Actualité

Dividendes ou comment [encore] décourager l'investissement

Le récent amendement proposé par M. Gérard Bapt, rapporteur du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2015 (PLFSS 2015) et adopté en 1ère lecture par l'Assemblée nationale (qui sera a priori retiré a annoncé Michel Sapin) serait venu encore aggraver la désincitation à investir en capital dans les entreprises françaises et montre à nouveau les effets toujours pervers d'une conception "punitive" de la fiscalité.

Nous avons vu précédemment comment la proposition électorale démagogique de « taxer les revenus du capital comme les revenus du travail » conduit en fait à taxer les produits du capital risqué en entreprise à des taux plus élevés que les revenus d'un contrat de travail, pourtant partiellement garanti contre les aléas économiques par l'assurance chômage ou même les salaires des fonctionnaires, pourtant garantis « à vie ».

Aujourd'hui, c'est de charges sociales qu'il s'agit, avec la même ignorance du risque inhérent à l'investissement en capital.

L'augmentation des charges sociales salariales et patronales et les déplafonnements successifs des principales cotisations tandis que les prestations restaient elles plafonnées a, pour les salaires des cadres supérieurs et dirigeants, augmenté, la part relative de l'impôt (les cotisations au-dessus du plafond qui ne donnent pas droit à prestations) par rapport à celle de l'assurance dans le total des cotisations sociales. Les entrepreneurs, propriétaires de leurs entreprises, qui ne bénéficient pas de l'assurance chômage, pouvaient avoir intérêt, lorsque l'exploitation était bonne, à recevoir de leur entreprise un dividende plutôt qu'une partie de salaire au-delà du plafond.

L'administration a donc eu l'idée de soumettre à cotisations sociales les dividendes versés aux gérants majoritaires de SARL, pour la part de distribution excédant 10% du capital social et le Parlement a inscrit cette mesure dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2015 ; comme la plupart des sociétés en SARL sont de petites entreprises, leur capital social est faible, voisin de l'ancien minimum légal de 50.000 francs soit environ 7.500 euros. En pratique la quasi-totalité du dividende versé au dirigeant majoritaire et aux membres de son foyer fiscal sont devenus soumis à cotisations sociales, sans être pour autant exemptés de L'IS.

Les entrepreneurs concernés ont commencé par réduire les dividendes car le total de l'IS des cotisations sociales, de la CSG et de l'impôt sur le revenu devenait confiscatoire ; ils ont ensuite songé à transformer leur entreprise en SA ou en SAS pour revenir dans le droit commun de l'imposition des dividendes.

Monsieur le rapporteur du PLFSS 2015 a proposé, et l'Assemblée a adopté, un amendement de dernière minute, présenté comme une mesure anti abus, pour soumettre aussi à cotisations sociales les dividendes perçus par les dirigeants majoritaires de SA et de SAS qui excèdent 10% de leur part du capital social. Heureusement, suite à la mobilisation des entrepreneurs, Michel Sapin a déclaré sur RTL que : "Le gouvernement demandera au Parlement […] de modifier et de retirer cette disposition" mais a ajouté "pour qu'on puisse ensuite s'expliquer, qu'elle soit comprise". Cela veut dire entre les lignes que cette mesure, chassée par la porte, si elle n'est pas adoptée cette fois-ci, pourrait revenir dans le débat… par la fenêtre.

La bonne gestion des entreprises familiales, qui ont en général autofinancé leur développement en mettant des bénéfices en réserve, mais sans augmenter le capital nominal, serait pénalisée par une telle disposition. Cette mesure serait très grave pour les ETI (entreprises de plus de 250 salariés) restées familiales car elles doivent distribuer pour permettre aux actionnaires non dirigeants de payer leur ISF.

Comme en 2014, il est à prévoir que le Parlement souhaitait que la référence soit le capital social au 1er janvier prochain, afin que les entreprises ayant des réserves n'aient pas le temps de les incorporer au capital pour réduire les cotisations 2015…

On ne sait quel sort était réservé, dans l'idée du législateur, aux sociétés cotées, mais si elle leur était appliquée un jour, de nouveaux dirigeants actionnaires quitteraient la France puisque les cotisations sociales ne peuvent être prélevées sur les salariés qui ne bénéficient pas de la sécurité sociale en France.

C'est ainsi qu'une fiscalité inspirée par la volonté de punir les revenus financiers en arrive a des effets anti économiques évidents :

  • empêcher les dirigeants d'investir dans les sociétés qu'ils dirigent, ce qui est pourtant considéré comme le meilleur moyen de les responsabiliser,
  • pousser encore un peu plus les dirigeants des entreprisses familiales à l'expatriation.