Écart sur les chiffres du chômage : en sens du BIT ou de Pôle Emploi ?
Les statistiques sur le chômage sont diverses. Celles dont on dispose sur longues périodes – périodes qui ne coïncident pas toujours -, conduisent à une vue du chômage assez différente de celles que l’on a en ayant les yeux fixés sur l’évolution à court terme. Ci-dessous, quelques graphiques et réflexions qui soulèvent des problématiques à propos de différentes statistiques du chômage sur longue période, à compter de 1975 pour les uns et 1996 pour les autres.
Ils posent la question de l’attitude à l’égard du travail et le rapport entre les deux méthodes reconnues de décompte du chômage (enquête BIT et inscriptions à Pôle emploi). Concernant ces deux méthodes de calcul, leurs courbes étaient proches l’une de l’autre jusqu'en 2012. Désormais, la méthode BIT référence une baisse du nombre de chômeurs non reflétée dans le chiffre des inscrits en catégorie A : de 2012 à 2017, l'écart est passé de 164.000 à 800.000 personnes.
Chômage 1975 – 2018 au sens du BIT
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Sur longue période, on voit que les deux courbes augmentent et accusent une montée très forte du chômage entre 1975 et 1993, de 2,9% à 10%. Entre 1993 et maintenant le taux de chômage oscille autour de 10%, et le nombre de chômeurs autour de 2,5 millions. Les courbes montent à partir de 2000 (c’est l’entrée en vigueur des 35 heures…), puis de nouveau fortement en 2009 et entre 2011 et 2014, avant de baisser depuis. Le niveau est le même à l’heure actuelle qu’en 1992 et 1998, et l’allure générale des courbes montre qu’il faut une forte inversion de tendance pour que le taux redescende à 7%, chiffre qui n’a pas été atteint depuis 1990.
Le croisement des deux courbes en 2008 semble suggérer que l’accroissement de la population, qui est une droite rectiligne sur la période, de 52,6 à 64,9 millions, est mieux qu’absorbé (le taux étant le rapport entre le nombre de chômeurs et la population active, le numérateur n’augmente pas en même proportion que le dénominateur), mais il faut être prudent puisque la population active n’évolue pas de la même façon que la population totale.
Chômage au sens du BIT vs demandeurs d’emploi en catégorie A 1996 – 2018
Comme on le sait, le calcul du chômage se fait selon deux méthodes très différentes. L’une se fonde sur une enquête réalisée par l’Insee (méthode BIT) et sert de base aux comparaisons internationales. Elle décompte les chômeurs n’ayant pas du tout travaillé pendant la période considérée, disponibles dans les deux semaines et en recherche active d’emploi. L’enquête est trimestrielle et permet de contacter 50.000 logements. L’autre décompte simplement les inscrits à Pôle emploi, divisés en cinq catégories. La catégorie A rassemble les chômeurs n’ayant pas du tout travaillé, mais sans condition de disponibilité et avec un critère de recherche apprécié par Pôle emploi. C’est donc la catégorie qui se rapproche le plus du chômage au sens du BIT. On n’oubliera cependant pas les différences induites par le fait que dans un cas il s’agit des résultats d’une enquête, et dans l’autre du décompte mathématique d’inscriptions qui peuvent avoir perdu leur pertinence.
Les deux courbes sont proches l’une de l’autre, mais on note qu’elles divergent fortement à partir de 2012, et particulièrement très récemment, la méthode BIT référençant une baisse du nombre de chômeurs non reflétée dans le chiffre des inscrits en catégorie A. De 2012 à 2017, l'écart est passé de 164.000 à 800.000 personnes. On notera que le chiffre de Pôle emploi pour janvier 2018 indique une quasi-stagnation du nombre des inscrits. Les économistes s’interrogent sur l’interprétation à donner à cet écart, dont on rappelle quand même qu’il est sensible depuis six années.
Le halo autour de chômage 2003 – 2018 (Insee, au sens du BIT)
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Cette notion de halo regroupe les personnes qui souhaitent travailler mais ne sont pas disponibles et/ou pas en recherche d’emploi. Cette catégorie est très difficile à identifier quant aux motifs des personnes ayant répondu à l’enquête.
On note que le chiffre du halo augmente régulièrement depuis 2008, passant de 1,2 million à près d’1,5 million. Contrairement aux chiffres des chômeurs selon les deux méthodes, il ne diminue pas depuis 2014, son évolution étant toutefois plus lente, et son nombre en chiffres absolus plus faible, que pour le chiffre des chômeurs.
Il y a une certaine coïncidence entre cette augmentation et l’écart remarqué sur le graphique précédent entre le chiffre du BIT et celui de Pôle emploi. Il pourrait s’agir du fait que les personnes dans le halo au sens du BIT sont malgré tout inscrites à Pôle emploi mais pas suffisamment actives dans la recherche d’emploi.
Chômeurs dans les catégories B et C de Pôle emploi, 1996 – 2018
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Les catégories B et C regroupent les chômeurs inscrits qui sont en travail réduit (moins de 78 heures en catégorie B, 78 heures et plus en catégorie C). Leur nombre augmente brusquement à partir de 2008, de 1 à près de 2,2 millions, c’est-à-dire qu’il fait plus que doubler durant cette période, alors que le nombre de chômeurs de catégorie A ne fait qu’augmenter de 2,5 à 3,5 millions et que le nombre de chômeurs au sens du BIT est censé revenir au même niveau qu’en 2008.
La hausse du chômage est donc due pour plus de la moitié à celle des catégories travaillant de façon réduite et cherchant à travailler davantage. L‘enquête de l’Insee portant sur les personnes en temps partiel en sous-emploi montre par ailleurs qu’elles sont 1,5 million en 2017, n’ayant augmenté que d’environ 300.000 depuis 1996. Il est toujours hasardeux de tirer des enseignements de statistiques d’origine différente ; cependant le rapprochement suggère qu’il ne s’agit pas de temps partiel dans le chiffrage des catégories B et C par Pôle emploi, mais probablement de travail irrégulier, en rapport avec l’utilisation des CDD. La DARES remarque de son côté le nombre de CDD a nettement augmenté entre 2000 et 2012 cependant que la durée des contrats a baissé.
Demandeurs d’emploi inscrits dans les catégories A, B et C par âge, 1996 – 2018
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On remarque qu’à partir de 2007 la forte remontée du chômage est à peu près identique chez les 25 – 49 ans et chez les plus de 50 ans, mais qu’elle n’est pas due à la catégorie des chômeurs de moins de 25 ans. Le nombre de ces derniers est même inférieur en 2017 à ce qu’il était en 1996. Ceci paraît contre-intuitif, compte tenu de la médiatisation entourant le problème du chômage des jeunes. 750.000 jeunes sont inscrits à Pôle emploi en 2017, contre 3,5 millions entre 25 et 49 ans, et près de 1,5 million de plus de 50 ans. Il semble donc que la question de la qualification des travailleurs ne coïncide pas avec celle touchant la qualification des moins de 25 ans, et qu’elle touche au contraire la population des salariés quel que soit leur âge.
Ceci n’empêche pas que des efforts particuliers soient faits en faveur des jeunes. Ainsi on sait que les divers contrats aidés regroupés dans la catégorie E sont surtout réservés aux jeunes. Le graphique ci-dessous montre que la catégorie E augmente fortement à partir de 2004 et aussi de 2007 après un bref palier. Entre 2007 et maintenant, l’augmentation est de 150.000 personnes. Ce chiffre est toutefois insuffisant pour expliquer la plus faible augmentation des jeunes chômeurs.
Conclusion
Depuis 1992, le chômage se maintient à un étiage d’environ 10%, même si de nombreux soubresauts sont visibles, qui d’ailleurs ne coïncident pas nécessairement avec les périodes de croissance économique ou de crise. C’est ainsi qu’en France du moins, le chômage a baissé dès 2009 pour reprendre à partir de 2012 alors que la conjoncture s’améliore.
Les années les plus proches sont marquées d’une part par la montée du halo autour du chômage et d’autre part, probablement, par les effets du développement du travail précaire, à voir la hausse du chômage des travailleurs à durée réduite.
Par ailleurs, le chômage des jeunes ne paraît pas, à s’en tenir aux statistiques, être une caractéristique française, et le problème de qualification doit se poser de façon uniforme pour toute la population, mais il est diminué pour les jeunes par les efforts de formation et d’emploi réalisés par l’Etat en leur faveur particulière.
Enfin, se pose une question dont on n’a pas la réponse, relative à l’explication de la différence entre les chiffres de Pôle emploi et ceux auxquels parvient l’Insee à la suite de son enquête, différence qui se remarque par le fait que, sauf sur la période 2005 – 2010, les chiffres du chômage au sens du BIT sont substantiellement inférieurs à ceux des inscriptions à Pôle emploi sous la catégorie A. Le salarié travaille de plus en plus par intermittence, il s’inscrit à Pôle emploi mais n’est pas nécessairement disponible ni en recherche d’emploi. Il faudrait vraiment tenter de déterminer dans quelle mesure le chômage ne devient pas un événement de la vie auquel le salarié finit par s’habituer, avec d’autant moins de réticence que le traitement du chômage est plutôt favorable financièrement parlant, que les gains financiers apportés par un nouveau travail sont vite absorbés par la fiscalité, et aussi parce qu’il est difficile de trouver un travail correspondant à son désir et à son ambition. Autrement dit, n’y aurait-il pas une attitude nouvelle à l’égard du travail, et corollairement du chômage ?