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Contrats de génération : une vision technocratique de l'emploi

Le projet gouvernemental présenté à la presse le 12 décembre semble avoir atteint son but : persuader les medias que l'État prenait à bras le corps le problème de l'emploi en s'attaquant aux deux têtes de l'hydre : le chômage des jeunes et le chômage des seniors. Annoncé comme un investissement important (près d'un milliard d'euros chaque année) financé dans le cadre du pacte de compétitivité, le Contrat de Génération semble tout avoir en effet pour séduire l'opinion.

Rappelons l'essentiel : il s'agit d'accorder une aide aux entreprises qui « maintiennent » dans leur emploi des seniors de 57 ans et plus, et simultanément embauchent des jeunes de moins de 26 ans. L'aide s'étale sur 3 ans et se monte chaque année à 2.000 euros par jeune et par senior, soit 12.000 euros pour chaque binôme ainsi employé.

L'ambition du gouvernement est de parvenir à terme à couvrir l'intégralité des salariés jeunes et seniors des entreprises de 300 salariés et plus, soit 1.200.000 salariés au total, auquel il faudrait ajouter un million de salariés dans les entreprises de moins de 300 salariés ! Le suivi et le soutien des jeunes sera assuré par l'organisation d'un processus de transmission du savoir entre générations sous la responsabilité de « tuteurs » désignés par l'entreprise.

Vaste programme… avec un credo à la clé : « l'alliance des générations fera la force de l'économie et de la société française ».

Au-delà de l'illusion, encore une fois réaffirmée, qui consiste à croire que les emplois peuvent être créés par la seule volonté de l'État, ce projet nous paraît relever d'une vision technocratique erronée.

Pas d'embauche sans nécessité

Rappelons en effet quelques évidences :
- Pour une entreprise, l'embauche d'un nouveau salarié doit correspondre à une augmentation immédiate ou prévisible de la production ou de la productivité. Agir différemment serait une faute de gestion de la part du dirigeant.
- L'amélioration de la production ou de la productivité n'a d'intérêt que dans l'optique d'un accroissement des profits, soit par la conquête de nouveaux marchés, soit par l'augmentation des marges.

Et leurs corollaires :
- Aucune aide, si importante soit-elle, ne saurait suffire à justifier l'embauche d'un salarié.
- Pour pouvoir embaucher, il faut pouvoir licencier. Les effectifs d'une entreprise doivent pouvoir s'ajuster à la baisse comme à la hausse en fonction de la conjoncture.

Auxquels il faut ajouter cette spécificité française :
- Aucune augmentation de marge ni aucune conquête de marchés ne saurait compenser les inconvénients d'un franchissement du seuil de 50 salariés (Comité d'Entreprise, etc.)

Des effets d'aubaine

En pratique, le projet de loi, s'il est maintenu en l'état, risque d'avoir de graves inconvénients sans pour autant être efficace.

Comment prouver qu'un salarié de 57 ans a été « maintenu » dans son emploi ? Depuis la réforme Sarkozy, la mise à la retraite d'office d'un salarié ne peut pas intervenir avant son 70ème anniversaire. On imagine mal l'envoi aux intéressés d'une convocation pour licenciement, puis d'un renoncement. En fait, les entreprises bénéficiant du contrat de génération devront renoncer à tout licenciement de leurs salariés de plus de 57 ans pendant la période concernée. Il faudra surmonter les difficultés de management causées par cette contrainte !

Or, si une entreprise embauche un jeune de moins de 26 ans et s'engage simultanément à conserver un senior, c'est bien qu'elle peut leur trouver une occupation, et donc qu'elle en a besoin. Comment, dans ces conditions, justifier d'une aide de l'État liée à ces deux emplois ?

On risque fort d'assister à un effet d'aubaine. Les entreprises qui de toute façon devaient embaucher bénéficieront des 12.000 euros, sans que cela ait le moindre effet sur l'évolution du chômage.

A l'inverse, une prime annuelle de 2 fois 2.000 euros ne saurait compenser l'éventuel sous-emploi de deux salariés dont le coût salarial total pour l'entreprise, même au niveau du Smic, dépasse les 40.000 euros par an.

Un nouvel effet de seuil

Enfin ce projet a le grand tort de renforcer le fameux seuil des 50 salariés. En effet, qu'elles bénéficient ou non du dispositif, les entreprises se situant au-dessus de ce seuil devront désormais :

- Établir un « diagnostic » sur la situation des jeunes et des séniors dans l'entreprise ;
- Négocier un accord d'entreprise ou établir un plan d'action si elles ne sont pas couvertes par un accord de branche ;
- Faire valider par l'État leur accord ou leur plan d'action.

Ces contraintes courtelinesques s'ajoutent à celles déjà existantes, alors que la négociation sur la pénibilité empoisonne encore les Directions des Ressources Humaines ! Rappelons que les effets de seuil sont catastrophiques pour l'emploi et sont la principale cause du nanisme des PME françaises.

Pour la Fondation iFRAP, cette intrusion supplémentaire de l'État dans la gestion des entreprises ne peut pas aller dans le bon sens. Le déficit budgétaire va être accru chaque année d'un milliard d'euros pour un résultat très aléatoire, et de nouvelles contraintes règlementaires vont peser sur les entreprises et sur l'emploi, augmentant ainsi la rigidité du marché du travail. Exactement le contraire de ce que préconisent les experts du FMI et de la Commission Européenne.

En réalité chacun sait que l'emploi viendra des PME pour autant qu'on leur en donne les moyens. Elles n'ont besoin ni de subventions ni de primes de l'État, mais d'une plus grande liberté d'entreprendre. C'est en diminuant les contraintes légales et règlementaires pesant sur les TPE et les PME que celles-ci pourront se développer, atteindre la taille critique qui leur permet d'exister à l'exportation, et ainsi embaucher des jeunes, des seniors, et tous ceux qui dans ce pays acceptent de travailler. Encore faut-il mettre fin à certains tabous.

Les propositions de la Fondation iFRAP pour aller dans ce sens sont connues :

- Donner aux Français l'envie d'investir, en renonçant à imposer les plus-values comme les salaires et en « détunnellisant » la fiscalité des revenus,
- Donner aux Français l'envie de s'enrichir en supprimant l'ISF,
- Donner aux entreprises nouvelles les moyens de se développer, en déplafonnant largement le dispositif dit « Madelin »
- Donner aux entreprises les moyens d'embaucher, en rendant possibles les licenciements et en déplaçant les seuils sociaux de 20 et de 50 salariés. Les négociations actuelles entre partenaires sociaux peuvent permettre d'avancer (doucement !) dans ces deux directions, en faisant entrer la flexibilité dans les relations de travail et en prévoyant un délai de carence d'une année pour l'application de la réglementation des seuils. La flexibilité ne contentera cependant guère les PME et surtout les TPE, et ne résoudra pas le problème des licenciements individuels, même si elle peut constituer un pas important pour les plus grandes entreprises.