Complémentaires santé pour tous
« Aucun Français ne doit renoncer à se soigner faute de moyens financiers ». Atteindre cet objectif fixé par Marisol Touraine, ministre de la Santé, est impératif. Mais la solution proposée, de généraliser les complémentaires santé à tous les Français, n'est appliquée dans aucun des pays européens qui ont résolu la question de l'accès aux soins ainsi que les trois autres problèmes qui menacent la survie de notre système de santé.
Le filet français de protection santé est impressionnant : assurance maladie obligatoire, Couverture Maladie Universelle pour les personnes sans assurance maladie, Couverture Maladie Universelle Complémentaire, Aide Médicale d'État aux étrangers en situation irrégulière, niche fiscale en faveur des complémentaires santé « responsables », et de puissantes associations caritatives médicales.
Malgré tout, 29% des personnes interrogées déclarent avoir « renoncé à des soins » [1] au cours de l'année précédente. Un taux très supérieur aux 6% de personnes qui n'ont pas de complémentaire santé. Preuve que fournir une complémentaire santé ne résout pas le problème, qu'il existe d'autres causes, et notamment la difficulté pour les patients de s'y retrouver dans le labyrinthe du système de soins. Un manque d'information, de conseil et de suivi, reconnu comme une cause d'inégalité plus sévère même que les questions financières.
6 % des Français sans complémentaire santéCes personnes doivent donc prendre à leur charge les 12% de frais médicaux financés généralement payés par les complémentaires, en plus des 8% qui restent de toute manière à la charge des patients.
Mais une réforme du système d'assurance maladie qui prévoirait de nouveaux droits et donc une augmentation des dépenses ne peut pas se faire sans tenir compte des autres problèmes : le déficit de l'assurance maladie (10 milliards d'euros par an) et le mécontentement des professions médicales.
Quatre lacunes de l'assurance maladie 6 % des Français sans complémentaire santé
Des assurés et des malades désorientés face au système de soins
Un déficit de 10 milliards d'euros par an
Des professions médicales insatisfaites
Deux classes de solutions
Pour résoudre ces quatre problèmes, il n'existe que deux types de solutions, d'ailleurs mises en place par les pays étrangers : typiquement le Royaume-Uni et l'Allemagne.
Royaume-Uni : une seule assurance santé pour tous, les citoyens sont tous pris en charge automatiquement par une seule assurance gérée par l'État et financée par les impôts. L'État gère ou contrôle aussi la quasi-totalité du système de soins, établissements et professions médicales. Le domaine d'action des assurances « supplémentaires » est très limité et concerne des populations très favorisées, souvent étrangères, qui veulent bénéficier de traitements particuliers. Ce système, dont le médecin généraliste est le véritable pivot médical et financier, est très rationnel. Les revenus des médecins (notamment généralistes) sont supérieurs à ceux de leurs homologues français. Les frais de gestion de ce monopole sont faibles, les soins sont gratuits, le parcours du malade est bien balisé, mais la liberté de choix des assurés, des malades et des personnels de santé est réduite. Et le monopole d'État ne possède pas de dynamisme propre mais oscille au gré des décisions politiques entre pénurie et rattrapage avec injection massive de moyens financiers. Globalement, le système d'assurance et de santé (NHS) est plus performant que ce qu'on en dit en France, mais sans doute beaucoup plus contraint que ce que souhaitent les Français. Le niveau des dépenses de santé au Royaume-Uni est très inférieur à ce qu'il est en France (de 2 points de PIB soit 50 milliards d'euros par an) et le budget est automatiquement en équilibre.
Allemagne : un choix d'assureurs, les citoyens sont aussi tous assurés mais par de multiples assurances, historiquement mutuelles professionnelles ou régionales. Les personnes peuvent adhérer à l'assurance de leur choix. Les assurances supplémentaires sont rares et ne concernent que des domaines spécifiques comme les prothèses dentaires complexes. Un système de péréquation est en place pour éviter la sélection des assurés par les assureurs. Les personnes dont les revenus dépassent 4.000 euros par mois doivent adhérer à des assurances privées. Par leurs cotisations, ce sont de gros contributeurs, mais ce sont aussi de gros consommateurs, et ces assurances privées, plus libres, servent sans doute à découvrir de nouvelles relations, de nouveaux contrats avec les assurés et avec les fournisseurs de soins. Le système de soins est fortement régionalisé, notamment au niveau des hôpitaux publics. Les assureurs dialoguent avec les médecins pour mettre en place des parcours de soins innovants. En pourcentage du PIB, le niveau des dépenses de santé en Allemagne est souvent légèrement inférieur à ce qu'il est en France. Depuis la réforme allemande de 2004, l'assurance maladie qui était en déficit de 2 à 3 milliards d'euros par an est à l'équilibre, et même en excédent de 4 milliards d'euros en 2012. Ce qui a conduit Le Monde à titrer : « L'Allemagne ne sait pas quoi faire des excédents de l'assurance maladie.
Quel choix pour la France
Avec ses deux niveaux, l'un obligatoire (la CNAM) et l'autre optionnel (les complémentaires) mais disponible pour 94% des Français, la « troisième voie » française d'assurance maladie est très particulière. La proposition de généraliser les complémentaires santé à tous les Français conduirait à un cas étrange de deux niveaux d'assurance maladie, tous les deux obligatoires. Une duplication qui aggraverait les inconvénients actuels :
Système inéquitable
De nombreuses complémentaires santé, et notamment les mutuelles, sont "fermées" et regroupent des populations spécifiques souvent déjà privilégiées par ailleurs : salariés de l'Éducation Nationale, de la Caisse des Dépôts, de la Banque de France, de Total par exemple. Contrairement à se qui est fait en Allemagne ou aux Pays-Bas entre assurances au premier euro, aucune péréquation n'est faite entre les différentes complémentaires françaises. Résultat : une sélection des assurés aux dépens des moins favorisés (isolés, salariés des petites entreprises…).
Frais de gestion
Ils sont inévitablement plus élevés qu'avec un assureur unique, que ce soit en frais de gestion (les remboursements), de recrutement des adhérents, et de collecte des cotisations. Les frais des complémentaires santé sont souvent comparés à ceux de l'assurance maladie obligatoire (CNAM) et critiqués comme trop élevés. Cette situation est structurelle. Le traitement de chaque remboursement par les complémentaires est identique à celui de la CNAM, mais quand le montant de la prise en charge est de 100 euros pour la CNAM, il n'est que de 10 pour la complémentaire. De plus, la CNAM n'a aucun frais de « recrutement » de ses assurés et fait collecter ses cotisations par l'ACOSS (agence centrale des organismes de sécurité sociale) directement auprès des employeurs en même temps que toutes les autres.
Une complexité nuisible
Ces deux étages d'assurance donnent lieu à des contorsions ridicules et coûteuses. C'est le cas pour les assurés qui sont face à deux interlocuteurs. Et il y a longtemps que les experts ont remarqué que les complémentaires ont tout intérêt (sur le plan financier) à voir leurs assurés gravement malades plutôt que légèrement, les maladies graves étant prises en charge à 100% par l'assurance maladie de base. Le même phénomène existe avec les ALD (affections de longue durée), dispensant donc les complémentaires de toute intervention. C'est en compensation de ces avantages indus que le gouvernement a créé une taxe sur les complémentaires… régulièrement relevée suivant des formules arbitraires.
Services aux assurés
En position de quasi monopole mais soumise à l'État qui gère les hôpitaux publics et à des syndicats qui y sont très puissants, la CNAM n'est pas en mesure de guider ses assurés vers les filières de soins les plus performantes. De leur côté, les centaines de complémentaires n'ont pas les moyens de fournir à leurs assurés les services qu'ils en attendent : prévention, conseil qualitatif dans le parcours de soins et optimisation des dépenses. Même les plus grandes ne gèrent que 12% des dépenses de santé de 5% des Français, soit 0,6% des dépenses de santé en France. Une part de marché infime. Souvent trop petites et n'ayant de plus pas accès aux données médicales, même anonymisées, de leurs adhérents, les complémentaires santé se contentent, comme la CNAM, de payer mais sans remplir le rôle que les assurés attendent d'elles. Dans des domaines pourtant nettement moins critiques, les assurances autos ou bâtiments font mieux en conseillant les assurés qui le souhaitent dans leurs démarches de réparation.
Conclusion
Les Français n'étant sans doute pas prêts à accepter les contraintes d'une solution à l'anglaise, cette voie semble exclue. D'autant plus que faisant pratiquement disparaître le secteur des complémentaires santé (mutuelles et assurances), elle soulèverait de très fortes oppositions de tous les côtés de l'échiquier politique. Le manque de flexibilité de cette solution la rend de toute manière peu attractive à long terme [2].
Une réforme impossible ? En 2006, le gouvernement des Pays-Bas est passé en un an à un système « à l'allemande » avec des caisses d'assurance maladie concurrentes, responsables au premier euro, mais fortement encadrées. Le système, qui était chroniquement en déficit, est désormais équilibré, et les différentes caisses sont capables de négocier, comme des organisations adultes partenaires, avec les professions médicales.
Illustration : Julien Gouesse
[1] Le fait que ce taux soit à ce point supérieur à ceux des autres pays d'Europe semble lié au problème du pessimisme général des Français : Allemagne 15%, Royaume-Uni 6%, Espagne 5%.
[2] En Alsace Moselle persiste un régime particulier construit sur l'assurance maladie de base comme dans le reste de la France, complété par une seule complémentaire obligatoire, le tout formant en pratique, une caisse unique d'assurance. Dans son rapport, la Cour des comptes tempére les bénéfices apparents de cette solution souvent mise en avant