Critique du livre d'Augustin Landier et David Thesmar : 10 idées qui coulent la France
Ces deux économistes, professeurs respectivement aux prestigieuses École d'économie de Toulouse et à HEC sont visiblement ulcérés par l'uniformité du discours ambiant sur les problèmes de l'économie française, et sur les solutions. Ils ont décidé d'exprimer fortement leur désaccord. Cela fait du bien.
Les dix idées reçues décryptées par les deux auteurs infectent la France depuis longtemps. Mais la crise leur a donné une nouvelle vigueur, en fournissant aux responsables politiques une liste de bouc-émissaires, un catalogue d'explications faciles, et de prétextes à renforcer leur pouvoir.
Une des plus étranges idées reçues dénoncées dans ce livre est « Le culte de la concurrence, voilà l'ennemi ! », qui revient à défendre les monopoles et quasi monopoles aux dépens des consommateurs. Une attitude appréciée par les entreprises mais contre laquelle on croyait que les politiques, défenseurs de l'intérêt général, étaient chargés de nous protéger. Les réticences à ouvrir à la concurrence les secteurs du ferroviaire ou de l'énergie électrique sont des exemples typiques : comme le clament les partisans du protectionnisme, cela protège effectivement les salariés en place, mais pénalise les clients et handicape l'économie française. Il est étonnant que le rapport Gallois ait pu « reprocher à Bruxelles de donner la priorité au consommateur par rapport au producteur » [1] sans déclencher de protestations vigoureuses des parlementaires et des associations de consommateurs.
Deux autres bouc-émissaires derrière lesquels nos responsables s'abritent : l'Europe et la BCE. Une attitude schizophrène puisque nos responsables politiques, syndicaux et économiques réclament plus d'Europe tout en l'accusant d'être à la source de tous nos maux. Dans la plupart des domaines, fiscalité, agriculture, culture, social, retraites, équilibre budgétaire, la France est isolée en Europe. Augustin Landier et David Thesmar en concluent logiquement que si nous rêvons d'un gouvernement européen puissant à Bruxelles, c'est à condition qu'il s'aligne sur ce que veut notre pays. Une curieuse conception du travail en équipe qui a peu de chance de convaincre vu nos résultats. Mais « L'Europe n'est pas une grande France ». Et l'Europe ne suffit pas, c'est carrément à un gouvernement mondial que nos responsables voudraient mettre en place et naturellement guider.
Mais les deux auteurs consacrent une grande partie de l'ouvrage (4 idées reçues sur 10) à dénoncer les solutions impliquant davantage d'intervention de l'État dans l'économie.
- Pour sauver l'emploi, il faut sauver l'industrie.
- Il nous faut un État stratège !
- Les marchés c‘est la dictature du court terme !
- Une grande banque publique est indispensable !
Les « nouveaux mécanismes » sont si fréquents qu'on a tendance à les oublier ; certains ont peut-être même disparu. Ce livre en fait une liste sans doute incomplète mais impressionnante : BDPME, OSEO, CDC Entreprises, FSI, BPI, pôles de compétitivité, rapport Gallois « Pacte pour la compétitivité de l'industrie française », rapport Beffa « Sur la croissance et la compétitivité européenne », rapport Anne Laugeron « Commission 2030 », rapport du Commissariat à la stratégie et à la prospective « Quelle France dans dix ans ? », investissements d'avenir, grand emprunt, ministère du redressement productif, agence pour l'innovation industrielle et les 34 plans pour la relance de l'industrie de cette semaine. Pour les auteurs cette frénésie est stérile, même si ses retombées, sous forme de subventions, sont volontiers accueillies par les milieux patronaux qui y voient sans doute un moyen de récupérer une partie des excès de prélèvements obligatoires.
C'est le déferlement politico-médiatique en faveur de l'industrie industrielle qui a sans doute décidé les auteurs à écrire ce livre. Même si personne ne parle plus de rouvrir des mines de charbon ou du retour à la terre, ils redoutent visiblement que la « nostalgie improductive » des anciennes usines l'emporte sur la préparation des activités du futur. Leur position est que l'emploi industriel n'a pas plus baissé en France qu'à l'étranger et que l'ancien emploi industriel classique ne progressera plus jamais en France ni dans aucun autre pays développé. Mais que la nouvelle industrie est celle qui se situe à la frontière avec les services de pointe.
- Une France sans industrie ? Cela va être Disneyland …
- Pour sauver l'emploi, il faut sauver l'industrie
- Un ingénieur, un vrai, ça travaille dans une usine
Arrivé à ce stade, fallait-il que les auteurs exposent leurs prévisions sur ce que seront les métiers et les entreprises d'avenir et recommandent un « saut dans l'immatériel » ? C'est courageux mais risqué puisqu'ils sont par ailleurs convaincus que l'avenir sera créé par des millions d'initiatives individuelles et qu'il est largement inconnu. Mais le livre se termine par une liste de réformes de fond nécessaires pour permettre le re-développement, pas la ré-industrilisation, de la France : expérimentation à la Deng Xiaoping, libération du potentiel des services, respect de la frange hyper-compétitive. … .
Au total, un livre accessible, qui alterne les idées de bon sens et les analyses fines de mécanismes financiers (eg. les interventions de la FED et de la BCE) et s'appuie de façon convaincante sur des expériences passées ou étrangères. Le lire, c'est un peu comme ouvrir une fenêtre sur la montagne, quand on a passé des mois dans une pièce enfumée.
[1] Ce rapport est cité à plusieurs reprises par les auteurs qui semblent regretter qu'on l'ait confié à l'ancien Président de la SNCF plutôt qu'à un entrepreneur.