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Données de santé en France : inaccessibles

Mediator, pilule de 4ème génération, sur-exposition radiologique, les erreurs et les accidents thérapeutiques sont inévitables. Mais les retards mis à les détecter et l‘opacité des procédures jettent un doute sur la filière de santé : même les vaccins sont suspects, et de plus en plus de Français les refusent pour eux et pour leurs enfants. La transparence sur les données de santé pourrait permettre aux Français de retrouver la confiance dans leur système de soins, mais, malgré leurs engagements, l'État et l'Assurance maladie semblent aller vers l'avenir à reculons.

Sans remonter plus loin dans le passé [1], le nouveau gouvernement a d'abord demandé des constats. D'abord le rapport de juillet 2013 de Jean-Yves Grall, directeur général de la santé, sur « La réorganisation des vigilances sanitaires », puis, en septembre 2013, celui de Bernard Bégaud, et Dominique Castagliola sur « La surveillance et la promotion du bon usage du médicament en France ».

Comme on pouvait s'y attendre, ces deux rapports ont constaté que ni la vigilance ni la surveillance ne sont assurées de façon satisfaisante dans le domaine de la santé en France. Pour améliorer la situation de façon significative, des réorganisations des services administratifs concernés ou des distributions de conseils aux professions médicales ne sont pas inutiles, mais la véritable solution serait d'exploiter les données médicales disponibles. Un troisième rapport a donc été commandé et remis par Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, et André Loth, administrateur général, directeur de projet à la DREES, en septembre 2013 sur « La gouvernance et l'utilisation des données de santé ».

Une situation française a priori idéale

Nous avons d'un côté la chance de disposer en France de bases de données de santé publiques, uniques au monde, financées par des prélèvements obligatoires, et portant sur les dépenses et les pratiques de soins ambulatoires et hospitalières. C'est la raison pour laquelle, unanimement, elles sont reconnues par la communauté des économistes et des chercheurs comme ayant un potentiel d'une extrême utilité pour accroitre la connaissance à des fins de santé publique ou pour améliorer l'efficience du système de santé.

Nous avons d'un autre côté une structure chargée de favoriser l'accès à ces bases de données de santé publique, l'Institut des Données de Santé (IDS). Cette structure, composée notamment de la société civile, devrait agir selon la loi comme une sorte d'autorité de régulation, comme cela existe dans d'autres domaines afin de permettre, dans le cadre de règles équitables et respectées par tous, un usage très large de ces bases de données publiques.

Nous avons enfin au centre de ce dispositif, la ministre de la santé qui, par simple arrêté ministériel, sur proposition de la structure chargée de favoriser l'accès aux données de santé publique et après avis de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés, peut autoriser les accès.

Nous pourrions donc considérer que nous vivons dans un monde parfait. Que le contribuable qui a financé la mise en place de ces bases de données de santé publique pourrait en tirer un juste retour sur investissement grâce à la réalisation d'études et de recherches conduisant à des soins réalisés au meilleur coût, à la prévention d'un risque sanitaire ou encore à une meilleure répartition de l'offre de soins sur le territoire. Les dernières affaires sanitaires portant sur le médicament, Médiator et Diane 35, ont montré combien un usage très large de ces données aurait permis, soit de connaître beaucoup plus tôt leur mésusage, soit de prévenir beaucoup plus tôt le risque encouru.

La situation réelle

Eh bien non. Aujourd'hui, l'usage des bases de données de santé publique est exclusivement réservé à quelques organismes publics, des "sachants happy few" triés sur le volet. Leur usage est interdit à la société civile - associations de patients, sociétés de services etc. Le citoyen contribuable doit ainsi s'en remettre à ces quelques organismes publics pour apprécier l'efficience du système de santé, prévenir un risque sanitaire ou tout simplement connaître comment sont alloués les prélèvements obligatoires dans un juste souci de transparence démocratique. Force est de constater cependant que ces organismes publics n'ont pas pleinement joué leur rôle lors des dernières crises sanitaires, et qu'en outre, juge et partie, il leur est difficile de critiquer un système de santé qu'ils sont censés gérer… Alors que l'intérêt du citoyen est de disposer d'analyses contradictoires émanant de différents organismes, publics et privés, de nature à faire progresser la connaissance. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'iFRAP a signé la pétition « Liberté pour les données de santé ».

Face à cette situation, la ministre de la Santé s'était engagée, suite à une décision prise durant l'été par le comité interministériel de modernisation de l'action publique, à organiser un débat public en vue d'élargir l'accès aux données de santé publique. Ce débat devait s'appuyer sur un rapport rédigé par deux hauts fonctionnaires.

La méthode envisagée

Le rapport Bras a été remis début octobre, mais la ministre de la Santé semble avoir oublié son engagement d'organiser un débat public. Alors qu'il existe aujourd'hui des structures qui gèrent les bases de données de santé publique et assurent leur gouvernance, que la ministre de la Santé a autorité sur ces structures, le rapport propose de créer une nouvelle administration. Cet organisme seul détenteur des données, et décisionnaire de leur usage et de leur mise à disposition. Il y a longtemps que ce genre de monopole de l'information, de nationalisation de l'information, n'existe plus dans les sociétés occidentales, politisant ainsi l'usage des données publiques. La création d'un Haut conseil des données de santé, composé notamment de la société civile, au côté de cette nouvelle administration, mais ce Haut conseil ne sera qu'un gadget. Il n'aura aucun statut juridique. Il sera réuni poliment une ou deux fois par an pour écouter les doléances de la société civile. Ce Haut conseil n'aura ni rôle actif ni rôle décisionnel. C'est une manière habile d'exclure la société civile.

Enfin, il n'est prévu aucun redéploiement de moyens des structures existantes vers la nouvelle administration. Il n'apporte aucun chiffrage en termes de coûts d'investissement et de fonctionnement. Il ne prévoit aucun calendrier non plus.

Les exemples de projets centralisés et pharaoniques qui n'ont jamais abouti sont nombreux. Dernier exemple en date dans le domaine de la santé : celui du Dossier Médical Personnel dont chaque citoyen devait bénéficier en 2007. Résultat ? Environ 200.000 dossiers quasiment vides aujourd'hui. La Cour des comptes a d'ailleurs récemment chiffré dans un rapport ce gaspillage d'argent public.

Suite à la remise du rapport des deux hauts fonctionnaires, la ministre de la Santé a demandé un quatrième rapport à Franck Von Lennep directeur de la DREES en diligentant une étude sur « la sécurité des données, la faisabilité juridique et pratique des propositions et les modalités de gestion des bases de données ».

Conclusion

Aussi peut-on s'interroger sur les réelles intentions de la ministre de la Santé. S'agit-il de retarder à travers une énième expertise ce qui paraît inéluctable, à savoir ouvrir l'accès aux données de santé publique ? Dans ce cas on peut se demander pour quelle raison. Y aurait-il des choses à cacher aux citoyens sur le fonctionnement du système de santé qu'il conviendrait de ne partager qu'entre initiés ? Ou bien s'agit-il, de manière habile, d'enterrer les propositions du rapport Bras, en déphasage complet avec une société moderne et ce qui se fait à l'étranger ? C'est la voie de la sagesse. Car pour répondre à la demande de la société civile d'accéder aux données de santé publique, et libérer ainsi les énergies, il suffit pour la ministre de la Santé de le décider sans créer une nouvelle administration.

[1] Bernard Bégaud et Dominique Costagliola avaient déjà publié un rapport sur le même sujet en 2006