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Echec des élections syndicales dans les TPE avec 5,4% de participation

Les élections des représentants des salariés dans les TPE se sont tenues cette année du 22 mars au 6 avril 2021 par internet et par courrier. Il s’agissait d’élire les représentants des entreprises de moins de 11 salariés, soit 4,8 millions de votants. Cette élection qui se tient tous les 4 ans, aurait dû avoir lieu à l’automne 2020 mais l’épidémie de Covid a contraint le gouvernement à la repousser. Les résultats ont été annoncés le 16 avril dernier et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont catastrophiques : un peu moins de 266 000 salariés ont voté, soit un taux de participation de 5,44%. En 2017, le taux de participation pour cette élection avait à peine dépassé le 7% alors qu’il était encore de 12% en 2012.

Les résultats

Au niveau national et interprofessionnel, la CGT arrive en tête avec 26,3% des suffrages exprimés devant la CFDT (16,4%) et l’UNSA (15,8%).

La CGT a progressé d'un peu plus d'un point par rapport à 2017 : elle se situait à cette date à 25,12 %. Elle a conservé son écart en pourcentage avec la CFDT qui se plaçait déjà à la deuxième place à 15,49 % mais cet écart a diminué en voix : de 32 000 voix d’avance en 2017, l’écart n’est plus que 25 000 voix. Mais c'est l'UNSA qui a créé la surprise. En 2017, elle avait fait un bond de 5 points, à plus de 12,35 %. Avec un score de 15,89 %, elle progresse à nouveau de 3,5 points. Elle est à moins de 2000 voix d’écart avec la CFDT alors qu’elle se situait à 10 000 voix d’écart en 2017. Une progression qui lui permet de ravir la troisième place à Force ouvrière, qui, avec la CFTC, affiche un fort recul.

Unanimement, le ministère du Travail et les syndicats ont déploré la faible mobilisation :

  • « Peut-être les salariés ne voient-ils pas suffisamment l'enjeu du scrutin bien qu'il ait un impact sur les discussions qui se mènent au niveau des branches et interprofessionnel » a déclaré Elisabeth Borne ;
  • Philippe Martinez a jugé que « on ne peut pas se satisfaire d'un tel taux de participation ». « Le gouvernement doit réfléchir parce qu'on les a souvent alertés sur la mauvaise organisation, le report [du scrutin], les problèmes de transmission des éléments de vote. Il faut revoir le mode de scrutin parce que les salariés des TPE comme les autres ont le droit d'être représentés » ;
  • La CFDT par la voix de sa secrétaire nationale en charge du dossier, Inès Minin, a déploré la faiblesse du taux de participation qui « doit nous interroger collectivement » ;
  • FO de son côté a déclaré qu'il « savait que cette élection ne serait pas représentative de la réalité de l'action syndicale quotidienne ; c'est pourquoi, il nous apparaît nécessaire de nous interroger sur la pertinence de ce scrutin » ;
  • Le président du Haut-Conseil du dialogue social, Jean-Denis Combrexelle, a reconnu : "en dépit des efforts d'information faits par les pouvoirs publics et par les syndicats, il est apparu (en 2017) que le scrutin était mal connu et surtout que les salariés n'en comprenaient pas l'utilité"

Les enjeux : mesurer la représentativité syndicale

Ces élections ont pourtant des conséquences importantes, en tout cas sur le papier, dans la vie des salariés français : le scrutin participe à la mesure de l'audience des syndicats au niveau interprofessionnel et dans les branches. Il sert également de base pour désigner des conseillers aux prud'hommes et des représentants dans les Commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI).

Ce premier point est certainement le plus important : les résultats de cette élection contribuent à mesurer l’audience des organisations syndicales et à déterminer leur représentativité au niveau national et au sein de chaque branche professionnelle. Ces syndicats dits représentatifs peuvent négocier les accords collectifs et conventions au niveau interprofessionnel et au sein des branches. L'audience des syndicats dans le privé est calculée tous les quatre ans en additionnant les suffrages exprimés dans le cadre des élections des comités sociaux et économiques (CSE) présents dans les entreprises de plus de onze salariés, les suffrages des salariés agricoles, et les suffrages des salariés des TPE.

En pratique, les résultats se cumulent à ceux des élections professionnelles dans les entreprises de plus de 10 salariés sur les quatre dernières années pour calculer la représentativité syndicale dans le privé.

Au niveau national et interprofessionnel, comme au niveau des branches professionnelles, une organisation syndicale doit recueillir au moins 8% des suffrages exprimés et satisfaire aux autres critères de représentativité (respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté de deux ans, influence, effectifs d’adhérents et cotisations) pour être représentative et donc être en capacité de signer des accords collectifs. Les résultats des suffrages permettent de déterminer la liste des syndicats qui atteignent le seuil des 8%. Parmi ceux-ci, est ensuite établi le poids respectif des syndicats représentatifs. Les derniers datent de 2017 : une nouvelle liste sera mise en place en 2021.

A l'issue du vote, la Direction générale du travail (DGT) présente les premiers résultats de l’audience syndicale aux partenaires sociaux réunis au sein du Haut Conseil du dialogue social (HCDS) et plus de 410 arrêtés de représentativité syndicale sont ensuite publiés au Journal Officiel dont Les résultats définitifs de la représentativité syndicale au niveau national et interprofessionnel.

C'est la loi de 2008 qui a amendé la définition de la représentativité syndicale avec un processus assez complexe à établir (voir encadré)

Comment se mesure la représentativité syndicale

Jusqu’en 2008, la question de cette représentativité ne se posait pas pour les syndicats qui adhéraient aux cinq confédérations reconnues par arrêté « représentatives au niveau national » : CGT, CGC, FO, CFTC et CFDT. La réforme n°2008-789 du 20 août 2008 a mis fin à ce traitement différencié en supprimant le système de la représentativité présumée et en rénovant les critères. La représentativité d’une organisation syndicale s’apprécie désormais selon sept critères cumulatifs énumérés par l’article L. 2121-1 du Code du travail :

Le respect des valeurs républicaines : Le respect des valeurs républicaines implique le respect de la liberté d’opinion, politique, philosophique ou religieuse ainsi que le refus de toute discrimination, de tout intégrisme et de toute intolérance.

L’indépendance : L’indépendance du syndicat vis-à-vis de l’employeur doit être morale et financière.

La transparence financière : le critère de la transparence financière permet de vérifier l’utilisation faite des deniers et leur origine. Pour ce faire, la loi impose l’établissement et la publication de documents comptables aux syndicats comme éléments de preuve de ce critère.

Une ancienneté minimale de deux ans : Pour éviter la création de syndicats nouveaux juste avant les élections.

L’influence : caractérisée par l’activité et l’expérience : l’influence s’apprécie au regard de l’ensemble des actions du syndicat.

Les effectifs d’adhérents et les cotisations : l’importance des effectifs est estimée par rapport à l’effectif de l’entreprise ou de l’établissement. La loi ne fixe pas de taux de cotisation minimal. Il faut cependant que les cotisations soient significatives.

Et enfin l'audience

Notons par ailleurs que l’exigence d’une telle capacité se pose également pour les organisations patronales, qui doivent satisfaire à des critères de représentativité inspirés de ceux exigés des organisations de salariés. Au niveau national, 3 organisations patronales sont représentatives depuis 2016 et jusqu’aux futures élections en 2021 : le MEDEF (70%), la Confédération des petites et moyennes entreprises CPME (25%) et l’Union des entreprises de proximité U2P (4%).

En ce qui concerne les prud’hommes 

Le conseiller prud’hommes est un juge non-professionnel chargé de trancher les litiges entre employeurs et salariés qui surviennent à l’occasion de l’exécution d’un contrat de travail. Ils sont proposés sur liste par les organisations syndicales et patronales au ministère du Travail et au ministère de la Justice, qui les désignent. Depuis la loi du 18 décembre 2014, la désignation des conseillers prud'hommes est donc fondée sur la mesure de l'audience des organisations syndicales, déterminée notamment grâce aux résultats de l’élection syndicale TPE. Paradoxalement, en 2014, le projet de loi votant la suppression des élections prud'homales avançait la faible participation des employeurs et des salariés aux élections prud'homales et des coûts élevés de scrutins pour les supprimer. L'organisation des élections de 2012 a coûté de l'ordre de 20 millions d'euros pour l'État ce qui, ramené à moins de 500 000 votants, donne un coût de près de 42 euros par suffrage. Ce coût est à comparer à celui des élections prud'homales de 2008, qui, selon le « rapport Richard » d'avril 2010, s'élève à 91,596 millions d'euros, soit 4,77 euros par électeur inscrit, et 18,7 euros par suffrage.

La réforme a-t-elle permis de changer l'image des prud'hommes considérés par beaucoup de chefs d'entreprise comme une machine à perdre, qui donne toujours raison au salarié et jamais à l’employeur ? En étant désormais désignés par les organisations syndicales et patronales, ils ne seront pas plus indépendants. Le problème est surtout, selon un récent rapport du Sénat, que les conseillers prud’hommes ne seraient pas toujours perçus comme des juges à part entière, certains avocats estimant que le conseil des prud’hommes « ne constitue qu’une étape préalable et que la phase judiciaire ne s’ouvre à leurs yeux qu’au stade de la cour d’appel ». Une perception qui explique un taux d’appel important.

Le rôle des Commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI)

Ces commissions sont des nouveautés nées de la loi Rebsamen de 2016. Elles sont censées constituer un espace de dialogue social dédié aux TPE en matière d’emploi, de formation, de conditions de travail, de santé au travail, d’égalité professionnelle ou encore sur des conflits individuels ou collectifs. Elles peuvent mettre en place des services et avantages à l'image des œuvres sociales et culturelles des comités sociaux et économiques (CSE) ou encore servir de médiateur en cas de conflit entre un salarié et son employeur. Elles s'inspirent de commissions similaires mises en place dans le secteur de l'artisanat.

Mises en place en 2017, les Commissions paritaires régionales sont composées de vingt membres désignés pour moitié par les organisations syndicales et pour l’autre moitié par les organisations professionnelles d’employeurs, selon les conditions suivantes :

  • 10 sièges pour les organisations syndicales de salariés réparties proportionnellement à leur représentativité dans la région ;
  • 10 sièges pour les organisations syndicales patronales réparties proportionnellement à leur audience dans la région.

Pour l'attribution des sièges, la parité entre les femmes et les hommes doit être respectée. Les membres de la commission sont désignés pour 4 ans et leur mandat est renouvelable. Dans le cadre de leur fonction, les membres de la CPRI ont accès aux entreprises, sur autorisation de l'employeur.

Les salariés membres de la CPRI doivent disposer du temps nécessaire à l'exercice de leur mission, ne pouvant excéder 5 heures par mois. Le salarié doit informer son employeur de l'utilisation de son crédit d'heures au plus tard 8 jours avant la date prévue d'utilisation. Le temps passé à l'exercice de la mission est considéré comme du temps de travail effectif.

L'étude d'impact publiée au moment de la discussion du projet de loi Rebsamen mentionne différents arguments à l'appui de la création de ces CPRI :

Les salariés des TPE n'ont pas accès à une forme de représentation qui traite de problématiques spécifiques aux TPE (par exemple en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou de santé au travail), ou qui améliore l’information des employeurs comme des employés. "Les comparaisons internationales montrent que certains de nos voisins ont des dispositifs plus aboutis pour faciliter la représentation des salariés des TPE", citant l'Allemagne, même si le rapport reconnaît que dans les faits, les petites entreprises disposent tout de même de peu de conseils d’entreprise. Environ 10% et 11% des salariés des entreprises de 5 à 50 salariés disposent d’un CE.

Le projet de loi admet avoir étudié l'abaissement du seuil pour la représentation du personnel dans l'entreprise mais reconnaît que cette solution aurait soulevé trop de difficultés. En optant pour une représentation extérieure, le texte n'autorise pas non plus les membres à se rendre dans une entreprise sans autorisation de l'employeur.

Au final, l'intérêt des CPRI est difficile à cerner : la plupart d'entre elles n'ont pas de sites internet, ne présentent pas de bilan ou alors présente toujours le même texte. On cherche en vain l'apport de cette nouvelle représentation paritaire. D'autant que les textes de présentation suggèrent que la CPRI travaille avec d'autres instances paritaires de concertation comme les Ceser, les Crefop et les Coparef, ce qui conduit vraiment à s'interroger sur le doublonnage de toutes ces structures.

Le recul de la syndicalisation toujours pas encore endigué 

Comme le montre la réforme de 2008 sur la représentativité, celle de 2014 sur les conseillers prud'homaux, la loi Rebsamen de 2016 sur la création des CPRI ou bien encore les récentes ordonnances travail de 2017, les pouvoirs publics cherchent à relancer l'adhésion et la représentation des salariés par les syndicats sans toutefois parvenir à faire remonter le taux de syndicalisation qui en France demeure très bas :

Un salarié sur dix seulement adhère à un syndicat en France. Dans le secteur privé, ce taux est de l’ordre de 8,4 %, contre 19,1 % dans le secteur public, selon le ministère du Travail qui n’a publié aucune analyse sur le sujet depuis 2016, sauf l’actualisation du taux de syndicalisation. La proportion ne serait que de 5 % dans les entreprises de moins de 50 salariés et encore très inférieur dans les plus petites entreprises.

Des syndicats toujours à la recherche d'adhérents

Si les salariés ne sont pas enclin à se syndiquer, c'est parce qu'en France, l'adhésion n'offre pas de services concrets. Le pouvoir de négociation des syndicats au niveau national ou de branches dépend surtout des éléctions professionnelles, même si le taux de participation reste faible. La transformation de l'appareil productif avec la montée des services, la place ultra majoritaire des PME dans notre économie contribuent également à priver les syndicats de nouveaux adhérents et et à se replier sur leurs bastions historiques (fonction publique, industrie, entreprises publiques). Du coup les combats syndicaux ne mobilisent pas et les prises de position parfois très politiques ne prennent pas auprès des salariés.

Aujourd'hui certains syndicats cherchent à reconquérir des adhérents : c'est le cas par exemple de l’UNSA qui a lancé une adhésion à deux euros (voir encadré) ou la CFDT qui a lancé une offre de deux mois gratuits sans engagement. Pour le patron de la CFDT, c'est une façon de renouer avec un "syndicalisme d'utilité", qui "n'enlève rien à l'aspect revendicatif", selon luihttps://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/pour-doper-les-adhesions-les-syndicats-tentes-par-les-promos_2135214.html. C'est le système de Gand que nous avions décrit. Cette reconquête des adhérents correspond aussi à l'esprit du chèque syndical qu'avait proposé Emmanuel Macron durant sa campagne présidentielle mais qui n'aura pas été mise en oeuvre.

L’UNSA lance une adhésion à deux euros

Laurent Escure, secrétaire général de l'UNSA : « La première chose à faire est de les faire adhérer à un syndicat, quel qu’il soit. Pour notre part, nous avons lancé le 3 novembre dans les Hauts-de-France, une action nationale où l’on peut adhérer en trois clics, pour 2 euros par an, déduction fiscale comprise, ce qui donne droit à une couverture juridique, à des réductions sur des produits d’actions sociales ou culturelles, à des aides, à une défense du salarié. La crise va faire encore beaucoup de casse. Nous créons le réseau des Z’aideurs pour nous mettre à disposition des salariés non syndiqués. Il faut consacrer du temps pour aider les TPE, les commerces, les associations. On s’inspire des syndicats italiens qui, après l’ère Berlusconi, catastrophique pour la représentation syndicale, avaient ouvert des milliers de permanences de proximité dans tout le pays. Il faut aujourd’hui bâtir patiemment un vaste réseau de solidarité, à la française. Nous allons lister un maximum de salariés en TPE, une secrétaire médicale, votre coiffeuse, un vendeur en boucherie, la standardiste d’un cabinet, d’une agence, on en connaît tous. Notre réseau UNSA TPE met en place une foire aux questions pour répondre à tout le monde. Et faire grimper le taux de syndicalisme qui est de 11 % seulement en France (à peine 8 % dans le privé). »

La Voix du Nord, 23/11/2020