Contrats zéro heure : la flexibilité qui marche
La compétitivité des entreprises réside, entre autres, dans leur capacité à monopoliser leur force de travail à tout moment et notamment en dehors des horaires de travail considérés comme « traditionnels », c'est-à-dire de 9h à 19h, du lundi au vendredi. En parallèle, du côté des employés, la demande de travail sur des horaires plus larges, comme le travail le dimanche ou le travail de nuit, va en augmentant. On pense notamment aux jeunes, aux étudiants, aux femmes et aux retraités qui chercheraient un complément de revenu ou des horaires aménagés. Pour répondre à ces deux demandes, les Britanniques ont pragmatiquement autorisé le recours à des contrats zéro heure depuis le milieu des années 1990. Si jusqu'alors, les contrats étaient presque exclusivement utilisés par des chaînes de fast-food (80% des employés de MacDonald sont employés sous ce type de contrat au Royaume-Uni), ils ont connu un net regain d'intérêt à partir de 2003 et surtout de 2008. Ces contrats auront permis donc aux entreprises britanniques de faire jouer la flexibilité au plus fort de la crise économique. Un choix controversé, même au Royaume-Uni pourtant très attaché à la flexibilité du travail, mais les résultats sont là : de 5,2% en 2008, le taux de chômage britannique aura connu un pic à 8,4 en 2011 avant de redescendre à 6% fin 2014. Côté français, avec un nombre de chômeurs en constante augmentation, 10,3% pour 3,5 millions de chômeurs fin 2014, il est aussi temps que le gouvernement agisse sur la flexibilité et s'intéresse à ces contrats de missions temporaires.
Qu'est-ce qu'un contrat zéro heure ?
- « L'entreprise n'est sous aucune obligation à donner du travail à son employé et l'employé n'est sous aucune obligation d'accepter le travail proposé ».
Voilà comment le Parlement britannique explique le contrat zéro heure. Il faut dire qu'il n'existe pas de définition légale du contrat zéro heure dont les modalités dépendent de chaque négociation entre l'employeur et l'employé. L'idée générale du contrat est qu'il ne garantit aucun travail, que l'employé ne sera informé de ses horaires qu'au dernier moment (généralement une ou deux semaines avant) et qu'il ne sera rémunéré qu'en fonction des missions acceptées. Ici, les pouvoirs publics ont donc décidé de faire confiance aux employés et employeurs pour s'entendre sur les modalités du contrat zéro heure : ainsi une majorité de contrats autorisent l'employé à cumuler plusieurs emplois, d'autres non, une majorité de contrats n'obligent pas l'employé à accepter chaque mission, d'autres non, etc.
Bien qu'il existe peu de données sur la rémunération des contrats zéro heure, la Resolution Foundation publiait en 2013 donne une estimation hebdomadaire :
- 482 livres pour un contrat classique (pour environ 31 heures de travail hebdomadaires)
- 236 livres pour un contrat zéro heure (pour environ 21 heures de travail hebdomadaires)
Les contrats zéro heure sont donc, en moyenne, rémunérés sur un taux horaire inférieur aux contrats classiques mais contrairement à une idée répandue, les contrats zéro heure sont bien rémunérés selon le taux horaire national minimal en place au Royaume-Uni.
Autre idée répandue, celle que l'employé ayant signé un contrat zéro heure ne bénéficie d'aucune protection. Faux, le Parlement britannique rappelle, dans un rapport publié en 2014, que le degré de protection dépend du statut de l'employé défini dans le contrat… comme pour le reste du marché du travail britannique. C'est donc à l'employé et l'employeur de négocier ce statut qui peut être du plus protégé au moins protégé ; l'employee (= employé), le worker (= travailleur) et le self-employed (= travailleur indépendant). Le signataire d'un contrat zéro heure a cependant plus de chances d'être affilié à la catégorie des workers, ce qui diminue ses droits et les obligations de l'employeur (notamment en cas de licenciement et de congés maternités). A retenir également, qu'en fonction de la fréquence de la paye c'est-à-dire hebdomadaire, mensuelle ou annuelle, il peut y avoir exonération des charges sociales salariales ou patronales (moins de 152 livres pour un salarié qui est payé toute les semaines, moins de 689,99 livres pour les salaires mensuels et moins de 7.856 livres pour les salaires annuels).
Concernant le versement d'aides sociales complémentaires, tout doit être simplifié par l'introduction du crédit universel où les Britanniques ont fusionné et plafonné les allocations au niveau du revenu moyen. Avant, en fonction du nombre d'heures travaillées par semaine, le bénéficiaire était éligible à différentes allocations dont il devait systématiquement refaire la demande. Un système peu pratique et enclin aux erreurs. Aujourd'hui, tout se fait en ligne où le travailleur doit rentrer son temps de travail et salaire mensuel et le montant d'allocations qu'il est censé percevoir s'ajuste ensuite automatiquement.
Combien de travailleurs sous contrat zéro heure ?
- Entre 600.000 et 1,4 million d'employés.
L'Office for National Statistics (ONS) propose deux chiffrages différents sur le nombre de bénéficiaires d'un contrat zéro heure. S'il se base sur ses enquêtes auprès des salariés, il décompte 622.000 employés sous contrat zéro heure. S'il se base sur ses enquêtes auprès des employeurs, il compte 1,4 million employés sous contrats zéro heure. L'Office explique la différence entre ces deux chiffrages par le fait qu'un employé peut signer plusieurs contrats zéro heure auprès de différentes entreprises et que les employeurs sont plus susceptibles de savoir quels contrats ont été signés. Le Chartered Institute of Personnel and Development a, de son côté, aussi réalisé un chiffrage indépendant où il estime à plus d'un million le nombre de contrats zéro heure au Royaume-Uni.
Suivant ces chiffrages les contrats zéro heure représentent de 1,5% (hypothèse base) à 3% de la population active (hypothèse haute). En 2013, l'ONS publiant une étude qui démontrait que les signataires des contrats zéro heure étaient à 55% des femmes, à presque 20% des étudiants (36% des signataires ont entre 16 et 24 ans, contre seulement 11% pour les contrats non zéro heure) et à 64% des temps partiels.
Ce que pensent les employés sous contrat zéro heure :
- 80% des employés expliquent ne pas être pénalisés s'ils refusent une mission, 17% disent être parfois pénalisés et 3% disent être toujours pénalisés.
- 52% des employés disent ne pas vouloir travailler plus que les heures qu'ils reçoivent par semaine, 38% voudraient travailler plus.
- 6 employés sur 10 disent pouvoir travailler auprès d'une autre entreprise à côté de leur contrat principal.
- 47% des employés sont satisfaits de ne pas avoir d'heures contractées, 23% ne se prononcent pas et 27% sont non satisfaits.
Source : Chartered Institute of Personnel and Development.
Qui utilise le contrat zéro heure ?
- 23% des organisations britanniques y ont recours et pour ces dernières, les contrats zéro heure représentent environ 19% de leur masse salariale.
Des entreprises qui emploient des contrats zéro heure, seulement un quart d'entre elles ont commencé à partir de 2010. Sur le reste du marché, seules 3% des entreprises envisagent d'embaucher sous contrats zéro heure dans le futur. Le recours aux contrats zéro heure est donc un phénomène ancien et qui ne semble pas avoir vocation à s'étendre plus que nécessaire puisque la demande en « temps de travail hyper-flexible » est relativement stable. En 2014, le Parlement britannique expliquait « que le nombre total d'individus sous contrat zéro heure a augmenté [depuis 2000] mais pas le nombre total d'heures hebdomadaires travaillées sous contrat zéro heure ». Cela confirme donc que les contrats zéro heure ne s'adressent qu'à un marché restreint.
Taux de contrats zéro heure en pourcentage de l'emploi totalTemps de travail hebdomadaire moyen, travaillé sous un contrat zéro heure
Alors quels secteurs sont concernés ? 30% des contrats zéro heure sont signés dans le secteur de la distribution, de l'hôtellerie et de la restauration… mais aussi 30% dans les services publics et principalement dans le secteur de l'éducation et de la santé. Et à 66%, les managers expliquent avoir recours aux contrats zéro heure pour renforcer leur flexibilité et pour pouvoir s'adapter à une demande qui évolue rapidement. D'ailleurs 52% des entreprises qui utilisent des contrats zéro heure expliquent que le planning de travail de leurs salariés est directement corrélé à la demande contre seulement 20% qui expliquent avoir des horaires identiques d'une semaine à l'autre.
Conclusion : une stratégie isolée ?
En Europe, ce genre de contrats, sur de petits horaires de travail, se multiplient depuis le début des années 2000. On peut penser aux mini-jobs allemands : 15 heures de travail hebdomadaire, non chargé pour le salarié et l'employeur, pour une rémunération maximum de 400 euros et le versement d'une allocation chômage « Hartz IV » selon la situation familiale. 7 millions de personnes sont concernées en Allemagne et près de la moitié ont contracté plus d'un mini job. En Allemagne, l'introduction de ces mini jobs était pensée dans une volonté de réformer le système de l'assurance chômage pour le rendre plus incitatif au retour à l'emploi. Un chemin que les britanniques semblent désormais suivre puisque depuis 2014, et l'introduction du crédit universel, toutes les conditions d'ouverture des droits ont été renforcées : désormais, un demandeur d'emploi qui refuserait un contrat zéro heure sera pénalisé (réduction ou suspension temporaire de l'allocation).
En Italie aussi on trouve, depuis les années 2000, des « contrats de projet » qui ont été renforcés par les réformes Salva Italia de Mario Monti. De nouveaux types de contrats ont été créés comme Il lavaro intermittente qui se rapproche du contrat zéro heure puisqu'il permet à une entreprise de faire travailler un employé en fonction de ses besoins, pour des prestations non continues dans le temps ou en intermittences. Ou encore des contrats de travail occasionnel (collaborazioni occasionali) signés entre un travailleur autonome et une organisation pour un travail limité à 30 jours et 5.000 euros par an. En Espagne, l'éventail de contrats de travail temporaire a été élargi par le contrat obra y servicio pour la réalisation d'une tâche précise et temporaire mais sans durée précise et par le contrat eventual qui permet aux entreprises de recruter pour des courtes périodes où la demande est croissante.
Ainsi, les contrats de travail temporaires ou de courtes durées se multiplient en Europe depuis une dizaine d'années mais les Britanniques ont vraiment été les précurseurs en la matière. Et si les jobs zéro heure restent très controversés de notre côté de la Manche comme de l'autre, difficile de nier qu'ils ont permis aux entreprises anglaises d'amortir le ralentissement de la croissance et de la demande. La reprise économique britannique devrait logiquement réduire le nombre de contrats zéro heure signés : avec plus de 1 million de contrats, soit environ 2% de la population active, la demande se stabilise. Sachant que nos populations totales et actives sont très proches, ce genre de contrat peut-il trouver un public en France ? Probablement oui, puisque d'après les chiffres disponibles sur le sujet, environ 1,5 million de bénéficiaires du RSA sont actuellement sans emploi. On peut aussi compter les plus de 30.000 jeunes de moins de 25 ans engagés dans un Service civique auprès d'organismes agréés « mission d'intérêt général » pour 570 euros net par mois. Aux stagiaires dont le nombre est désormais limité à 10% de l'effectif de l'entreprise. Aux 50.000 emplois aidés supplémentaires que le gouvernement veut créer, à marche forcée, en 2015 pour un coût de 200 millions d'euros, etc. Instaurer plus de flexibilité est une nécessité pour relancer le marché du travail français mais les efforts actuels, comme la loi Macron « pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques », sont loin d'être suffisants.
Mettre en place des contrats zéro heure aurait l'avantage de débloquer une partie du marché, la restauration notamment, à des profils aujourd'hui éloignés de l'emploi. D'autant que beaucoup semblent oublier que les contrats zéro heure représentent un risque partagé, employé et employeur devant se faire confiance mutuellement ; l'un ne sachant pas quand la charge de travail tombera, l'autre n'étant pas assuré que l'employé acceptera la mission.