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Chirurgie ambulatoire : un échec à 570 millions ou à 5 milliards ?

Après la décision du président de la République de baisser des dépenses publiques, la chirurgie ambulatoire a été citée par le Premier ministre comme la source type des économies à réaliser dans notre système de santé. En septembre 2013, la Cour des comptes a évalué à 5 milliards d'euros par an les économies réalisables grâce à ce mode de soins (entrer à l'hôpital, être opéré et sortir le même jour). Mais en décembre 2013, un rapport de la fédération des hôpitaux publics de France (FHF) les estime à 570 millions seulement. Qui croire ?

Décider quels produits et services mettre sur le marché et à quels prix a toujours été le cauchemar des économies étatisées. En France, jusqu'en 1978, fixer les prix des différents pains autorisés occupait tout un service du ministère des Finances. Et au début du XXIème siècle, les prix du gaz et de l'électricité sont encore fixés par décrets, en tenant compte du niveau de popularité du gouvernement et de la date des prochaines élections. Le Conseil d'État ou Bruxelles les remettent régulièrement en cause pour faute de transparence.

Dans le domaine des soins médicaux et de leurs prix, la confusion est à la hauteur de leur complexité, très supérieure à celle de la baguette de pain.

Phase I : combien d'interventions en chirurgie ambulatoire ?

Dès 2009, un rapport de la Haute Autorité de la Santé (HAS) montrait un taux de chirurgie ambulatoire de 74% au Danemark et de 69% en Suède, contre 36% en France, et encore beaucoup moins dans les hôpitaux publics.

En 2010, un objectif de 80% d'interventions chirurgicales réalisées en ambulatoire avait été « acté » de façon solennelle, comme l'indique le texte ci-dessous :

« Communiqué de presse publié à l'issue du séminaire restreint du 15 octobre 2010 organisé par l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé (ANAP), la Haute Autorité de Santé et l'agence française de chirurgie ambulatoire, et réunissant les trois principaux régimes d'assurance maladie obligatoire, l'État (directions d'administration centrale concernées et cabinets du président de la République, du Premier ministre et du ministre de la Santé et des Sports) ainsi que la société française d'anesthésie réanimation. » Malgré le déploiement de cette force de frappe, l'objectif de 80% n'a pas été tenu et est maintenant vigoureusement contesté par les hôpitaux publics.

En 2011 nouveau rapport de l'Agence Nationale de l'Amélioration de la Performance (ANAP) (Chirurgie ambulatoire : état des lieux et perspectives) dans le même sens.

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Rapport ANAP

Et en septembre 2013, le rapport de la Cour des comptes souligne le retard considérable pris par la France (et notamment par les hôpitaux publics) dans ce domaine et estime à 5 milliards d'euros les économies réalisables grâce à cette technique.

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Rapport de la Cour des comptes

Marisole Touraine, ministre de la Santé, présentation du pacte de confiance à l'hôpital, 4 mars 2013 : "À l'avenir, la part de la chirurgie ambulatoire sera prédominante. Les patients passeront beaucoup moins de temps à l'hôpital. Ils bénéficieront d'un traitement personnalisé. Nos établissements devront être en mesure de répondre à cette nouvelle donne."

Pour préparer sa défense, les hôpitaux publics (la FHF) ont fait réaliser en 2013 un rapport par Stéphane Finkel, statisticien à la FHF, par le docteur Bernard Garigues, président de la Commission Médical d'Établissement du CHI d'Aix-Pertuis et conseiller médical à la FHF, et par Yves Gaubert, responsable du pôle Finances à la FHF sur le sujet « Estimation du potentiel de chirurgie ambulatoire à moyen terme selon différentes hypothèses et selon les pratiques observées ».

La conclusion de ce rapport, reprise par le Président de la FHF, est que « Les hôpitaux publics réalisent aujourd'hui 23% de leurs interventions chirurgicales en ambulatoire dans les CHU et plus de 31% dans les CH. Or, sur la base de la diffusion de bonnes pratiques, il est possible d'augmenter à moyen terme la part des interventions ambulatoires en chirurgie publique à 38% dans les CHU et à 49% dans les CH ». (Voir la vidéo de la présentation). La FHF ajoute que « L'étude montre également qu'un développement plus important est possible mais qu'il nécessite des réorganisations et des investissements ».

Cette dernière remarque est étrange puisqu'il est connu que la mise en place de la chirurgie ambulatoire exige bien une restructuration profonde de l'hôpital (locaux, équipes, planification et organisation du travail) [1]. Le montant de 570 millions aurait-il été calculé dans un cas "sans réorganisation" ? Le rapport de la Cour insiste d'ailleurs sur un de ces points (« Un parc chirurgical sous-utilisé »).

Phase II : combien peut-on économiser ?

La FHF n'est pas d'accord avec les évaluations de la Cour des comptes, de l'Agence d'Amélioration de la Performance (ANAP) et de la Haute Autorité de Santé (HAS) portant sur le pourcentage d'opérations réalisables en ambulatoire. Mais cela n'explique pas l'écart sur les économies réalisables, proche d'un facteur dix (570 millions vs. 5 milliards d'euros par an). « Pour les 56 principales interventions, même avec un taux de 100% ne tenant pas compte de la situation sociale des patients, l'écart de coût entre les tarifs ambulatoires et les tarifs conventionnels n'était, en 2012, que de 570 millions d'euros. Les gains financiers sont donc plus limités que ne l'avait laissé penser le rapport publié en 2013 par la Cour des comptes. »

L'estimation de cinq milliards a été faite à partir des calculs faits par l'ANAP révisés par la Cour des comptes. Le mode de calcul de la FHF, aboutissant aux 570 millions cités par Frédéric Valletoux, président de la FHF, sera connu dans un rapport annoncé par la FHF pour mai 2014.

Conclusion

Les planificateurs de l'Union soviétique utilisaient les listes de prix des catalogues des supermarchés américains pour tenter de mettre un peu de cohérence face au lobbying des industriels et les responsables politiques. Le cas de la chirurgie ambulatoire montre à nouveau ce casse-tête. Le pire est qu'il est très probable que les responsables des hôpitaux publics soient de bonne foi. Dans d'autres secteurs, avant que des entrepreneurs de la téléphonie mobile, d'Internet ou des voyages aériens ne trouvent le moyen de diviser les prix par deux, les fournisseurs en place étaient aussi convaincus d'offrir le meilleur service au juste prix.

Plutôt que de multiplier les rapports, la solution serait que l'assureur refuse de faire soigner ses clients-assurés dans les établissements où les meilleures normes de soins (qualité, coût, durée de séjour) ne sont pas appliquées. Évidemment, pour que les malades et les établissements de soins ne soient pas face aux ukases d'un monopole, il faudrait aussi que plusieurs assureurs évaluent les performances de leurs fournisseurs et non pas la seule CNAM-TS : tout se tient, il n'y a pas de petite réforme efficace de notre système de santé.

[1] C'est d'ailleurs cette perspective qui pousse certains hôpitaux à reculer le plus possible sa mise en œuvre