Accords d’entreprise : les referendums sont la seule solution
On ne connaît pas encore le détail des modifications apportées par la deuxième version de la loi. Mais on est certain que les dispositions traduisant la volonté de donner une plus grande place aux accords au niveau de l’entreprise par rapport à la loi, ne seront pas modifiées. Il s’agit là d’un trait fondamental du projet de réforme, mis en avant dès l’origine par le chef de l’État (« un projet de loi permettra une meilleure adaptation du droit du travail à la réalité de l’entreprise », a-t-il dit), et repris par le rapport Combrexelle. Or, à l’arrivée, il faut bien constater que le projet de loi n’apporte rien de nouveau, voire empire la situation du point de vue des entreprises par le durcissement des conditions d’approbation des accords. Il faut y voir une fois de plus du lest lâché par crainte des syndicats, et particulièrement des deux syndicats opposés par principe à toute « adaptation » de la loi. Il est temps maintenant de cesser de s’illusionner sur l’éventualité que de tels syndicats finissent par adopter une attitude réformiste dans le cadre d’accords collectifs qu’ils se refusent à signer, et de passer outre à leur opposition par la généralisation des referendums (consultations directes des salariés).
Le projet de loi ne modifie que très peu, et pas dans un sens favorable à la flexibilité, les dispositions actuelles du code du travail[1] relatives aux accords collectifs d’entreprise et d’établissement. Une distinction principale est effectuée entre les entreprises pourvues d’un délégué syndical et celles qui ne le sont pas, puis, au sein de ces dernières entre celles qui disposent de représentants élus du personnel et celles qui n’en disposent pas.
Voici en résumé les règles essentielles applicables dans ces divers cas, et ce qui est susceptible de changer avec la loi nouvelle.
Entreprises pourvues de délégués syndicaux | |||
Loi actuelle. | Projet de loi. (qui sera précisé par un décret en Conseil d’État). | ||
Signature par syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 30% des suffrages[2], et absence d’opposition des syndicats majoritaires. | Signature par syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés. Si l’accord a été signé par des syndicats ayant recueilli au moins 30% de ces suffrages, ces derniers peuvent demander à l’employeur d’organiser une consultation des salariés. L’accord est validé si approuvé par la majorité des suffrages exprimés. | ||
Entreprises non pourvues de délégués syndicaux dans les entreprises de moins de 200 salariés | |||
Entreprises avec représentants du personnel. | Entreprises sans représentants du personnel (PV de carence). | ||
Loi actuelle | Projet de loi. | Loi actuelle. | Projet de loi. |
- Information préalable par l’employeur des syndicats représentatifs dans la branche. - Signature par représentants du personnel « représentant la majorité des suffrages exprimés ». - Approbation obligatoire (contrôle de régularité) par la commission paritaire de branche.
| Aucun changement.
| - Négociation et conclusion possibles avec salariés expressément mandatés par un ou plusieurs syndicats représentatifs dans la branche[3]. - Approbation obligatoire par les salariés à la majorité des suffrages exprimés.
| Aucun changement.
|
Autrement dit :
- en ce qui concerne les entreprises pourvues de délégués syndicaux, ce qui est le cas général, le projet de loi ne fait que rendre encore plus difficile la conclusion d’accords au niveau de l’entreprise. Alors en effet que la loi actuelle permettait la conclusion d’accords avec des syndicats minoritaires à 30%, et contraignait les syndicats majoritaires à prendre l’initiative d’une opposition formelle, le projet de loi inverse l’initiative et contraint les syndicats minoritaires à 30%, s’ils veulent passer outre à l’absence d’accord majoritaire, à demander à l’employeur de consulter les salariés. On notera que l’initiative de cette consultation ne peut provenir que des syndicats et non de l’employeur, qui est donc transformé en spectateur impuissant d’un débat à l’origine duquel il se trouve pourtant. Le projet de loi introduit donc une absurdité nouvelle dans le mécanisme, par peur que l’employeur soit à l’origine d’un désaveu des syndicats par les salariés…
- en ce qui concerne les entreprises non pourvues de délégués syndicaux, aucun changement n’est apporté à la solution actuelle. Il s’agit de toutes les TPE (entreprises de moins de 11 salariés), qui n’ont ni délégués syndicaux, ni comité d’entreprise, ni délégués du personnel, et d’un certain nombre de PME, celles qui n’ont pas de délégués syndicaux et, soit ont des représentants du personnel, soit se trouvent en situation de carence. Ce sont donc des entreprises avec peu de personnel, mais qui sont en nombre considérable (les entreprises de moins de 11 salariés représentent plus d’un quart du total des entreprises).
Or, pour toutes ces dernières, la loi, qui date de 2008, a introduit une présence syndicale extérieure obligatoire, et le projet de loi continue d’exclure toute possibilité de consultation des salariés ou de referendum d’entreprise ayant valeur légale. En présence de représentants du personnel, l’accord doit avoir reçu l’approbation de la commission paritaire de branche. Et en l’absence de représentants, les salariés doivent avoir été mandatés par des syndicats représentatifs dans la branche.
Une procédure qui n’est quasiment jamais utilisée dans les entreprises sans représentants du personnel…
Comme nous l’avons dit, cette règle n’est pas nouvelle, mais date de 2008, la seule chose que la loi Rebsamen de 2015 ait changé ayant été de permettre ce mandatement aux entreprises de moins de 11 salariés, ce qui n’était pas autorisé antérieurement. Nous disposons de statistiques du ministère du travail (DARES) sur l’utilisation de la procédure par les entreprises de plus de 10 salariés, mais évidemment pas pour les TPE.
Or, pour 2013 la DARES a relevé que seules 7,9% des entreprises de 10 à 49 salariés ont engagé au moins une négociation au niveau de leur entreprise, et que parmi elles le recours à la négociation par salarié mandaté n’a été utilisé que dans moins de 1% des cas [4]!
…et pour cause.
Jusqu’à 49 salariés, la négociation des accords collectifs d’entreprise est très peu utilisée, alors que les représentants du personnel, au moins les délégués, sont présents. Quant aux cas d’absence de représentant et donc de négociation par salarié mandaté, ils ne représentent que moins de 1% des cas. Même si on ne sait pas à quoi attribuer ce fait, et notamment dans quelle mesure il est dû à la non-disponibilité de la procédure pour les TPE, il n’est pas difficile d’imaginer que l’obligation de passer par un mandatement accordé par une organisation complètement extérieure rentre pour beaucoup dans le phénomène.
Imagine-t-on en effet sérieusement un employeur de 5 salariés par exemple, qui désire passer un accord dérogatoire d’un accord de branche, prendre l’initiative d’une procédure de mandatement de l’un de ses salariés par un syndicat qui est précisément à l’origine de l’accord de branche contesté – alors au surplus que la décision d’octroi de ce mandat est parfaitement discrétionnaire de la part du syndicat en question ?
Au total, le projet de loi n’apporte donc aucune avancée dans le sens du renforcement des accords d’entreprise dans la mesure où il sera encore plus difficile pour l’employeur de parvenir à leur conclusion dans les entreprises où les syndicats sont représentés, les conditions d’approbation ayant été durcies et les employeurs ne disposant pas de l’initiative de la consultation des salariés. Dans les entreprises sans représentant du personnel, la voie de la consultation est totalement fermée au profit de l’intervention d’organisations syndicales complètement extérieures à l’entreprise. C’est quand même un paradoxe lorsque l’on veut précisément « adapter la loi à la réalité de l’entreprise » individuelle, comme l’indiquait le Président de la République !
Le problème de fond : la légitimité syndicale
Dans un schéma idéal, on pourrait comprendre que l’intervention des syndicats soit souhaitable pour parvenir à la conclusion d’accords d’entreprise, même lorsque ces syndicats ne sont pas représentés dans l’entreprise en raison de leur taille insuffisante. Mais la légitimité des syndicats en France n’est pas telle que cette solution soit envisageable.
Représentativité des syndicats ?
Ce n’est pas tant parce que les syndicats français comptent extrêmement peu d’adhérents en comparaison de ce qui se passe dans les autres pays européens. Le nombre d’adhérents, ou taux de syndicalisation, n’est en effet pas un critère nécessairement significatif. Ainsi en France, l’affiliation n’est pas la condition d’obtention des avantages négociés par les syndicats.
Le véritable test serait plutôt celui de la présence syndicale dans l’établissement, et là les chiffres sont accablants dans les petites structures seulement 16% dans les entreprises de 10 à 49 salariés du secteur privé, et moins de 2% dans les entreprises de moins de 11 salariés[5]. D’autant qu’il faut rappeler que les syndicats bénéficient du monopole de présentation des candidats au premier tour des élections aux institutions représentatives du personnel.
Par ailleurs, lorsque les règles de représentativité ont été modifiées, des consultations ont été menées fin 2012 pour déterminer les suffrages obtenus par chaque centrale syndicale. Dans les TPE, le nombre des votants par rapport à celui des électeurs n’a pas dépassé 10,4%. Il n’est enfin pas besoin de rappeler les chiffres franchement mauvais de la confiance qu’ont les salariés dans les syndicats français.
Dans ces conditions, contraindre les employeurs des TPE à passer par une négociation avec des organisations qui ne sont pas représentées dans leur entreprise, et qui jouissent d’aussi peu de légitimité auprès des salariés malgré le monopole dont ils bénéficient, n’a guère de sens.
Une attitude systématiquement anti-réformiste et opposée à la recherche de consensus.
Comme on vient de le voir, le projet de loi ne consacre pas « l’inversion de la hiérarchie des normes », ce que le Premier ministre a d’ailleurs tenu à rappeler ces jours-ci, de peur de braquer davantage (si c’est possible) les syndicats opposés à toute réforme. Il n’en demeure pas moins que la volonté de rapprocher la fabrication des normes et leur adaptation des entreprises, constitue un trait fondamental du projet de loi El Khomri, principe sur lequel tout le monde s’accorde pour en penser le meilleur. Tout le monde ou presque… et notamment pas la CGT et FO, respectivement premier et troisième syndicats par ordre de représentativité, qui disposent ensemble du pouvoir de bloquer la conclusion de tout accord majoritaire d’entreprise. Deux syndicats qui réclament le « retrait » total du projet de loi, sans rien proposer de leur part. Lorsqu’on a entendu lors d’une émission dominicale le secrétaire général de la CGT évoquer l’adaptabilité de la loi au niveau de l’entreprise comme une chose impensable car la loi doit être la même pour tous, le code du travail pouvant se comparer sur ce point au « code de la route » (!!!), imagine-t-on un seul instant confier à ce syndicat les clés de la conclusion d’accords collectifs dont il réfute le principe même ?
Il faut savoir ce que l’on veut, et la première réaction est de fustiger l’hypocrisie d’un gouvernement qui cherche à favoriser dans toutes les hypothèses le dialogue social avec des organisations qui ont pour règle le refus de tout consensus, comme le montre l’attitude de ces syndicats lors des négociations des accords nationaux interprofessionnels (ANI). Si des accords peuvent être effectivement signés au niveau des entreprises comme le rappelle la CGT, l’objet de ces accords reste trop souvent trivial et ne saurait en tout cas jamais concerner l’adaptation de dispositions du code du travail, comme envisagé par le projet de loi[6]. A quoi sert donc de feindre de croire aux bienfaits d’une recherche d’un consensus à partir d’une telle opposition de principe ? L’expérience de ces années a suffisamment prouvé que l’on ne rendra pas réformistes des organisations en augmentant leur pouvoir, mais bien en rendant possibles les alternatives à leur intervention.
La seconde conclusion qui s’impose est de réclamer bien fort que les entreprises puissent – au minimum - avoir recours à des referendums ayant valeur légale pour adapter la loi et les accords de branche dans toute la mesure autorisée :
- dans les entreprises pourvues d’une présence syndicale, l’employeur doit comme les syndicats minoritaires détenir la faculté d’initiative des referendums ;
- dans les entreprises sans présence syndicale, le recours au referendum doit être autorisé à l’initiative de l’employeur sans condition autre que de s’assurer que l’information est donnée de façon complète par cet employeur.
[1] Deuxième partie, Livre II, La négociation collective, et plus spécifiquement le Titre III, Chapitre II, section III, articles 2232-11 à 2232-29.
[2] Il s’agit des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires des représentants du personnel.
[3] Pourvu que ces salariés ne puissent pas être « assimilés » à l’employeur et ne soient pas « apparentés » à ce dernier.
[4] Dares analyses, décembre 2015, No 94.
[5] Dares Première, avril 2008, No 16-1.
[6] La CGT ne fait pas mystère de sa position dogmatique sur la question : dans une contribution datée du 1er septembre 2015, elle affirme : « Il faut donc en revenir à une juste répartition des rôles entre la loi et l’accord collectif : la loi définit les protections communes à tous, charge aux partenaires sociaux de les améliorer, à partir des réalités vécues par les salariés dans les entreprises et de leurs aspirations sociales. Il faut conforter le principe selon lequel la loi, garante de l’intérêt général et de la solidarité entre salariés, s’impose à tous, l’accord collectif ne pouvant y déroger, mais au contraire fixer des dispositions plus favorables aux salariés ».