Economie au lycée : former les entrepreneurs de demain
L'Académie des Sciences Sociales et Politiques l'a dit dans un rapport circonstancié restituant les travaux d'un panel des meilleurs experts universitaires dont de nombreux étrangers en juin 2008. L'enseignement de l'économie tel qu'il est dispensé à nos lycéens est à la fois inefficace et biaisé. Nous avons vérifié concrètement la validité de ces conclusions dans des travaux réalisés récemment.
Cela ne serait pas grave si, promotion de lycéens après promotion de lycéens, notre pays n'avait pas besoin que se lève le maximum d'entrepreneurs possibles, créateurs des emplois et de la richesse de demain. Malheureusement, et en dépit de quelques témoignages de professeurs qui nous disent s'affranchir des manuels et programmes pour présenter l'entreprise sous un jour favorable, programmes et manuels issus de ces programmes abordent l'entreprise privée sous un angle au mieux défavorable, au pire biaisé et destructeur.
[(Jérôme Dedeyan est Associé fondateur et Président du courtier grossiste et plate-forme Debory Eres, membre de l'Association Progrès du management, qui regroupe plus de 5.000 dirigeants d'entreprises, et chroniqueur sur BFM Business. Avec ses associés, il tient le blog partageduprofit.com. Père de 5 enfants dont 3 lycéens.)]
Deux manuels de Sciences Économiques et Sociales de classe de seconde (Bordas et Belin) ont été disséqués par nos soins. Ils présentent les caractéristiques suivantes :
Un respect « à la lettre » du programme
Une forme pédagogique agréable, avec des dossiers par thème, de nombreuses illustrations et extraits, des travaux pratiques en nombre.
Un programme inefficace car trop ambitieux
Le programme mélange économie et sciences sociales, croisement ô combien fructueux pour un étudiant ou un chercheur mûr, maîtrisant les bases des concepts économiques. Mais comment exiger d'un élève de lycée, qui plus est en seconde, qu'il fasse preuve de réflexion personnelle sur les comportements de consommation « marqueurs sociaux » s'il ne maîtrise pas les concepts micro-économiques de base (pyramide des besoins, arbitrage consommation/épargne, élasticité prix, … ) ? Qu'il réfléchisse sur la mondialisation s'il ne maîtrise pas les concepts de fonctionnement des économies ouvertes / fermées, d'avantage compétitif, de solde du commerce extérieur et de la balance des paiements… ?) Qu'il puisse faire preuve de jugement personnel sur l'impact des politiques de redistribution sur la croissance et l'emploi si on ne lui apprend pas préalablement les différents types de prélèvements obligatoires et leurs utilisations possibles par la puissance publique en dépense ? ET les limites du déficit public ? Qu'il comprenne l'importance de l'entreprise privée et de son succès pour le confort et la richesse d'une nation si on lui présente l'entreprise comme « une des organisations qui produit » sans lui expliquer que c'est la seule à produire des biens et services taxables (TVA, Impôt sur les sociétés,…) qui financent largement la dépense publique ? Qu'il comprenne que la vie au travail n'est pas exclusivement une vie de lutte et de conflits si on ne lui parle pas des avancées du Code du Travail et de l'amélioration des conditions au fil du temps ?
Il faudrait commencer par revenir à l'apprentissage des notions économiques de base.
Une vision biaisée du marché du travail
Sur les manuels produits par les éditeurs à partir des programmes : chacun des manuels étudié donne à sa manière une vision au mieux pessimiste au pire biaisée des dirigeants d'entreprises, de l'économie de marché, de la société, qui, promotion après promotion, éloigne un peu plus les Français de leurs entreprises et de l'entrepreneuriat et développe un antagonisme de classe peu propice à la construction d'une cohésion sociale indispensable à la nation.
Quelques exemples :
Les chefs d'entreprises cités sous un jour favorable sont au nombre de deux sur une douzaine dans l'un des manuels : Un sympathique pizzaïolo, hélas fictif, passant de la camionnette à la pizzéria en dur en créant un emploi, et Yves Rocher, probablement parce qu'un des (exclusivement) enseignants concepteurs du manuel était de La Gacilly dans le Morbihan ? La dizaine d'autres chefs d'entreprises cités avec description de leur entreprise sont, à l'exception de Louis Renault -dont le passé sous l'occupation est rappelé- étrangers, dans le secteur des produits et services aux particuliers (Zara, Red Bull, Apple…), et cités sous l'angle des dégâts écologiques ou sociaux causés par leur entreprise. Dans un autre manuel, 8 dessins humoristiques mettent en scène un ou des patrons, toujours sous un jour défavorable : en train de licencier, de gruger un salarié sur son augmentation, de ricaner en soulignant l'importance supérieure du capital sur le capital humain, de commander un café à une surdiplômée,…
On ne prononce dans aucun des manuels les mots « Participation aux bénéfices » ou « Intéressement » quand on parle du partage de la valeur ajoutée. Ce partage est présenté comme ayant évolué au détriment des salariés au fil du temps, alors qu'il y a autant d'études sérieuses qui disent le contraire, notamment dans les PME, mais elles ne sont pas citées
Dans un des manuels, on ne parle pas du tout du dialogue social, dans l'autre on en parle en 2 sous-chapitres : un intitulé « la représentation du personnel » (qui contient une description technique : Délégués du Personnel, Comité d'Entreprise, Comité d'Hygiène et de Sécurité au Travail, Délégués Syndicaux), l'autre intitulé « Le conflit dans l'entreprise » abondamment pourvu d'exemples. On cherche an vain un 3e sous-chapitre sur le dialogue quand il se passe bien, sur l'amélioration des conditions de travail au fil des âges, sur les accords d'entreprise (les plus nombreux), signés sans conflit !
Dans les deux manuels, riches et pauvres, ceux qui ont et ceux qui n'ont pas, sont systématiquement opposés, avec des procédés aussi caricaturaux que « Rolex contre montre à 1 euro », « Taxi contre Transport en commun », « Résidence privée contre bidonville ». Vous en voulez encore ? « Bugatti contre Logan », « pratique du golf contre kick boxing » …. Salaire d'un échantillon de patrons du CAC40 contre Smic… sur ce dernier point, aucun des deux manuels ne présente la réalité du terrain : le salaire moyen (61.000 euros) du patron de PME, et son écart type (26.000 euros dans l'hôtellerie–restauration, 81.000 euros dans la recherche scientifique et technique).
Dans le même ordre d'idée : dans aucun des deux manuels, rien sur le commerce extérieur, rien sur le client, rien sur le risque des actionnaires, rien sur le financement des entreprises, rien sur les entreprises de production de biens intermédiaires ou sur le secteur financier. Il faudrait réhabiliter l'entreprise et le chef d'entreprise dans l'enseignement de l'économie, avec des exemples concrets donnant envie.
Dans d'autres pays, les manuels d'économie sont orientés différemment
L'analyse que nous avons réalisée sur des exemples de manuels équivalents étrangers donne un contraste saisissant :
**En Allemagne
Les manuels et programmes sont décentralisés au niveau des Länders. Les deux que nous nous sommes procurés (l'un utilisé en Bavière, l'autre dans la Ruhr et à Francfort) fournissent des notions économiques de base, distinguent entre création de richesse de la nation et redistribution de cette richesse, parlent de façon équilibrée du partage de la valeur en décrivant la « SozialeMarktWirtschaft », ou économie sociale de marché, base du consensus des allemands avec leurs entreprises. Ils présentent les secteurs d'activité un par un, en mentionnant les atouts du pays dans chacun, ainsi que leur contribution aux excédents de la balance commerciale. L'un présente même au même niveau qu'un secteur d'activité l'entrepreneuriat. Les lycéens peuvent se soumettre à un test pour voir s'ils ont les caractéristiques qui fait d'eux un entrepreneur en puissance, ils peuvent réaliser leur premier « Business Plan » et découvrir comment faire croître leur future entreprise.
**Aux États-Unis
L'enseignement est également très décentralisé, les ouvrages utilisés sont nombreux, mais orientés exclusivement sur le contenu micro et macro-économique, souvent traités comme deux sujets séparés. Nous nous sommes procuré le guide d'utilisation destiné aux professeurs d'un des ouvrages les plus couramment utilisés en sciences économiques Whatever Happened to Penny Candy ?, ouvrage scolaire d'Economics appartenant à une série d'ouvrages à la forme pédagogique originale puisque construits à la manière d'un roman épistolaire, et exploités par les professeurs au moyen de contenus complémentaires, exercices et contrôles destinés à obtenir une excellente maîtrise des concepts de base et de leurs définitions. Soulignons que ce livre d'économie fait suite dans la série à un livre intitulé Personal, Career, and Financial Security qui met en valeur la contribution des entrepreneurs à la richesse de la nation et souligne l'intérêt et le bonheur d'entreprendre.
La revue de quelques-uns des concepts de ce manuel d'économie est édifiante : La loi de l'offre et de la demande, La spécialisation du travail, la différence entre richesse et monnaie, l'économie comme système de production et de distribution de richesses, Le gouvernement est financé par les impôts, La production est plus importante que le travail, On ne peut consommer plus qu'on ne produit (savoureux s'agissant des États-Unis, nous le reconnaissons volontiers), L'épargne finance les entreprises, Le pouvoir de la capitalisation, La valorisation des compétences rares…. Des renvois à des sources de recherche complémentaires sont systématiques, ainsi que les tests de contrôle des connaissances à chaque étape. Des annexes bien construites sont proposées, telles qu'une fresque historique des principaux événements économiques de l'empereur Constantin à nos jours, mise en parallèle des faits historiques, des principales découvertes scientifiques ou de quelques créations artistiques majeures.
Nous poursuivrons cette étude avec des exemples de manuels scolaires chinois commandés mais pas encore reçus.
**Conclusion
Cette plongée dans les manuels scolaires de sciences économiques (et sociales) ne nous apprend hélas que des choses que nous savons déjà. Ce qui nous frappe le plus est qu'il y ait encore de jeunes Français sortant du système scolaire avec l'envie d'entreprendre. Saluons le travail de terrain de tous ceux qui luttent pour inverser la tendance, professeurs qui utilisent leur liberté pédagogique pour s'affranchir de la pensée dominante, reçoivent des entrepreneurs, emmènent leurs élèves dans des entreprises, associations comme 100.000 entrepreneurs, associations de parents d'élèves qui œuvrent, école par école, à organiser des ateliers professionnels centrés sur l'entreprise.
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Appel à candidaturesLe choix du manuel scolaire par chaque enseignant étant libre, la rencontre d'une équipe de rédacteurs motivée et d'un éditeur permettrait –tout en respectant le sacro-saint programme -, de produire un manuel scolaire de sciences économiques pour nos lycéens plus équilibré, permettant la maîtrise des concepts de base et, qui sait, déclencheur de vocations d'entrepreneurs ? Mais les professeurs l'utiliseraient-ils ?)]