CICE, les entreprises font le travail avec des moyens... bien limités
Le récent rapport de France Stratégie cherche à évaluer l’effet du CICE sur l’économie et l’emploi. Il faut d’abord saluer le fait que les effets d’une réforme fassent l’objet d’un suivi et d’une évaluation ex post soigneuse, ce qui est une rareté dans l’expérience française. Quant aux conclusions à en tirer, elles ne méritent nullement que l’on évoque l’échec de la mesure. D’après un récent sondage Eudoxa, les Français, évidemment mal informés, seraient bien moins nombreux qu’il y a peu de temps, à estimer qu’on peut faire confiance aux entreprises car elles n’auraient ni embauché ni augmenté les salaires. En réalité, le CICE et l’ensemble du pacte de responsabilité, tout comme les entreprises, font le travail qui leur est demandé. En dépit de la brièveté de la période d’analyse, il apparaît que le taux de marge des entreprises a déjà été substantiellement amélioré, et qu’il serait déjà permis de conclure à un effet sur l’emploi compris entre 50.000 et 100.000 créations ou sauvegardes d’emplois, même si l’influence sur les investissements la R&D et les exportations n’est pas (encore ?) sensible.
Mais il ne faut pas demander au CICE et au pacte de responsabilité plus qu’il ne peut donner, particulièrement sur le coût du travail et les charges de toute nature qui pèsent sur les entreprises. Notre comparaison par rapport à l’Allemagne et au Royaume-Uni montre que les écarts de coût du travail, à durée du travail identique, ne sont réduits dans le meilleur des cas que de moins d’un tiers du fait de l’application du pacte (103 euros par rapport à des écarts de 325 euros avec l’Allemagne ou 557 euros avec le Royaume-Uni).
Le CICE fait son travail quant au rétablissement du taux de marge des entreprises, préalable indispensable
Brièvement rappelées, voici les conclusions essentielles que l’on peut tirer du rapport de France Stratégie. En premier lieu le CICE a « conduit à une amélioration sensible du taux de marge des entreprises ». Toutefois aucun effet de court terme n’est remarqué sur l’investissement, la recherche-développement et les exportations, ce que France Stratégie considère comme conforme aux prévisions en raison des délais d’action des mesures concernant l’offre, et « sans signification quant aux impacts qui peuvent être attendus pour les années à venir ».
En ce qui concerne les emplois, France Stratégie considère « probable un effet direct de l’ordre de 50.000 à 100.000 emplois créés ou sauvegardés sur la période 2013-2014 ». Ce chiffre n’est pas négligeable pour une mesure qui venait d’entrer en vigueur à l’époque, compte tenu aussi des particularités de sa mise en œuvre.
La période d’analyse est insuffisante.
France Stratégie n’a pu analyser que les résultats de 2013 et 2014, en se fondant sur l’exploitation des données individuelles d’entreprises. Or le CICE n’est entré en vigueur qu’en 2013, au taux de 4% du salaire seulement la première année (6% les années suivantes), et de plus il n’est crédité qu’avec un décalage d’une année en raison de sa nature de crédit d’impôt sur l’IS, ou sur les trois années suivantes en l’absence de profits taxables. En 2013, il aurait coûté 11,3 milliards à l’État, sa montée en charge n’étant définitive qu’à compter de 2015 où il aurait coûté 19 milliards. Mais du fait du décalage, l’effet à la baisse sur le coût du travail n’aurait pas dépassé 1,9% cette année 2013.
L’évaluation est « perturbée par l’impact d’autres décisions de politique économique ».
En effet, en sens inverse du CICE, nombre de décisions sont intervenues qui ont augmenté le coût du travail : annualisation des exonérations sur les bas salaires, réintégration des heures supplémentaires dans le calcul des allégements Fillon, puis fin de leur défiscalisation, très forte hausse du forfait social, hausse des cotisations vieillesse, hausses du smic…
Un « effet probable sur la survie des entreprises », non mesuré.
Cet effet n’a pas été mesuré du fait que les échantillons d’entreprises ont été « cylindrés », c'est-à-dire qu’ils ont porté sur des entreprises demeurées vivantes sur l’ensemble de la période. Le rapport suggère que quelques dizaines de milliers d’emplois auraient pu être préservés.
Le CICE n’abaisse pas le coût du travail !
En effet, la mesure a entendu répondre aux demandes des entreprises portant sur le coût du travail, mais pour diverses raisons le gouvernement n’a pas choisi la voie directe de la baisse des cotisations patronales, mais celle, indirecte, du crédit d’impôt sur l’IS, considérée d’emblée comme une « usine à gaz ». Alors que toutes les études démontrent qu’en règle générale la baisse des charges patronales ont un effet direct sur la propension à embaucher, il est logique de penser que la raison la plus évidente pour laquelle l’emploi n’a pas augmenté autant qu’espéré découle simplement du fait que le CICE n’abaisse pas le coût du travail, mais constitue un crédit d’impôt qui se constate au bas du bilan et qui reste non ciblé, même si son mode de calcul fait intervenir le montant des salaires. Au surplus, les entreprises peuvent légitimement se demander jusqu’à quel point le CICE est pérenne – sinon pourquoi ne pas baisser les charges directement ? Il est certain que le CICE mérite d’être critiqué à ce titre, comme sur la question de son ciblage, mais ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain.
Des moyens finalement trop limités pour avoir un effet évident sur la propension à embaucher, surtout dans un contexte de compétitivité internationale
On peut s’étonner qu’une mesure d’au total 20 milliards, diminuant de 6% le coût du travail sur les bas salaires, puisse être considérée comme insuffisante. Pourtant, n’oublions pas que ses auteurs lui assignaient essentiellement comme rôle d’améliorer la compétitivité internationale des entreprises françaises. A ce sujet, il a été remarqué que le CICE était mal ciblé, d’abord parce qu’il bénéficiait prioritairement à des entreprises non exposées à la concurrence internationale, et aussi parce que les salaires au-dessus de 2,5 smic, les plus concernés dans ce contexte de concurrence, n’entraient pas en compte dans le calcul du CICE. La même réflexion s’applique aussi, mutatis mutandis, aux autres mesures, très ciblées sur les bas salaires, du pacte de responsabilité.
Mais, outre cette question de ciblage, le CICE et le pacte de responsabilité n’apportent qu’une réponse très insuffisante au problème de la compétitivité des entreprises françaises. Nous avons comparé pour ce faire le coût du travail en France, Allemagne et au Royaume-Uni, pour quatre hypothèses de salaires. En France, les calculs tiennent compte de l’ensemble des mesures aujourd’hui applicables du pacte de responsabilité, CICE compris.
Les deux premières concernent les salaires au niveau du salaire minimum et au niveau de 1,3 salaire minimum applicable dans chacun des trois pays. Comme la durée du travail est de 35 heures en France et habituellement de 40 heures dans les deux autres pays, le salaire français a été établi à partir du salaire horaire multiplié par 40, en ajoutant 25% aux heures supplémentaires dépassant la durée de 35 heures.
Les deux hypothèses suivantes concernent des montants de salaires bruts arbitrairement choisis mais égaux cette fois dans chacun des pays. Comme il n’a pas été tenu compte dans ces deux cas des différences dans la durée du travail, le lecteur pourra rétablir les chiffres selon que la durée de 40 heures est atteinte en payant les heures supplémentaires ou alternativement par l’octroi de RTT.
Lecture. Pour un salarié travaillant 40 heures par semaine et payé au niveau du salaire minimum tel qu’il existe dans chacun des trois pays, le coût du travail est mensuellement, en France de 2.107 euros sans tenir compte du CICE ou 2.004 euros en en tenant compte, de 1.782 euros en Allemagne et de 1.550 euros au Royaume-Uni. Pour un salarié payé 3.700 euros dans chacun des pays, le coût du travail est de 5.173 euros en France (le CICE n’est pas applicable à ce niveau), de 4.477 euros en Allemagne et de 4.162 euros au Royaume-Uni, étant entendu comme il a été dit qu’il y a lieu en outre de tenir compte d’une durée du travail inférieure de 11% en France.
Il est facile de voir que l’effet du pacte de responsabilité, CICE compris, ne permet que très modestement de rattraper l’écart entre les coûts du travail en France et ceux de l’Allemagne ou du Royaume-Uni : 103 euros pour un salarié au smic venant diminuer un écart de 325 euros avec le salarié allemand, ou un écart de 557 euros avec le salarié britannique. Les constatations sont à peu près les mêmes pour les autres niveaux de salaires, étant entendu qu’au niveau de 3.700 euros aucun CICE n’est disponible, et que les différences pour les salaires supérieurs sont encore accentuées de ce fait – toujours en tenant compte au surplus de la différence de durée du travail.
Conclusion
Ne tirons pas sur les pianistes ! Voir resurgir le triste débat sur les contreparties au pacte de responsabilité attendues des entreprises est désespérant. Un débat qui revient d’ailleurs comme un boomerang au gouvernement, lui qui avait été le premier à demander ces contreparties et se voit maintenant reprocher de ne pas les avoir obtenues. Il était pourtant tellement évident depuis le début que les embauches ne se décrètent pas au vu d’une diminution d’environ 4% du coût complet du travail (6% du salaire brut).
Le taux de marge des entreprises s’est redressé, c’est le résultat qui était recherché et qui était le seul que l’on pouvait attendre dans un premier temps d’une mesure non ciblée portant sur l’IS. Ce n’est qu’ultérieurement que l’on pourra évaluer les effets du pacte de responsabilité de façon robuste, comme disent les économistes. Rappelons quand même aux Français interrogés par sondage et qui regrettent de ne pas avoir bénéficié de hausses de salaires, ce qui est en plus inexact, qu’il n’avait jamais été question que le CICE ait cet objectif !
En fin de compte, le pacte de responsabilité, malgré les critiques qu’il encourt à juste titre, est un élément essentiel de la politique économique, surtout parce qu’il vient compenser les mesures contraires que France Stratégie a rappelées. Mais on est loin du compte quand il s’agit de rattraper les écarts de coût du travail avec les pays qui nous entourent. Car la solution du problème est multi-factorielle : au fait que les cotisations sociales sont très élevées et pèsent particulièrement sur les employeurs, s’ajoutent le montant élevé du smic, la durée du travail plus courte en France et enfin le montant particulièrement important des taxes portant sur le chiffre d’affaires. Autant de leviers sur lesquels le prochain gouvernement devra impérativement jouer.