rappelle l'alerte de l'été 2009 face à la chute dramatique du prix des fruits et légumes. D'urgence le gouvernement avait dû débloquer 15 millions d'euros en faveur des agriculteurs, puis des concertations ont eu lieu, suivies de mesures importantes. Et en 2010 on n'a pas entendu parler de difficultés. Que s'est-il passé entre temps ?
Tout simplement une exonération de charges sociales sans équivalent dans le passé. Une étude publiée dans Légumes de France datée de mai 2009 nous explique le pourquoi. Le syndicat FNLF a réalisé une étude du coût horaire du travail en euros dans quatre pays limitrophes et concurrents (Allemagne, Espagne, Belgique et Pays-Bas). L'étude montre une différence considérable de coût comprise entre 50% et 147%.

Ces différences s'expliquent par plusieurs facteurs :
- salaire minimum plus bas qu'en France (Espagne particulièrement), ou absent (Allemagne).
- 35 heures, car même si aux Pays-Bas le salaire minimum mensuel est légèrement supérieur au Smic, il est calculé sur la base de 40 heures, et le salaire horaire est nettement inférieur.
- exonération de charges sociales (totale en Allemagne, ou forfaitaire en Belgique).
- modulation du salaire minimum selon l'âge (Belgique et Pays-Bas).

Devant cette situation effectivement insupportable, le gouvernement a pris la mesure inédite de supprimer quasi-complètement les charges patronales légales et conventionnelles pour tous les travailleurs saisonniers du secteur agricole et de la pêche jusqu'au salaire brut de 2,5 Smic (puis suppression dégressive entre 2,5 et 3 Smic). C'est en effet dans ce secteur que le coût du travail est le plus important (plus de 60% du coût de production), ce qui s'explique par le coût du ramassage ou de la cueillette, réalisés le plus souvent par des saisonniers. Rappelons que le problème ne date pas d'hier, puisque la même étude syndicale évaluait à 15% la perte en dix années des surfaces consacrées à la culture des légumes autres que secs, ce qui est considérable.

Cette mesure, prise en 2010 et reconduite en 2011, est sans équivalent dans le passé, puisqu'elle n'est pas limitée aux bas salaires ni à certaines cotisations, contrairement à la réduction générale Fillon sur les bas salaires. Elle a coûté 416 millions d'euros en 2010 et est budgétée pour 412 millions en 2011.

On n'a guère entendu parler de cette nouvelle niche sociale apparue brusquement en 2010 pour un montant respectable de plus de 400 millions d'euros. Comment a-t-elle été financée ?
La réponse se trouve dans l'Annexe V du PLFSS : au tableau qui recense les coûts des exonérations pour les mesures compensées, on voit que le montant global des exonérations ciblées sur des secteurs économiques a bondi de 963 à 1417 millions d'euros de 2009 à 2010 pour revenir à 775 millions en 2011. Le financement de la mesure a été assurée… essentiellement par la quasi suppression des exonérations sur les aides à domicile et de celles existant en faveur des particuliers employeurs.

Devant l'obligation de réduire les dépenses publiques (les exonérations de charges sont ce que l'on appelle une « dépense fiscale ») dans le contexte actuel, le gouvernement a perdu sa marge de manœuvre, et a dû arbitrer entre le maintien d'une exonération nécessaire pour assurer la compétitivité de nos exploitations agricoles, et celui d'une mesure importante pour le pouvoir d'achat des particuliers tout autant que pour l'emploi des travailleurs à domicile. Arbitrage cornélien, car il y a fort à craindre que la suppression de cette dernière mesure ne se traduise en outre par des effets pervers – mais moins budgétairement visibles - plus importants que le bénéfice gagné par la suppression des exonérations : augmentation du travail au noir, baisse de la couverture sociale des salariés concernés, baisse de l'emploi.

Cette affaire démontre hélas le caractère incontournable des niches sociales et plus particulièrement des allégements de charges sociales, qu'il faut créer sans cesse pour faire face aux tares du système français, qui ont ici pour nom, comme dans le cas de l'allégement général Fillon, niveau trop élevé et rigidité absolue d'un Smic uniforme, 35 heures, montant des charges pesant sur le coût du travail et mode de financement de ces charges. C'est cette vérité qu'il faut regarder en face pour y remédier.