Annualisation du temps de travail : comparaison France-Allemagne
L'annualisation du temps de travail, qui permet une répartition de la durée du temps de travail sur tout ou partie de l'année, est un élément-clef pour améliorer la compétitivité de la France en assurant aux entreprises la possibilité de s'adapter très rapidement à la conjoncture. Mais, plus de 16 ans après la loi Robien qui ouvrait alors la voie à une annualisation du temps de travail, il est toujours très difficile pour les entreprises de recourir à ce mécanisme, pourtant plus que jamais nécessaire en période de crise économique.
Face à une conjoncture de plus en plus incertaine, le besoin des entreprises en main-d'œuvre flexible est plus que jamais nécessaire. Le recours aux heures supplémentaires reste l'un des principaux moyens de flexibiliser la durée du temps de travail. Leur probable abrogation attire l'attention sur la mise en place d'une législation (enfin) capable d'adapter le rythme de travail à celui de la demande. En effet, aujourd'hui, en cas de creux d'activité dans les entreprises, on constate qu'elles ont massivement recours au non-renouvellement des CDD, font moins appel à l'intérim et réduisent les heures supplémentaires.
Les entreprises peuvent aussi recourir à la modulation réglementée du temps de travail qui permet aux entreprises de réduire ou de prolonger leur durée d'activité afin de réagir aux fluctuations de la demande de biens et de services. Ce qu'on appelle l'annualisation du temps de travail est une forme particulière de modulation dans laquelle le nombre total d'heures fixes de travail est réparti sur l'année. La durée quotidienne de travail ne peut pas excéder 10 heures et doit permettre un repos hebdomadaire d'au moins 35 heures. La durée du temps de travail ne peut pas non plus dépasser 48 heures par semaine ou 44 heures en moyenne sur une période de 12 semaines consécutives. De plus, la rémunération ne correspond pas aux heures réellement travaillées par semaine mais est une somme forfaitaire correspondant à la rémunération d'une semaine moyenne de travail.
Bien que dans les années 1980 la modulation du temps de travail rentre en vigueur en France, c'est la loi Robien de 1996 qui fait entrer dans le Code du travail le principe d'annualisation du temps de travail. Elle permet ainsi aux entreprises de réduire ponctuellement leur temps de travail avec comme contrepartie l'allégement des charges patronales de sécurité sociale. Les lois Aubry de 1998 et de 2000 introduisent la semaine de 35 heures combinée avec l'annualisation du temps de travail, si bien que la limite des 35 heures légales peut être calculée en moyenne annuelle. La loi Fillon de 2003 est celle qui va le plus loin dans l'annualisation des horaires travaillés en assouplissant et en modifiant les conditions de mise en œuvre du temps de travail. Pour que les entreprises puissent mettre en place de la manière la plus efficiente possible l'annualisation des horaires de travail, il est décidé de faire reposer ce mécanisme sur un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche. En moins de 8 ans, le principe de l'annualisation du temps de travail aura donc été modifié pas moins de trois fois, empêchant les employeurs d'adopter une vision à long terme de la gestion de leurs ressources humaines.
Le gouvernement Raffarin, en adoptant la loi Fillon, s'inspire alors d'un principe de négociation déjà adopté par beaucoup de Länder en Allemagne qui prendra une dimension nationale en 2004 avec les accords de Pfordzheim. Ils introduisent de la flexibilité pas seulement dans la durée de travail mais également dans les salaires ou les horaires. Ces points sont négociables dès lors qu'il existe des « impératifs de compétitivité » définis annuellement par la Chancellerie. Plusieurs de ces accords ont été très médiatisés comme celui de Volskwagen qui, en mettant en place la semaine de 40 heures, a permis la sauvegarde de 200.000 emplois. Ces accords se font toujours dans le cadre d'un modèle cogestionnaire qui associe très fortement les employés aux décisions prises. Ces processus de discussion permettent d'annualiser le temps de travail sans accord des salariés, grâce à la très grande concertation qui se fait en amont. Le patronat français, constatant la souplesse des processus de négociations allemandes, souhaite alors une plus grande flexibilité dans la mise en place de l'annualisation du temps de travail. La plus grande lourdeur dénoncée est celle du nécessaire accord de chaque salarié concerné puisqu'il s'agit de la modification de son contrat de travail.
En 2012, face au bilan contrasté de l'annualisation du temps de travail, le gouvernement Fillon en février 2012 propose que « la mise en place d'une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l'année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail ». En clair, il s'agit, en cas d'accord collectif signé avec des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ou l'établissement prévoyant une modulation de la durée et de la répartition du temps de travail sur une période supérieure à une semaine et inférieure à un an, de dispenser l'employeur de l'accord individuel du salarié. Ceci permettrait à l'employeur de contourner la principale difficulté rencontrée dans l'annualisation du temps de travail. Cette disposition ne sera toutefois pas votée car on est alors en fin de législature. Elle est par ailleurs très mal perçue par les syndicats, considérant une telle disposition comme une remise en cause d'un pan entier de leur champ de compétence : la négociation du temps de travail.
La conférence sociale des 9 et 10 juillet a entériné la disparition des « accords compétitivité-emploi » semblant montrer que le gouvernement ne se soucie guère du problème de compétitivité de la France. L'annualisation du temps de travail permettrait pourtant de sauver des milliers d'emplois dans le secteur industriel comme Volskwagen a pu le faire dans le secteur automobile.
Il nous paraît donc indispensable de :
permettre un plus grand recours à l'annualisation du temps de travail en supprimant ce qui freine son extension : l'accord individuel obligatoire sur la modification du contrat de travail ;
assurer une stabilité législative dans la gestion du temps de travail. La modification très fréquente du Code du travail empêche en effet toute lisibilité pour les employeurs.