Fraude sociale : seulement 900 millions recouvrés sur 20 milliards de fraude estimée

Bercy vient de publier le Bilan 2024 de la lutte contre toutes les fraudes. Or les résultats sont encourageants avec un total de fraudes fiscales mises en recouvrement et de fraudes sociales détectées en 2024 d’un montant total de 19,6 Md€ en hausse de 12,4% en 2024 par rapport à 2023, tandis que les sommes encaissées ont augmenté de 10,3% la même année à 12,3 milliards d’euros. Cependant les résultats des deux contrôles sont contrastés. Le contrôle fiscal atteindrait un taux de recouvrement ou de non-décaissement de près de 14,7 Md€ pour des mises en recouvrement de 16,7 Md€ (soit 88%), à comparer à une fraude fiscale estimée de 35-40 milliards d'euros (36%-42%).
Les résultats de la lutte contre la fraude sociale sont beaucoup plus modestes (bien que encore incomplets). On sait en particulier que les fraudes aux cotisations et aux prestations sont globalement de l'ordre de 10 milliards d'euros chacune (soit 20 milliards au total) bien que les derniers chiffres non complets publiés tournent autour de 13 milliards d'euros. Or, la fraude détectée aux prestations et cotisations sociales atteint péniblement les 2,88 milliards d'euros, et les encaissements 0,9 Md€, soit 1/20ème de la fraude estimée. C'est donc en matière de lutte contre la fraude sociale que résident les plus grandes marges de progression.
Les produits des contrôles fiscaux augmentent de 9,8% entre 2023 et 2024 :
Le Bilan 2024 Lutter contre toutes les fraudes met en avant un montant de fraudes fiscales mises en recouvrement (droits et pénalités) de 16,7 milliards d’euros en 2024, soit +9,8% par rapport à l’année précédente (+1,5 Md€).
2024)[1].
Ce niveau est supérieur à celui atteint en 2017 (16,1 Md€), mais reste inférieur au niveau de 2016 et 2015. Dans le détail, il s’agit d’abord d’une augmentation très nette des droits et pénalités encaissés par le contrôle sur place (+1,1 Md€ soit +12,8%, résultant des opérations de vérification de comptabilité et d’ESFP (examen de l’ensemble de la situation fiscale personnelle)), suivi par le contrôle sur pièce ou du bureau (+0,5 Md€ soit +6,6%).

Par ailleurs, dans le même temps, les encaissements augmentent à nouveau de +8% entre 2023 et 2024 à 11,442 milliards d’euros, après une quasi-stagnation à hauteur de 10,6 milliards d’euros depuis 2021. Néanmoins si on y ajoute également les crédits d’impôt et taxes non remboursés, de façon à obtenir un total d’encaissements et de non-décaissements, les montants totaux pourraient apparaître en augmentation constante depuis 2021 avec +14,5% de créances fiscales « sécurisées » soit +1,87 Md€.

Avec cette métrique, il apparaît que les produits « sécurisés » ne sont plus que de 2 milliards d’euros inférieurs aux montants mis en recouvrement dans l’année – même si les encaissements ne sont pas tous relatifs à des contrôles effectués dans l’année.
Les pouvoirs publics mettent en avant « l’augmentation des moyens consacrés aux contrôles fiscaux avec près de 800 (780) emplois créés ces trois dernières années pour lutter contre la fraude et le recouvrement des amendes » ; mais aussi grâce à « un recours accru au ciblage par l’intelligence artificielle (IA) » avec des la mise en recouvrement via Data mining de près de 2,5 Md€, soit +19% (+400 M€) par rapport à 2023.
Source : DPT op.cit 2025 (octobre 2024) et Bilan 2024 (mars 2025)
Le montant des fraudes sociales détectées augmente en 2024 de +31% à 2,88 Md€
Du côté de la lutte contre la fraude sociale sous toutes ses formes, les produits détectés atteignent 2,88 Md€ soit +30,8%, dont une augmentation des notifications des fraudes aux prestations de +19,3% à 1,294 Md€, tandis que les montants détectés au titre des LCTI (fraudes aux cotisations) sont en augmentation de +42% à 1,586 Md€ sur un an.

Dans le détail, ces montants sont encore provisoires, car sans contribution de la MSA (régime agricole) dont les produits en matière de contribution comme de prestations ne sont pas encore connus à date de publication du rapport. N’y figure pas également les éléments fournis par ailleurs pour 2023 s’agissant de France Travail ni les régimes complémentaires[2].

Cette présentation décomposée permet de montrer que les principales contributions sont d’abord les fraudes à l’assurance maladie (+39,6% sur un an), suivies par les fraudes aux prestations dans la branche famille (+20,1%). Au total, les fraudes aux prestations augmentent en 2024 de +19,3%, tandis que les fraudes aux contributions liées au travail illégal détectées représentent 1,6 milliard d’euros (+42% par rapport à 2023).

Notons que parallèlement les montants des fraudes sociales recouvrées (toutes causes) représentent 900 millions d’euros, soit en augmentation de +49,5% par rapport à 2023. Il apparaît par ailleurs que la fraude aux prestations est la mieux recouvrée (taux de recouvrement de 60,2%, +13 points sur un an pour un montant de 780 M€) tandis que la fraude aux cotisations liées au travail illégal est beaucoup plus faible 7,6% et même en recul sur un an de 0,34 point (pour un montant total de 121 M€). Alors même que son produit s’accroit en montant très significativement (+36%).
Là encore les pouvoirs publics font état d’un « effort volontariste de réarmement des organismes de sécurité sociale », en particulier :
Les conventions d’objectifs et de gestion (COG) des caisses du régime général font état du recrutement de 1000 ETP (+20% des effectifs) entre 2023 et 2027, ainsi qu’un plan de modernisation des systèmes d’information de 1 Md€ sur cette période.
Par ailleurs l’exécutif insiste sur « la modernisation des stratégies de contrôle » via un « meilleur ciblage des fraudes à forts enjeux » (branche famille et CNAM) et « une exploitation renforcée des outils de data-mining ». Ainsi en 2024, le nombre de contrôles ciblés s’agissant des fraudes aux cotisations aurait progressé de 11%, 86% d’entre eux ayant abouti à un redressement.
Des nouvelles estimations de fraude qui montent en puissanceLe Bilan 2024 Lutter contre les fraudes, ajoutent des éléments relatifs à la fraude douanière et à la fraude des aides publiques, qui représentent la traque des fraudes aux aides exceptionnelles de l’État ou de la Commission européenne en France.
On constate en matière de lutte contre les manquements aux obligations douanières, des montants de fraude en augmentation de +12,8% qui atteignent 71,2 M€ en 2024. Par ailleurs une nouvelle catégorie est désormais suivie : les « avoirs criminels saisis ou identifiés par l’ONAF », pour un montant de 600 millions d’euros (+275% par rapport à 2022). ![]() Source ; DGDDI 2024.
Le total de la fraude évitée pour 2024 (pas de référence pour une année antérieure) est de 480,6 M€, dont la fraude évitée aux certificats d’économie d’énergie (236 M€, 49% des fraudes aux aides publiques évitées), la fraude évitée à MaPrimeRénov’ (229 M€, 48%) etc. ![]() La fraude à l’apprentissage et à l’alternance pour 1,6 M€ semble pour le moment extrêmement faible. Il s’agit sans doute d’une fraude qui devrait monter en puissance sachant les sommes en jeu (15,9 Md€ pour l’apprentissage et 1,015 Md€ pour le contrat de professionnalisation[3]). |
Conclusion :
Les résultats publiés pour 2024 sont bons en matière de lutte contre la fraude fiscale et sociale. Cependant, les problématiques sont aujourd’hui différentes pour les deux types de fraude :
La fraude fiscale voit ses encaissements et fraudes aux crédits d’impôt évités augmenter et atteindre un niveau de plus en plus comparable à celui des droits et pénalités mis en recouvrement. Cela montre une vraie montée en puissance du contrôle fiscal, même si les montants notifiés directement par data mining restent encore modestes. On arrive donc à une forme de "maturité" du contrôle fiscal sur lequel il semble difficile d'avoir de grandes marges de progression à coût budgétaire maîtrisé, peut-être en matière de fraude à la TVA.
S’agissant de la fraude sociale, il apparaît que les sommes encaissées restent encore très faibles et surtout s’agissant de la lutte contre le travail illégal. Ce qui peut également résulter du fait que les montants détectés montent en puissance et dépassent désormais assez sensiblement ceux de la fraude aux prestations. Néanmoins il y a encore en la matière une vraie faiblesse, qui faudra adresser via un meilleur partage des informations et une augmentation sensible de l’IA afin de stopper les tentatives de fraudes et de sécuriser les prestations/cotisations. Cela montre en tout cas que si l'objectif de l'exécutif est de parvenir à une détection de 40 milliards de fraudes toutes causes en 2029, cet objectif ne pourra être atteint qu'avec une montée en puissance importante de l'arsenal de lutte contre la fraude sociale, tant en matière d'encaissement ou de non-décaissement qu'en matière de détection. La communication gouvernementale qui se focalise sur l'impôt sur le revenu semble à ce stade peu réaliste en la matière.
Dans cette veine, on constatera que la proposition de loi de Thomas Cazenave relative à toutes les fraudes aux aides publiques adoptées à l’Assemblée nationale en 1re lecture le 27 janvier 2025 devrait permettre de diversifier l’arsenal des administrations sociales et fiscales en la matière[4]. Reste à notre avis qu’il serait bon de l’enrichir en matière d’exploitation des réseaux sociaux et d’aviseurs sociaux pour améliorer encore la prise sur la fraude estimée qui reste très peu attaquée en matière sociale.
[1] Ces chiffres diffèrent quelque peu des séries longues jusqu’ici connues, qui ont été redressées et mises à jour, voir https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/106-milliards-le-controle-fiscal-fait-du-surplace-pour-la-3eme-annee-consecutive. Pour consulter le DPT, https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2025/projet-loi-finances-les/documents-politique-transversale
[2] Voir notre publication pour 2023 https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/le-cout-de-la-fraude-sociale-aux-prestations-et-cotisations, ainsi que les 1ers éléments pour 2024 en matière de fraude aux prestations https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/lutte-contre-le-travail-dissimule-des-resultats-2024-en-hausse-de-35
[3] Voir France Compétence, Rapport sur l’usage des fonds 2024, p.14 https://www.francecompetences.fr/app/uploads/2025/02/RUF24_prod_digit_HD.pdf#page=8
[4]https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/contre_fraudes_aides_publiques#AN1