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Conseil de l'attractivité : les problèmes de droit du travail occultés

Le compte rendu des réunions de lundi et mardi entre le gouvernement mené par le Chef de l'Etat et les patrons étrangers, consacrées à l'attractivité de la France, n'a fait aucune mention quelle qu'elle soit d'une évocation des questions relatives au droit social et particulièrement au droit du travail. Ne s'est-il rien dit ? Et pourtant ces questions font régulièrement l'objet de commentaires, au même titre que la fiscalité, son niveau et son instabilité.

On se souviendra de la lettre ouverte de décembre dernier émanant des patrons de filiales étrangères, évoquant le problème des seuils sociaux et la flexibilité du travail. De même, une autre et très récente « lettre d'un startupper » signée de Jérôme Lecat, fondateur de Scality, une start-up française qui s'est implantée dans la Silicon Valley, insiste sur « l'image déplorable du droit social français », inadéquat particulièrement pour les start-ups. Ces dernières, est-il dit, sont fondées sur la prise de risque et l'obligation de pouvoir faire face à des restructurations importantes et soudaines, permettant de repartir du bon pied, alors qu'en France il faut déposer son bilan. Assez frappant est aussi l'affirmation qu' « il faut deux fois plus de personnes en France qu'aux Etats-Unis pour assurer un service client 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ce qui est la norme dans l'économie numérique », alors qu'en même temps le coût du travail n'est pas en cause puisqu'il est nettement plus élevé aux Etats-Unis : c'est donc de la flexibilité de l'organisation du travail qu'il est ici question.

Sur ces sujets, on sait que l'argumentation officielle du pouvoir s'en tient à ce qui a déjà été accompli depuis un an, en particulier avec l'ANI de janvier 2013, fruit du dialogue entre partenaires sociaux passé dans la loi en juin. Deux dispositions sont soulignées, à savoir, d'une part la possibilité de lier les salariés par un accord entre partenaires sociaux d'une entreprise, afin d'imposer un aménagement du temps de travail et des salaires en cas de circonstances exceptionnelles, et d'autre part l'homologation des plans sociaux par l'autorité administrative. Il s'en faut de beaucoup cependant que ces procédures suffisent à assurer la flexibilité nécessaire et que l'Etat puisse considérer que son travail ait été accompli au prétexte qu'il a accordé son imprimatur au résultat d'une négociation entre les partenaires sociaux.

Sur le sujet de la flexibilité, la première des dispositions évoquées (article 12 de la loi) est d'application très restrictive, entourée de nombre de procédures compliquées et subordonnées à pléthore de conditions. Surtout, l'accord des partenaires sociaux ne peut être que temporaire (2 ans au plus) et suppose l'existence de "graves difficultés conjoncturelles" (quid en cas de difficultés structurelles ??), ainsi qu'un retour à meilleure fortune lorsque ces circonstances n'existeront plus. Le ministère du Travail a publié un bilan des 8 premiers mois d'application, bilan dont il apparaîtrait que 8.360 entreprises auraient eu recours à la disposition qui facilite l'activité partielle [1]. C'est dans les TPE et les PME que l'utilisation de cette disposition s'est concentrée. On peut douter toutefois que les grandes et moyennes entreprises trouvent intéressant de s'en servir. En tout cas, on se souviendra que Renault est parvenu début 2013 à un accord sur le temps de travail assez historique avec les syndicats en ignorant superbement la négociation en cours, qui n'aurait d'ailleurs été d'aucune utilité puisque Renault a finalement négocié une augmentation du temps de travail (le retour à un vrai 35 heures), l'inverse du champ d'application de la disposition légale. Il en est de même des accords passés au sein de PSA.

Concernant les plans sociaux, l'apport de la seconde (et très longue…) disposition évoquée de l'ANI et transposée dans la loi sous l'article 13 a été de prévoir la possibilité pour l'employeur de passer outre à une absence d'accord entre les partenaires sociaux mais à la condition d'obtenir l'homologation de l'autorité administrative. Le gouvernement ne s'est pas fait faute d'indiquer que cette autorité serait extrêmement vigilante sur les conditions offertes par le plan proposé par l'employeur. Il faut expliquer ici qu'en principe l'autorité n'a pas le pouvoir de juger du caractère réel et sérieux de la cause des licenciements qui résulteront du plan social, mais que, des déclarations du ministre du Travail, on retient que dans la pratique l'autorité administrative imposera des conditions rédhibitoires lorsqu'elle estimera que les licenciements n'ont pas de cause réelle et sérieuse [2]. Pire encore, même si l'autorité administrative accepte d'homologuer le plan proposé par l'employeur, les salariés conservent comme auparavant la possibilité d'attaquer l'entreprise devant le conseil de prud'hommes pour licenciement abusif (en raison de l'absence de cause réelle et sérieuse) et d'obtenir de substantiels dommages intérêts s'additionnant aux indemnités et autres avantages prévus par le plan social. On voit donc que, si la nouvelle disposition légale permet d'accélérer la procédure en obtenant une réponse plus rapide de l'administration, elle complique la procédure, la rend aléatoire en donnant à l'administration toutes les armes nécessaires pour s'opposer à la décision de l'entreprise, et enfin ne règle en rien la question de la contestation ultérieure par les salariés individuellement de la cause du licenciement

Or les conflits qui depuis plusieurs années opposent des filiales françaises d'entreprises étrangères, souvent américaines mais pas seulement, à leurs salariés, comme Continental, Mittal, Molex ou Goodyear, ont toutes pour origine des plans sociaux suivis par des licenciements jugés abusifs par les tribunaux. Très médiatisés en France comme à l'étranger, ils contribuent fortement à la perception d'une France où il ne fait pas bon investir, car la sortie se révèle problématique et très coûteuse. A titre d'exemple, la fermeture de Molex a donné lieu à un conflit commencé en 2009 qui en 2014 est encore très loin de se terminer puisque les salariés viennent seulement de se voir confirmer par la cour d'appel le droit de poursuivre la société en licenciement abusif. Un épisode en particulier aura marqué les esprits lorsque, après de longues négociations et un accord sur les conditions du plan social impliquant des indemnités élevées pour les salariés, et le maintien en vie de la filiale française le temps nécessaire pour s'acquitter de ses dettes, Molex a eu la surprise de se voir assigner en licenciement abusif par les salariés. Ce qui a eu le don de rendre le groupe furieux, lequel a répliqué par la mise en faillite de la société française. Incompréhension totale des deux côtés de l'Atlantique, de la part du ministre de l'Industrie de l'époque, Christian Estrosi, et de la part du groupe américain qui accuse les salariés français d'avoir rompu leur accord. L'affaire est toujours devant les tribunaux, entre les salariés et la maison mère américaine Molex, dont la cour d'appel a jugé qu'elle pouvait valablement être attraite devant les tribunaux français, en sa qualité de « coemployeur » avec sa filiale des salariés français…

Il ne faut pas se faire d'illusion. Il existe, et subsistera probablement longtemps encore, une opposition culturelle affirmée entre la conception anglo-saxonne, surtout américaine, et la conception française de l'entreprise. Les anglo-saxons considèrent que le rôle de l'entreprise est de créer des richesses et de faire des bénéfices. Même si les syndicats sont quelquefois puissants aux Etats-Unis, et défendent âprement les droits de leurs salariés, ils ne remettent jamais en cause ce principe [3]. La conception française est duale : la loi définit la société commerciale par la mise en commun de ressources en vue de partager les bénéfices résultant de l'exploitation, mais en même temps le droit du travail considère que la société a pour objet essentiel la création d'emplois, et la jurisprudence des tribunaux (telle qu'elle émane de la chambre sociale de la Cour de cassation) se prononce pour le droit des salariés au maintien dans l'emploi, sauf circonstances qui le rendent objectivement impossible. Un syndicat comme la CGT revendique d'ailleurs que les salariés du secteur privé jouissent des mêmes avantages que les fonctionnaires. Il est finalement impossible pour les anglo-saxons de comprendre ce que signifie l'autonomie du droit du travail en France, alors que pour eux le droit du travail présente un caractère contractuel et non statutaire.

Devant une telle opposition de culture, il n'est pas étonnant qu'aient été passées sous silence cette semaine les questions relatives au droit du travail. Le gouvernement considère déjà comme un succès d'avoir résisté à la revendication d'une certaine gauche demandant que l'absence de cause réelle et sérieuse n'entraîne pas seulement le paiement d'indemnités mais bien la nullité du licenciement, ce qui aurait entraîné juridiquement la réintégration obligatoire des salariés et une situation sans issue pour l'entreprise. Les groupes étrangers ont quelque peu respiré lorsque la cour d'appel de Paris a refusé de prononcer cette nullité. Mais aller plus loin dans la libéralisation paraît impossible.

Faut-il désespérer pour autant de voir le droit français se rapprocher des standards internationaux du droit du travail ? On pourrait au moins évoquer trois propositions :

  • Élargir la portée de la disposition légale concernant la flexibilité à tout accord d'entreprise, quels que soient son objet et les circonstances, y compris lorsque ces accords aboutissent à modifier les conditions essentielles du contrat de travail ;
  • Élargir la définition du licenciement économique aux restructurations ayant pour objet, non pas seulement de faire face à des difficultés, mais de réaliser les adaptations nécessaires et de conserver la faculté bénéficiaire des entreprises ;
  • Des simplifications sont envisageables dans les obligations de l'employeur, particulièrement un doublement du nombre des salariés pour l'application des seuils sociaux (le gouvernement paraissait ouvert à la discussion sur ce sujet), la fusion du comité d'entreprise et du CHSCT, ou encore la suppression des dispositions pénales qui accompagnent la quasi-totalité des obligations de l'employeur. Ce n'est qu'une petite partie de ce qui devrait être tenté, mais cela enverrait un signal fort en direction des entrepreneurs, qu'ils soient français ou étrangers.

Malheureusement, les pouvoirs publics se sont (volontairement) piégés eux-mêmes : en confiant la négociation aux partenaires sociaux et en s'interdisant - et en interdisant au législateur - d'en modifier les conclusions, ils ne peuvent guère revenir dessus sans retourner devant les mêmes partenaires. Et il est hors de question de trouver une majorité syndicale pour approuver les propositions que nous avons évoquées. Excepté peut-être pour les simplifications (concernant notamment les seuils sociaux), qui ne font d'ailleurs pas partie des négociations de l'ANI et pour lesquelles les pouvoirs publics ne sont donc pas liés. Mais pour le reste, nous rentrons dans les sujets tabous et ne voyons guère comment progresser dans un sens libéral. Assouplir le droit du travail, n'y comptons donc pas trop, sauf à la marge.

[1] Voir Les Echos du 20 février 2014, Réforme des plans sociaux : les entreprises jouent le jeu.

[2] Rappelons que la cause réelle et sérieuse des licenciements économiques, d'après la jurisprudence, suppose en pratique que l'entreprise soit confrontée à de graves difficultés mettant en péril son existence, cette appréciation devant se faire au niveau mondial pour les groupes. Autrement dit un groupe mondial qui réalise globalement des bénéfices commet un abus au regard du droit français s'il ferme sa filiale française qui fait des pertes mais que partout ailleurs ou globalement le groupe est en bénéfice.

[3] Voir notre note sur la façon dont s'est opéré le redressement de General Motors avec la participation des syndicats et de l'État américain.