Baisse de la pauvreté malgré l'explosion des familles monoparentales
La récente statistique de l'INSEE sur la pauvreté a fait l'objet de quelques commentaires dans les médias, qui rappellent en général que le nombre de pauvres reste globalement constant, à environ 13% de la population française [1], et que ce sont les familles monoparentales qui souffrent le plus. Les statistiques fournies par l'INSEE méritent un examen plus précis, notamment pour souligner quand même la baisse générale du taux de pauvreté en France, ainsi que pour s'interroger sur les enseignements qui peuvent être tirés de la situation particulièrement défavorable des familles monoparentales.
Voici l'évolution sur trente-trois ans de quelques indicateurs significatifs concernant la France métropolitaine.
1975 | 1990 | 2005 | 2008 | |
---|---|---|---|---|
Taux de pauvreté (en % de la population totale) | 16,6 | 13,8 | 13,1 | 13,0 |
Taux de pauvreté des couples sans enfants ou avec 2 enfants au plus (moyenne non pondérée) | ND | ND | 8,1 | 7,7 |
Taux de pauvreté des familles monoparentales | ND | ND | 29,7 | 30,0 |
Nombre de familles monoparentales (en millions) | 0,77 | 1,17 | 1,76 | ND |
Une baisse globale de la pauvreté en France.
Le taux de pauvreté des personnes a globalement baissé en France, un peu moins ces dernières années, mais le mouvement s'est poursuivi, comme la situation financière des couples avec ou sans enfant le démontre : c'est 0,4 point, soit 5% de baisse pour ces derniers en trois ans, ce qui n'est pas négligeable.
Le taux de pauvreté des ménages (définis comme « l'ensemble des occupants d'un même logement sans que ces personnes soient nécessairement unies par des liens de parenté ») a encore plus diminué.
Cette tendance générale mérite d'autant plus d'être remarquée que, par construction, le seuil de pauvreté, et nécessairement aussi le taux de pauvreté, augmentent lorsque le revenu médian s'accroît. Or les calculs pour 2008 sont fondés sur un seuil à 950 euros alors que le seuil de l'année précédente 2007 était de 908 euros, reflétant donc une augmentation considérable, et dans une certaine mesure artificielle, de 4,6% du revenu médian. Malgré cela, le taux de pauvreté a diminué d'une année sur l'autre.
Rappelons aussi qu'en 1975 le seuil de pauvreté, en euros constants 2008, était de 585 euros, soit pendant la période une augmentation de 62%, qui traduit une pareille augmentation du revenu médian français.
L'exception des familles monoparentales
Cette baisse globale est en réalité occultée par la situation très défavorable d'une catégorie particulière, celle des familles monoparentales. Cette constatation est à relier à un fait sociologique très important des dernières décennies, et que traduit l'augmentation considérable et parallèle des ménages et des familles monoparentales : en trente-trois ans, le nombre des ménages a augmenté de près de 45% pendant que la population ne s'accroissait que d'environ 16%, et le nombre moyen de personnes d'un même ménage tombait environ de 3 à 2,3. Dans le même temps, le nombre de familles monoparentales (un parent isolé avec un ou plusieurs enfants célibataires) augmentait de 128%. Ce chiffre considérable est évidemment dû à la fois au nombre des divorces et séparations et à celui des naissances hors mariage.
Le risque de pauvreté de ces familles est malheureusement une évidente fatalité. Une famille est considérée comme pauvre si son revenu est inférieur, pour une personne, à 950 euros par mois toutes ressources et allocations confondues (chiffre pour 2008 correspondant par convention en vigueur en Europe à 60% du revenu médian). Le montant doit être ajusté ainsi pour les autres personnes de la famille : l'autre parent le cas échéant et chaque enfant de plus de 14 ans comptent pour 0,5, et chaque enfant de moins de 14 ans pour 0,3. En conséquence une famille monoparentale composée par exemple d'un parent et d'un enfant en bas âge est pauvre si le revenu du parent travaillant à plein temps est inférieur à environ 1,2 SMIC. La situation est évidemment pire si le parent ne travaille pas à plein temps, cas fréquent, ou en présence de plusieurs enfants.
Le RSA est-il suffisant pour améliorer le sort des familles monoparentales ?
Ces familles, au nombre de 1,76 million en 2005 (770.000 en 1975), représentent environ 5 millions de personnes. Le programme présidentiel prévoyait de faire sortir de la pauvreté un tiers des personnes qui en sont affectées. Le RSA mis au point par Martin Hirsch est l'outil essentiel imaginé pour inciter les bénéficiaires des minima sociaux à reprendre le travail.
La statistique de l'INSEE correspond aux données de 2008, et ne prend donc pas en compte les effets du RSA. Il nous faut donc attendre de voir les résultats. Dès à présent on peut tenter de faire des projections. Le RSA remplace l'allocation de parent isolé (API) dont les familles monoparentales pouvaient bénéficier, à la différence près qu'il permet fondamentalement un cumul de l'allocation avec 62% du revenu professionnel. On voit que dans le cas d'un revenu monoparental égal au smic net pour un plein temps, le seuil de pauvreté pour une famille avec un enfant est effectivement dépassé [2].
Mais ce résultat n'est atteint que dans la mesure où le parent isolé dispose d'un emploi, et d'un emploi à plein temps. Or, d'après l'INSEE seule une moitié de mères d'une famille monoparentale travaille à plein temps, les femmes représentant 86% des parents isolés. Le RSA constitue donc un progrès, mais son efficacité est limitée et bute encore une fois sur le problème de l'emploi.
L'explosion des familles monoparentales est un fait de société auquel notre modèle social est mal préparé alors qu'il conduit maintenant à une grande échelle à des situations souvent dramatiques. L'ex-API, elle-même héritière de l'allocation de salaire unique (ASU), a été définie à un moment où le phénomène n'était que marginal. Le chantier reste donc ouvert, mais il est délicat, d'autant qu'il ne faudrait pas que l'avantage procuré par l'assistance conduise à inciter à la multiplication des situations monoparentales.
[1] Chiffre correspondant à un seuil de pauvreté calculé sur la base de 60% du revenu médian, convention maintenant utilisée au niveau européen. L'ancienne convention utilisait 50% de ce revenu, et dans ce cas le taux de pauvreté n'est plus que de 7,1% en 2008.
[2] Seuil de pauvreté : 950 x 1,3 = 1.235 €. RSA = (690 + 654) – 1055 (smic net) = 289 venant s'ajouter à 1055, soit au total 1344 €.