Crédit d'impôt pour les entreprises, le casse-tête de Noël
Le ministre de l'Économie, Pierre Moscovici, a voulu rassurer mercredi les entreprises sur le vote avant Noël et la mise en place effective début 2013 du crédit d'impôt pour la compétitivité, les encourageant à se considérer créancières de l'État en attendant le paiement de ce crédit en 2014. Les entreprises veulent que le crédit d'impôt "soit mis en place au début de l'année 2013, pour pouvoir commencer - et je les incite à le faire - à accumuler des créances sur l'État », a-t-il dit sur Europe 1. Le paiement aura lieu en 2014, sauf pour les entreprises « en difficulté » qui pourraient être payées en 2013.
Mais comment donc cela va-t-il pouvoir marcher ? Un nombre considérable de questions, certaines basiques, d'autres d'une haute technicité fiscale, se posent. Nous n'avons pas la prétention de les passer en revue. En voici néanmoins quelques unes :
D'abord une clarification sur l'assiette : devraient être concernés les salaires (on suppose qu'il s'agit des salaires bruts) compris entre 1 et 2,5 Smic : quid des salariés au forfait, quid des heures supplémentaires et des primes etc. ? Va-t-on vouloir éviter les effets de seuil, comme cela se fait pour les exonérations de cotisations sur les bas salaires, ce que l'institut COE-Rexécode a d'ailleurs retenu comme hypothèse et ce qui signifierait que ne seraient réellement concernés que les salariés payés près du Smic ? Pourquoi les ministres parlent-ils d'un pourcentage de réduction calculé par rapport au « coût du travail », lequel inclut les salaires bruts et aussi les cotisations patronales ?
A quelle date la masse salariale sera-t-elle appréciée ? A une date calendaire, fin 2013 ou fin 2012, ou en fonction de la clôture de l'exercice social, ou en moyenne sur l'année calendaire ou sociale etc. ? Quid des entreprises en régime d'intégration ? Quid du paiement et des acomptes sur l'IS ?
Comment les entreprises peuvent-elles « se considérer comme créancières de l'État en attendant le paiement de ce crédit en 2014 » comme l'indique Pierre Moscovici, dans la mesure où le crédit dépend d'un événement futur et incertain, la masse salariale à un instant donné ? Comptablement, aucune constatation ne semble possible.
Comment se définit une « entreprises en difficulté » par rapport aux autres ? Quid si l'entreprise a disparu avant la régularisation de 2014 ? Comment faire pour que cette disposition qui avantage ces entreprises ne crée pas une rupture (inconstitutionnelle) de l'égalité devant l'impôt ? Etc.
Inciter dans ces conditions les entreprises, comme le fait le ministre, à « accumuler des créances sur l'État » (en commençant par accumuler des dettes salariales), qu'en termes galants ces choses-là sont dites ! D'autant plus qu'on n'a pas encore évoqué l'éventualité des contreparties, auxquelles syndicats et députés de la majorité semblent beaucoup tenir. Il semblerait cependant que le gouvernement resterait ferme, en tout cas dans la loi fiscale (comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement ?) sur l'absence de contreparties, et il faut l'y encourager.
Il n'empêche qu'on peut redouter que l'État ou les organismes de Sécurité sociale reprennent d'une main ce qui a été donné de l'autre : par exemple, les pertes d'emplois sur 2013 vont se monter au minimum à 150.000 selon Rexecode, ce qui aboutirait à des pertes très conséquentes de cotisations sans compter les indemnités de chômage. Une augmentation des cotisations sera-t-elle évitable, sachant que le déficit de l'assurance-chômage pour 2012 va atteindre 2,6 milliards, et qu'il est d'ores et déjà prévu à 4,1 milliards pour 2013 ?
En tout état de cause, vite, Monsieur le Ministre, accrochez sur notre sapin de Noël comme vous l'avez promis, non seulement la loi mais aussi l'instruction fiscale - qui promet d'être lourde –, que l'on puisse « bûcher » dessus pendant cette période bénie !
[(Dernière minute : il y aura bien des contreparties, mais lesquelles ?
On vient d'apprendre que le gouvernement, pressé de montrer qu'il respecte son engagement, entend bien faire passer le texte sur le crédit d'impôt avant Noël, et le compléter par une seconde loi au début de l'année prochaine. Cette seconde loi, suite au lobby des syndicats et de la majorité parlementaire, imposerait des « contreparties » qui tiendraient à des obligations relatives au dialogue social.
Tout ceci est d'une grande subtilité. S'agissant d'un texte fiscal, la loi ne peut pas imposer après coup des conditions à l'octroi du crédit. En revanche, une nouvelle loi peut imposer des obligations supplémentaires de nature non fiscale. La question est alors de savoir de quoi on parle, et si ces obligations seraient assorties de sanctions, et lesquelles…Pas trop grave s'il s'agit seulement d'obligations déclaratives, évidemment rédhibitoire s'il s'agit de donner aux représentants des salariés un droit quelconque d'opposition. On continue donc pour le moment à tourner en rond. )]