Aligner les chèques pour la jeunesse ne remplace pas les réformes structurelles
Depuis 2012, plus de 7 milliards d’euros par an ont été déboursés pour les jeunes en difficulté et le gouvernement promet encore une rallonge de 10 milliards d’ici 2018. Le problème c’est qu’aujourd’hui, plus personne n’est dupe et tout le monde doit constater qu’à part aligner les chèques, les aides, les revalorisations et les contrats aidés, le gouvernement n'a pas trop d'idées. Et le bilan des réformes structurelles pour relancer le marché de l’emploi est quasi nul. En 2015, le taux de chômage des jeunes actifs de moins de 25 ans est toujours en France de 25,9%, contre 13,5% au Royaume-Uni et 7% en Allemagne. Et, lorsque l'on consulte les statistiques de la classe d’âge 25-29 ans (soit des jeunes sortis de la période d’études) : 12,1% d’entre eux sont au chômage contre 5,9% au Royaume-Uni et 5,1% en Allemagne. De quoi se poser quelques questions.
27,5 milliards de dépenses pour la jeunesse
Les propositions du rapport Sirugue tombent à pic pour un gouvernement qui cherche, encore et toujours, à prouver, sans convaincre, que la jeunesse est sa priorité. Le rapport propose notamment l’ouverture du RSA à 400 euros mensuels aux jeunes de 18 à 25 ans, hors études où ce sont les bourses qui doivent intervenir, sans condition de travail préalable. Pour le député-rapporteur, ce serait « le signe incontestable que la jeunesse est bien la priorité des politiques publiques ». Cet élargissement du RSA aux jeunes interviendrait sur un périmètre actuel de 24 milliards d’euros et le coût de cette extension est évalué à presque 4 milliards d’euros supplémentaires.
Sauf que... depuis le début du quinquennat, le gouvernement a déjà dépensé 27,5 milliards d’euros envers les jeunes pour un coût rapporté de 6,8 milliards d’euros par an. Et depuis le début de l’année 2016, le train des annonces et des promesses s’est d’ailleurs accéléré avec un renforcement de la politique des emplois aidés, de la garantie jeunes, une revalorisation des bourses lycéennes, le doublement du nombre de logements étudiants à construire mais aussi de nouvelles mesures comme l’augmentation de la rémunération des apprentis de moins de 20 ans, la prolongation des bourses 4 mois après la fin des études (ARPE), la possible création d’une CMC-C jeunes, etc. Total de l’effort financier à refournir jusqu’en 2018 : 10 milliards d’euros de dépenses supplémentaires.
Presque 30% des emplois aidés sont occupés par des jeunes
En 4 ans, le gouvernement au pouvoir a surtout misé sur les emplois aidés pour aider la jeunesse, notamment les emplois d’avenir, les contrats de génération, les emplois francs, les contrats CIE-Starter qui représentent près de la moitié des dépenses annuelles du gouvernement envers les jeunes. Conséquence, la part des jeunes de moins de 26 ans dans les emplois aidés est passée de 24,5% en 2010 à 27,4% en 2014 et cette augmentation a presque été intégralement supportée par le secteur public (dit le secteur non marchand hors alternance dans le tableau ci-dessous) dont les effectifs sont passés de 65.000 jeunes en 2010 à 101.000 jeunes en 2014.
Source : Dares.
L’inefficacité du recours aux emplois aidés pour lutter contre le chômage est pourtant avéré puisque « leur contribution à l'insertion dans l'emploi est, selon l'ensemble des études disponibles, très faible [surtout] dans le cas du secteur non marchand. Ce constat s'appuie sur des travaux français et étrangers convergents dont de nombreux pays européens ont déjà tiré les conséquences : ainsi l'Allemagne, qui faisait un recours massif aux contrats aidés au début des années 2000, a très fortement réduit son recours à ce type d'instrument. La politique française de l'emploi, qui ménage encore aujourd'hui une large place aux contrats aidés, apparaît ainsi de plus en plus comme une exception dont la pertinence est discutable » concluait en 2011, la Cour des comptes qui allait jusqu’à déclarer que « en définitive, les contrats aidés apparaissent davantage comme un instrument de politique de cohésion sociale que de politique de l'emploi ». En 2013, le Conseil d'analyse économique pointait aussi du doigt que toutes les études démontraient « l'inefficacité du point de vue du retour à l'emploi [des emplois d’avenirs] ».
La question du taux de chômage des jeunes
Le recours massif aux emplois aidés a certainement permis d’amortir les chiffres du chômage des jeunes, d’autant plus que les études générales de la DARES ne donnent pas le chômage des jeunes au sens du BIT (15-24 ans) mais sur une tranche d’âge 15-29 ans qui englobe beaucoup de jeunes et moins jeunes bien installés sur le marché du travail. Cela permet aux gouvernements successifs de communiquer sur le fait que la part de jeunes au chômage de 15-29 ans est inférieure à 10%. Pourtant les chiffres au sens du BIT, de l’OCDE, d’Eurostat et de l’Insee sont relativement les mêmes :
- En 2012, le taux de chômage pour les 15-24 ans en France selon l’Insee était de 25,3%, selon l’OCDE de 23,6% et selon Eurostat de 24,4% ;
- En 2015, le taux de chômage pour les 15-24 ans en France selon l’Insee est de 24%, selon l’OCDE de 24,6% et selon Eurostat de 25,9%.
A noter que seul, selon l’Insee, le taux de chômage des jeunes de 15-24 ans en France a baissé entre 2012 et 2015 passant de 730.000 à 646.000 jeunes, alors que selon l’OCDE et Eurostat, il a augmenté de 1% environ jusqu’à 677.000 jeunes au chômage en 2015 selon Eurostat.
Plutôt que de confronter les statistiques sur la France, une comparaison avec les pays européens est plus parlante sur le retard que nous accumulons. Ainsi sur la classe d’âge des 15-29 ans, 9,8% sont au chômage en France contre 8,4% au Royaume-Uni et 4,3% en Allemagne. Mais c’est bien sur la classe d’âge des 25-29 ans (soit une population qui a terminé sa scolarité et qui doit entrer sur le marché du travail) que la comparaison est la plus dure : ils sont 14% à être au chômage en France contre 6,9% au Royaume-Uni et 6,1% en Allemagne.
Source : Dares.
Pour conclure, si l’on fait le bilan de l’action envers la jeunesse du gouvernement sur 4 ans, on est forcé de constater qu’elle est essentiellement constituée d’un alignement de chèques, d’aides, de revalorisation des bourses, de plans de relance des contrats aidés, de l’apprentissage mais ce, sans réformer en profondeur l'apprentissage ou parier sur des contrats alternatifs dans le secteur marchand de type contrat zéro heure... La France préfère masquer le chômage des jeunes quand nos voisins européens ont choisi d'agir.
- L’apprentissage comme en Allemagne, qui est une voie de formation tout aussi valorisée que le lycée général et l’université. 16% des 15-24 ans ont choisi l’apprentissage en Allemagne contre 5,20% en France. En plus d’une culture différente où l’éducation nationale est très favorable à l’apprentissage en Allemagne (et pas en France), le système de formation professionnelle est beaucoup moins contraint en Allemagne. De cette liberté, vient le succès : c’est-à-dire d’un coût horaire moins lourd des apprentis, d’une rémunération pas liée à un smic trop fort, à des normes de travail et un temps de travail moins restrictifs pour les apprentis allemands, à un temps de présence des apprentis plus important dans les entreprises allemandes alors que les apprentis français restent encore trop à l’école, probablement pour occuper des enseignants professionnels désœuvrés ;
- Les contrats hyper flexibles comme les contrats zéro heure du Royaume-Uni où l’employeur et l’employé doivent s'entendre sur les modalités du contrat, les contrats de projet en Italie ou les contrats temporaires qui ont beaucoup augmenté en Espagne depuis 2010 ;
- Une libéralisation des licenciements pour des pays au profil similaire à la France, notamment en Espagne à travers une série de lois Travail en 2013 et 2015. Dans un premier temps, le gouvernement espagnol a baissé les indemnités de licenciement, puis il a annulé l’autorisation administrative obligatoire que l’employeur devait obtenir pour les licenciements collectifs. Les négociations collectives ont aussi gagné en poids par rapport aux négociations sectorielles ou de Province ;
- En appliquant des taux horaires minimum différenciés selon l’âge, ou plutôt en renforçant cette distinction, notamment au Royaume-Uni en 2016 qui a revalorisé le salaire minimum des plus de 25 ans ;
- En relançant l’entrepreneuriat comme les Pays-Bas qui ont engagé Neelie Kroes, ex-commissaire européenne, pour faire sauter les freins à l’entrepreneuriat[1] des jeunes et des moins jeunes dans le pays, notamment en rationalisant l’environnement fiscal et des aides publiques pour les entrepreneurs.
[1] Voir les mesures à prendre directement sur le site de Startupdelta.