Déficit public : « Nous arrivons face au mur », constate Agnès Verdier-Molinié

À l'occasion de la sortie de son livre et de la dernière étude de l'iFrap qu'elle dirige, Agnès Verdier-Molinié rappelle les maux dont souffre la France par rapport à ses voisins européens. Elle propose de réformer d'urgence en souveraineté. Avant que la France ne se fasse rattraper par le FMI.
Faut-il être rassuré politiquement et économiquement après l’adoption du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale ? Quelles sont les raisons d’espérer, mais aussi de rester inquiet ?
On peut trouver rassurant que le PLF et le PLFSS aient été adoptés, mais la réalité est qu’il n’y a quasiment pas d’économies prévues pour 2025: à peine 3 milliards d’euros si on lit bien l’avis du Haut Conseil des finances publiques, alors qu’il y a 27 milliards de hausses d’impôts ! C’est exactement l’inverse qu’il faut faire, en faisant porter à 100% l’effort d’ajustement sur la réduction des dépenses et en diminuant en simultané l’impôt sur les entreprises et les entrepreneurs pour contrer le caractère récessif de la baisse de dépenses sur la croissance. C’est d’ailleurs ce que je propose dans mon nouveau livre, Face au mur, et que nous détaillons et chiffrons, dans la dernière étude de la Fondation iFrap, à 110 milliards d'euros de baisse des dépenses publiques, le plan pour sauver notre économie (lire page 48).
La Cour des comptes vient de rendre son rapport sur les retraites: il ne prend pas en compte le déficit des pensions de l’État et anticipe une dégradation de la situation financière des régimes d’ici à 2045. Ne serait-il pas temps, enfin, d’associer public- privé pour connaître la situation réelle des régimes en France? D’ailleurs, quelle est-elle ?
Le rapport de la Cour des comptes est très surprenant. La Cour reconnaît un déficit des régimes des agents territoriaux et hospitaliers à hauteur de 2,5 milliards d’euros en 2025 et un déficit des retraites à hauteur de 6,6 milliards tous régimes confondus. Mais la Cour refuse de reconnaître, sous des prétextes obscurs, qu’il y a aussi un déficit des pensions publiques de l’État. Peut-être tout simplement car les agents de la Cour sont aussi des agents de l’État? Le montant de ce déficit est très difficile à chiffrer, car il n'y a pas de caisse de retraite des agents de l’État et donc pas d'affichage transparent du déficit. Mais, contrairement à ce que dit la Cour, nous estimons à la Fondation IFRAP le déficit total des régimes publics à entre 10 et 15 milliards pour 2025. Soit environ deux fois plus que le déficit reconnu par la Cour tous régimes confondus! Et ce, alors qu’environ 4 millions d’agents publics sont actuellement retraités sur 18 millions de retraités. Le déficit des retraites publiques demeure l’éléphant dans la pièce que l’on ne veut pas voir.
Depuis quelques mois, les chiffres du chômage remontent, avec un taux particulièrement mauvais sur les populations jeunes et seniors. À quoi s’attendre en 2025 ? Ces chiffres reflètent ils la situation réelle ?
À la Fondation IFRAP, nous nous attendons à 7,8 % de chômage à la fin de l’année 2025. La tendance n’est pas bonne et les analyses officielles sont très parcellaires sur les raisons de cette remontée. Celle-ci est, certes, alimentée par l’instabilité politique, mais aussi par l’instabilité fiscale. Quand les chefs d’entreprise voient que leurs impôts vont monter à la fois sur leurs entreprises et sur leurs revenus personnels. Que les allégements de charges et les crédits d’impôts sont remis en question en permanence dans le débat public, qu’une proposition de loi a même été votée en première lecture à l’Assemblée nationale pour faire payer aux entrepreneurs de France (au-delà de 100 millions d’euros de leur patrimoine net)2 % de leur patrimoine tous les ans… Évidemment, cela n’incite pas à embaucher ou investir en France! Selon le baromètre Bpifrance de novembre 2024, 65 % des patrons de TPE et PME repoussent ou annulent leurs investissements, et 55 % font de même pour les embauches. J’évoque d’ailleurs dans le livre un potentiel mur des faillites, à plus de 70 000 défaillances d’entreprises.
Le climat des affaires s’améliore, nous dit l’Insee? Il est juste un peu moins mauvais! Plus de nouvelles taxes, de suppressions de niches fiscales ou de contraintes sur les entreprises et les entrepreneurs seront annoncées, plus le chômage montera. L’annonce par le gouvernement de la création d’un nouvel ISF pour l’an prochain, à 0,5 % du patrimoine, va d’ailleurs dans la plus mauvaise direction. Cela va encore continuer à faire partir de France des entrepreneurs et tout ou partie de leurs entreprises.
L’ Allemagne, en récession, va se doter d’un gouvernement de coalition. En France, où la croissance est très faible, il n’y a pas de majorité à l’Assemblée nationale. Doit-on s’inquiéter que les deux premières économies en Europe soient contraintes à engager des politiques économiques a minima pour contenter tous les partis ?
C’est pour cette raison que la France devrait s’inspirer de ses voisins européens pour leur capacité pragmatique à constituer des coalitions. Et à réformer! Mais avec un contrat de coalition clair sur les réformes à faire. C’est parce que nous avons été incapables, tous partis confondus, en 2022, de constituer une coalition que nous avons aujourd’hui une telle dérive de nos dépenses publiques. Pas de majorité pour voter donc pas de lois de finances rectificatives comme cela aurait dû être le cas…Et donc des déficits record, à plus de % de la richesse nationale, qui se succèdent. Nous arrivons face au mur. Il faut prendre urgemment des décisions. Si nos politiques veulent continuer à mentir aux Français en leur disant qu’une poignée de contribuables et d’entreprises qu’ils appellent les “riches” peut payer pour le surcoût du modèle social… Si les politiques n’ont pas le courage d’affronter la réalité du décrochage économique de la France, il faudra en passer par des référendums qui posent les bonnes questions: plus d’impôt pour tout le monde ou moins de dépenses publiques ? Plus de CSG et de cotisations et moins de retraite et de salaire net ou un report de l’âge à la retraite ? Continuer à embaucher sous statut à vie nos agents publics ou arrêter ?
En 2024, la France était avec l’Italie dans les deux premiers émetteurs de dette sur les marchés en zone euro. Si l’Allemagne se met à réemprunter beaucoup plus avec l’abandon possible de la règle d’or, quelles seront les conséquences pour notre pays ?
C’est une très bonne question ! J’explique dans mon livre que nos émissions de dette française, notamment à court terme, sont souscrites très majoritairement par des acheteurs étrangers. À plus de 83 % à court terme. Nous allons émettre plus de 300 milliards d’euros en 2025. Si les Allemands émettaient plus que prévu en 2025, il pourrait alors y avoir un effet d’éviction pour les acheteurs étrangers, japonais, chinois ou autres, qui pourraient choisir en priorité l’Allemagne à financer plutôt que la France. Cela pourrait faire monter le taux à 10 ans sur la France et donc le coût annuel de la dette. Ce sujet peut effectivement devenir absolument central à l’avenir. Ne nous trompons pas d’objectif: réformer nous-mêmes très vite en souveraineté ou le faire demain mais sous la tutelle du FMI.