Contrats aidés et emplois francs : de bonnes et courageuses mesures
Les députés viennent de voter deux mesures concomitantes pour 2018 : la baisse des contrats aidés et la création à titre expérimental des « emplois francs ». Ce qui a immédiatement provoqué des prises de position politiciennes qui brouillent les cartes. Les contrats aidés s’adressent essentiellement au secteur non marchand, qui bénéficie d’aides allant quasiment jusqu’à faire prendre en charge par l’État l’intégralité du salaire. Les emplois francs sont quant à eux une renaissance d’une mesure en faveur de l’emploi dans le secteur marchand, mesure qui avait échoué en 2013.
Nous estimons être en présence de deux mesures bonnes et courageuses. La première vient tenter de réduire à l’essentiel souhaitable un effort public qui est beaucoup trop utilisé dans le seul but d’améliorer les statistiques du chômage, mais manque sont but qui devrait être l’insertion des personnes en difficulté. La seconde parce qu’elle est débarrassée des défauts qui la rendaient inefficace en 2013, et que, bien ciblée, elle devrait réussir à améliorer l’emploi durable dans les quartiers urbains en difficulté.
La réduction du nombre de contrats aidés
Le nombre des contrats aidés, venant de 459.000 en 2016, et de près de 300.000 en 2017, passera en 2018 à 200.000, pour une enveloppe de 1,4 milliard d'euros. Ces sommes font partie des crédits de la mission Travail et emploi, qui globalement passent de 15,4 à 13,9 milliards d’euros, une baisse de 1,5 milliard dont 1 milliard est attribuable aux contrats aidés. Ces contrats seront en 2018 exclusivement réservés au secteur non marchand et ciblés (aides aux élèves handicapés, Outre-mer…), et donneront droit à un crédit de 50%, contre jusqu’à 95% précédemment.
Cette mesure a soulevé la colère aussi bien des députés de la gauche que de ceux de la droite, ces derniers la critiquant moins sur le fond que pour sa prétendue brutalité. Et pourtant, elle est justifiée. Le député LREM Gilles Legendre a fustigé ces critiques : "Curieuse alliance du statu quo : surtout ne touchez à rien et surtout pas à ce qui n'a jamais marché", "curieuse alliance de la compassion de fabrique en instrumentalisant les emplois aidés alors que nous voulons tirer les bénéficiaires vers l'emploi durable". Et la ministre Muriel Pénicaud a aussi justement indiqué que le gouvernement voulait différencier les « contrats utiles » de ceux qui sont juste « un sujet de commodité ».
Effectivement, les contrats aidés n’ont jamais marché, comme toutes les études l’ont relevé, autrement que pour faire baisser artificiellement et temporairement les chiffres du chômage, mais pas pour aider à l’insertion de leurs bénéficiaires. Un directeur d’école s’est alarmé de perdre des contrats aidés dont les titulaires remplissaient des fonctions administratives jugées essentielles, en se demandant qui pourra bien accepter de travailler 24 heures par semaine pour moins de 700 euros par mois. Mais le scandale est précisément que l’on fasse remplir ces fonctions indispensables par des salariés précaires et (très) mal payés !
La mesure actuelle est au contraire courageuse, qui tend à mettre fin à une spirale sans fin de contrats inefficaces et coûteux, souvent imposés à des municipalités qui n’en avaient pas la nécessité, dans le seul but de peser sur les chiffres du chômage. En témoignent les réticences manifestées par les organismes et collectivités du secteur non marchand à hauteur des embauches « prescrites » par le gouvernement, comme le montre une note de la DIRECCTE du Centre Val de Loire de juin 2015.[1] Mais la réduction des contrats aidés doit aussi être combinée avec la création des emplois francs dans le secteur marchand.
La renaissance des emplois francs
Les emplois francs ont été créés une première fois en 2013. Mais l’initiative s’était soldée par un échec retentissant. Seulement 280 contrats avaient été signés sous la présidence de François Hollande. Les conditions étaient alors très restrictives, que le gouvernement actuel rend responsables de cet échec. En effet, la prime n'était accordée que pour l'embauche d'un jeune âgé de 15 à 30 ans, au chômage depuis au moins un an, qui devait habiter en "zone urbaine sensible" et prouver qu'il cherchait un travail depuis au moins douze mois sur les dix-huit derniers mois. Le montant de la prime était aussi jugé insuffisant, à savoir 5.000 euros.
Pour 2018, les conditions restrictives ont été supprimées. Il suffira d'embaucher une personne résidant dans l'un des 1.514 quartiers dits de la "politique de la ville", sans condition d'âge. Quant à la prime, elle sera de 15.000 euros, soit trois fois plus qu’en 2013, payable sur 3 années, pour une embauche en CDI, et de 5.000 euros, payable sur deux années pour une embauche en CDD d’au minimum 6 mois.
Pourquoi cette mesure, lancée à titre expérimental sur certains territoires en 2018 mais destinée en cas de succès à être généralisée, mérite-t-elle d’être approuvée ? Pour au moins deux raisons.
D’abord parce que, pour une fois, on renonce à subordonner des aides à des conditions restrictives et compliquées à respecter. Faisons simple ! On se rappelle les aides à l’embauche expérimentées sous Nicolas Sarkozy. Il a fallu y renoncer en raison de leur coût très élevé, mais au moins avaient-elles connu un grand succès, dû sans aucun doute à leur simplicité. Ici, il n’y a pas trop à craindre d’un coût exorbitant, la mesure étant strictement et justement ciblée sur certains territoires déshérités du point de vue de l’emploi. Si on ajoute que le montant de l’aide n’est pas négligeable (environ un tiers de salaire au smic), on a raison d’espérer que les nouveaux emplois francs ne connaîtront pas le même échec que ceux de 2013.
La seconde raison tient au ciblage du secteur d’activité de l’employeur, à savoir le secteur marchand. Nous avons toujours dans ces colonnes regretté que les contrats aidés soient essentiellement destinés au secteur non marchand, notamment au regard du montant de l’aide, qui pouvait s’y monter quasiment à 100% d’un salaire au smic. Destiner les emplois francs au secteur marchand montre que l’objectif est bien cette fois de « tirer les bénéficiaires vers l’emploi durable », comme l’affirme Gilles Legendre.
Secteur marchand vs. Secteur non marchand La critique la plus fréquemment adressée aux contrats aidés dans le secteur marchand repose sur la crainte des effets d’aubaine. Une étude récente de la DARES de mai 2017 aide à faire le point. S’intéressant d’abord à l’« effet emploi » immédiat des contrats aidés (quelle proportion d’embauches n’auraient pas été conclus dans les six mois en l’absence d’aide), elle indique que d’après ses enquêtes 19% seulement des embauches n’auraient pas eu lieu dans le secteur marchand, contre 64% dans le secteur non marchand. Mais la DARES nous donne une explication de la différence que nous trouvons bien superficielle : « Dans le secteur non marchand, les employeurs sont supposés avoir une contrainte de masse salariale ; ils ont des besoins en emploi, mais ne les réalisent pas à cause de la contrainte financière ». En réalité, n’ayant pas d’autre contrainte que de dépenser l’argent qu’on lui donne, et recevant en aide la plus grande partie du coût des embauches, quel employeur déclarerait qu’il n’a pas de besoins ? La raison d’un si fort pourcentage dans le secteur non marchand n’est-elle pas au contraire que… les prétendus besoins n’existent pas vraiment ? Qu’il s’agit d’embauches en grande partie inutiles ou de pur confort (voir la pléthore de jardiniers en contrats aidés dans les communes, et prendre en compte la durée du travail très inférieure à la durée légale annuelle de 1.607 heures dans les collectivités territoriales) ? Quelle interprétation donner aux réticences à embaucher que les DIRECCTE ont relevées, autre que le fait que les embauches « prescrites » n’étaient pas vraiment utiles ? N’oublions pas non plus que dans le secteur public ces embauches étaient « prescrites » par l’autorité, ce qui est un moyen beaucoup plus efficace que de s’adresser au secteur libre. Enfin, et surtout, de base les aides étaient limitées à 33% du salaire minimum dans le secteur marchand, contre 70 à 80% dans le secteur non marchand : il n’est pas étonnant que le secteur marchand n’ait pas considéré comme une motivation essentielle pour l’embauche l’aide très modeste apportée, à l’inverse du secteur non marchand. Qu’auraient donné les statistiques citées plus haut si les aides avaient été les mêmes ? La DARES s’est aussi attachée à déterminer l’effet à long terme. Voici ce que cela donne en termes administrativement galants : « À plus long terme, en revanche, les effets sur l’insertion professionnelle sont mitigés. Si le passage en contrat aidé du secteur marchand semble avoir un effet positif sur la reprise d’emploi, les contrats aidés du secteur non marchand semblent plutôt, au vu des études existantes, réduire légèrement les chances d’être en emploi non aidé après la fin du contrat[2]. » Elle explique cette conclusion par un « effet d’enfermement » dans un métier qui ne prépare pas à retrouver du travail dans le secteur marchand. Y a-t-il condamnation plus évidente des contrats aidés dans le secteur non marchand, mesure de court terme ? Ne vaut-il pas mieux en tout état de cause aider le secteur marchand, qui a l’avantage de créer des emplois durables, qu’améliorer artificiellement les statistiques ? |
[1] Après avoir souligné le succès des contrats aidés auprès du secteur marchand, la note de la DIRECCTE poursuit : « Par contre, il semble plus difficile de convaincre les employeurs du secteur non-marchand (associations, collectivités, …) de signer un Contrat d’Accompagnement dans l’Emploi (CAE) en dépit d’une aide financière de l’Etat comprise entre 60 et 80% du SMIC ». Et plus loin : « Avec l’annonce récente par le gouvernement d’une nouvelle enveloppe nationale de 100.000 contrats aidés supplémentaires, il est clair que nous allons devoir redoubler d’effort et de conviction auprès des employeurs de ce secteur [ non marchand, NDLR] ».
[2] +31% dans le secteur marchand contre -8% dans le secteur non marchand, quand même !