Déficit public : les erreurs majeures sont en dépenses

Année après année, la France sous-estime dans ses prévisions le dérapage de ses dépenses publiques. Agnès Verdier-Molinié cherche toujours un pilote dans l'avion.
Cette tribune a été publiée dans le journal Les Echos, le 7 avril 2025 |
Pour expliquer la cause des dérapages des déficits publics en 2023 et 2024 respectivement de 14 milliards et de 41 milliards, on nous a beaucoup raconté ces derniers mois que nous avions en France un problème de prévision des recettes publiques. En réalité, ce sont les écarts de prévisions sur les dépenses qui ont fait déraper les déficits. En effet, en 2023, l’erreur de prévision sur les dépenses se chiffre à 27 milliards et en 2024 à 32 milliards d’euros ! La dérive du solde public s’explique ainsi quasi exclusivement étant donné que le cumul des dérapages des dépenses sur deux ans représente 59 milliards d’euros.
Sur le volet des prévisions de recettes de prélèvements obligatoires, les services de Bercy les ont bel et bien surestimées de 13 milliards d’euros en 2023 et de 40 milliards en 2024. On peut à la rigueur comprendre les erreurs de 2022 et 2023 avec le brusque redémarrage de l'inflation. C'est plus difficilement explicable en 2024.
Recettes non fiscales
Cela dit, en recettes totales, y compris les recettes non fiscales, les recettes se sont élevées à 13,4 milliards de plus en 2023 par rapport à ce qui avait été voté. Et, en 2024, les recettes totales ont été plus faibles de « seulement » -11,8 milliards d’euros. Le cumul des écarts en recettes totales est ainsi de +1,6 milliard d’euros. Certes, les prélèvements obligatoires sont moins bien rentrés que prévu, mais les recettes non fiscales ont fait plus que rattraper le manque à gagner !
Les erreurs de prévisions étaient déjà d’actualité pour 2022. Cette année-là, les recettes ont été plus élevées qu’anticipées de 132 milliards et les dépenses plus élevées de 96 milliards d’euros ! Constat : au lieu de chercher à réduire le déficit public (125 Md€ en 2022), en jouant sur le rebond des recettes, on a laissé filer les dépenses en cours d’année. Notamment avec les différents boucliers énergétiques (25 Md€). Mais pas que. Avec la revalorisation des pensions aussi.
Le député Mathieu Lefèvre, ancien rapporteur général du budget, a proposé que la prévision de recettes soit confiée au Haut conseil pour les finances publiques pour plus d’indépendance vis-à-vis de Bercy. Tandis que de leur côté, la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin et le ministre de l’Économie Éric Lombard ont annoncé la création d’un comité d’alerte des comptes publics qui se réunira trois fois par an pour se pencher sur les comptes de l’État, de la Sécu et des opérateurs publics et associera les collectivités locales pour tenter de juguler d’éventuelles dérives des comptes.
La dérive des comptes sociaux s'explique par les revalorisations des retraites et par les conséquences non financées du Ségur de la Santé.
Il est naïf de croire qu’un tel comité pourrait changer la donne dès lors que l’on cherche encore le pilote dans l’avion des dépenses sociales et locales qui ont explosé. Sur deux ans, 2023 et 2024, par rapport aux prévisions initiales, les dépenses ont dérapé de +30,5 milliards pour le social et de +21 milliards pour le local…. La dérive des comptes sociaux s’explique par les revalorisations des retraites et par les conséquences non financées du Ségur de la Santé. La dérive des comptes des collectivités s’explique en partie par l’abandon des pactes de Cahors décidé par le gouvernement en 2022 et par la revalorisation du point d’indice des agents publics en 2023.
Prévisions indépendantes
« C'est un vrai tournant », nous disent les ministres ? Le vrai tournant serait de s’appuyer sur le consensus des prévisions indépendantes de Bercy pour construire nos budgets. Quand on a un déficit de 169 milliards d’euros comme en 2024, soit l’équivalent de 12 % des recettes publiques, on se doit arrêter de surestimer la croissance, l’inflation et les élasticités… Vu que la croissance est attendue à 0,7% au lieu de 0,9%, on aura 3 à 5 milliards de recettes en moins pour 2025. Si le comité d’alerte existait vraiment de manière indépendante, il serait d’ores et déjà en train d’appeler à l’annulation de crédits ou à une loi de finances rectificative. Mais on n’entend rien.