Taxe « colonies de vacances » sur l'hôtellerie de luxe : une idée plus que désuète
Un rapport parlementaire, sous la direction du député socialiste Michel Ménard, vient de dénoncer la profonde désaffection que subissent déjà depuis quelque temps les colonies de vacances. Le propos n'est pas ici de discuter de l'utilité éventuelle de relancer une machine passée de mode, mais de s'élever contre la création d'une taxe spécialement affectée au budget desdites colonies et provenant, suivez mon regard, de l'hôtellerie de luxe. Ce serait une grave erreur à deux titres. D'abord, il s'agirait, comme un député l'a qualifiée, d'une politique de « Robin des bois ». Mais surtout ce serait créer un nouvel exemple d'ITAF (impôts et taxes affectés) que la Cour des comptes et le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) viennent justement de stigmatiser avec fermeté en tant que moyen de contourner les règles budgétaires. Si l'Etat veut rendre plus abordables les colonies de vacances, c'est sous sa propre responsabilité et sur ses propres ressources budgétaires.
Les colonies de vacances en plein paradoxe.
Très loin des « jolies colonies de vacances » de Pierre Perret, installées dans les fumées d'usine, les centres de vacances et de loisir, nouveaux nom des « colos », sont devenus trop chers ! En effet, 63 euros en moyenne par jour et par enfant d'après le rapport, c'est un prix que les classes moyennes ne peuvent pas se payer, alors elles privilégient d'autres formules moins chères et mieux adaptées à leurs demandes.
C'est un paradoxe, alors que les colos ont été inventées à l'origine pour permettre aux enfants défavorisés de partir se refaire une santé au grand air à une époque où les parents ne partaient pas en vacance, faute de ressources et aussi de temps libre. Mais les choses ont bien changé depuis, les parents disposent de beaucoup plus de temps libre, notamment avec l'institution des 35 heures, la voiture et les voyages se sont beaucoup démocratisés et coûtent relativement beaucoup moins cher qu'au siècle dernier, et l'offre du marché est devenue considérable. Enfin, l'offre des colonies de vacances elle-même s'est améliorée, mais au prix d'un enchérissement, tenant notamment à l'addition des contraintes, qui ne les rend plus concurrentielles. Le résultat est que les colos n'attirent plus que les familles pauvres qui reçoivent des aides sociales, et que les classes moyennes en raison du coût les désertent.
Le rapport Ménard examine toutes ces causes, et note aussi que les parents privilégient maintenant les vacances familiales, plus sécurisantes. Il est quand même surprenant de voir que le rapport se désole de cette préférence pour les vacances en famille, et qu'il insiste sur la nécessité pour les enfants de « sortir du cocon familial », en assignant aux colonies de vacances la mission essentielle de favoriser « la mixité sociale ». Position très marquée d'idéologie, qui ne se préoccupe nullement des désirs pourtant difficilement contestables et clairement exprimés par les familles. Familles, je vous hais ? Serait-ce la démocratie du kolkhose que l'on voudrait nous imposer ?
Quelle logique à imposer une forme quelconque de « mixité sociale » ? Alors même que la mixité internationale (les séjours des enfants à l'étranger) est l'expression moderne de ce qu'il faut favoriser. Les programmes de colonies de vacances le prévoient d'ailleurs, mais ils se trouvent là en concurrence avec les offres du marché. Si ces offres sont meilleures, elles n'ont pas de raison de ne pas être préférées. Il revient aux familles de choisir comment elles veulent faire sortir leurs enfants du « cocon familial ». Et si l'Etat considère qu'il faut aider les enfants les plus pauvres à prendre des vacances, c'est dans le cadre de l'aide sociale qui leur est destinée qu'il lui faut agir, et non pour faire revivre artificiellement, au nom d'une idéologie de mixité sociale que l'on voudrait imposer contre le vœu des familles, un cadre qui ne serait accessible aux classes dites moyennes que grâce à l'institution de taxes spécifiques.
Un rapprochement artificiel.
On voit bien ce à quoi tend le rapport Ménard en créant une taxe sur l'hôtellerie de luxe : c'est de rapprocher cette dernière de l'hébergement qu'offrent les colonies de vacances. Mais le rapprochement est artificiel, car il s'agit d'activités sans aucun rapport, l'hôtellerie de luxe étant surtout destinée à de riches touristes étrangers. La France vient de regagner son premier rang de destination touristique, il n'y a aucun motif pour pénaliser en particulier cette vocation. Et quand bien même il s'agirait dans les deux cas d'hébergement, avec de tels raisonnements, on en viendrait à justifier de taxer spécialement les éclairs au chocolat pour abaisser le prix du pain au nom d'une péréquation entre produits d'alimentation pour "riches" et produits pour "pauvres"…
Le cancer des taxes affectées.
Les taxes affectées, dont la « taxe colonie de vacances » serait un exemple si d'aventure elle était instituée, sont dans le collimateur de la Cour des comptes, ainsi que du CPO, organisme dépendant de la Cour des comptes. Et précisément plusieurs de leurs rapports viennent de s'attaquer à cette anomalie.
De quoi s'agit-il ? Afin de permettre au Parlement de contrôler l'allocation et le bon usage des deniers publics, le principe de l'universalité budgétaire prévoit l'affectation des ressources fiscales au budget général de l'État. Toutefois, et depuis longtemps en France, il a été procédé à des affectations de ressources fiscales, en dehors du budget général de l'État, à des tiers dotés de la personnalité morale, alors que cette pratique est globalement moins développée à l'étranger. Faute d'une définition juridique précise, la fiscalité affectée est un phénomène mal connu. Pourtant, elle constitue aujourd'hui une importante catégorie de prélèvements : le CPO a ainsi recensé, pour l'année 2011, près de 309 taxes affectées d'un rendement agrégé de 112 Md€ (soit 5,2 % du PIB et 13 % des prélèvements obligatoires).
Ainsi que l'indique le CPO à propos du recours aux taxes affectées pour abonder les ressources des agences de l'Etat, « le recours à la fiscalité affectée s'explique généralement par le souhait de contourner les contraintes budgétaires. La norme de dépenses, en imposant une contrainte forte sur les crédits du budget général, a ainsi favorisé le développement des taxes affectées et la débudgétisation corrélative de certaines dépenses. Les taxes étant des ressources, elles n'entrent pas, en effet, dans la norme de dépenses. Dès lors, le financement des agences par des taxes plutôt que par des dotations budgétaires, qui sont, quant à elles, prises en compte dans la norme, permet de mieux respecter les engagements budgétaires. Dans ces conditions, le CPO recommande de rebudgétiser 75 taxes à l'intérieur du périmètre de sa revue.
Quelques mois plus tôt, c'est la Cour des comptes elle-même qui s'était attaquée au phénomène des taxes affectées à propos du financement de la Sécurité sociale. Elle relevait que les taxes affectées étaient en constante augmentation, particulièrement depuis 2006, et, en 2011, représentaient 54milliards d'euros, soit 12% des ressources de la Sécurité sociale [1] . Le but est évidemment de ne pas « tirer » davantage sur les ressources traditionnelles et très politiquement visibles que sont les cotisations patronales et salariales et la CSG/CRDS. Mais bien sûr le résultat économique est le même, et ce sont les entreprises et les contribuables individuels qui sont mis à contribution avec les multiples taxes affectées.
La Cour des comptes s'insurge contre la perversité du système, qui débudgétise les ressources, déresponsabilise les acteurs dans leur lutte pour les économies, et déconnecte l'évolution des ressources de celles des dépenses puisque les rendements des taxes affectées n'ont aucun rapport avec le montant des dépenses. On fait ainsi naître un pilotage du système par les ressources, avec la possibilité de faire évoluer ces dernières si nécessaire ou de faire appel à l'Etat : lorsque les ressources sont pléthoriques, on les consomme en augmentant les dépenses ; lorsqu'elles sont au contraire insuffisantes, c'est l'Etat qui doit combler le trou.
L'instauration d'une taxe sur l'hôtellerie de luxe pour refaire vivre (mais peut-on vraiment refaire vivre un modèle passé de mode ?) les colonies de vacances ne serait donc pas seulement mettre à contribution, sans raison et au nom d'une idéologie douteuse, un secteur de l'économie florissant mais à protéger, et ce au profit d'un secteur condamné, ce serait aussi développer encore davantage cette pratique perverse des ITAF contre laquelle les plus hautes instances de la République nous mettent en garde.
[1] Les trois plus importantes, de plus de 10 milliards chacune, sont les taxes sur les salaires, les droits de consommation sur le tabac et les taxes sectorielles (tabac, alcool, produits pharmaceutiques).