Actualité

ONDAM : l’alerte est lancée…

Coup sur coup le comité d’alerte de l’ONDAM et la Cour des comptes viennent de rendre chacun un rapport qui alerte sur la situation : « tel qu’il peut être constaté à ce stade, le montant du dépassement hors dépenses « Covid », soit 1,3 Md€, excède légèrement le seuil d’alerte à partir duquel des mesures de redressement auraient dû être mises en œuvre » s’agissant de l’ONDAM 2024, ses dépenses dépassant le seuil d’alerte de 0,5% hors Covid. Une alerte qui intervient à contre-temps puisque les comptes de la Sécurité sociale sont désormais clos, alors même qu’en octobre dans son avis n°2 de 2024, le Comité d’alerte précisait « qu’au vu des éléments dont il disposait alors, il n’avait pas estimé que ledit dépassement [alors en cours ndlr] présentait un « risque sérieux » de dépassement du seuil d’alerte. » On voit donc que l’impossibilité de s’autosaisir aboutit à limiter fortement l’efficacité du comité d’alerte. De son côté la Cour des comptes préconise pour plus de 20 milliards d’euros d’économies à réaliser d’ici 2029 sur l’ONDAM afin de limiter l’envolée des dépenses sous objectif. Une analyse des mesures proposées invite malheureusement à plus de circonspection.

L’ONDAM de 2024, un dépassement en cours qui interroge :

L’ONDAM représente l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie. Il représente les dépenses de soin de 3 branches : branche maladie, branche AT-MP et branche autonomie ainsi que leurs charges techniques associées pour 2 d’entre elles (AM et Autonomie (partiellement)[1]).

Si l’on prend en compte la dernière publication de la commission des comptes de la Sécurité sociale d’octobre 2024[2], les comptes de l’ONDAM non consolidés se distribuaient ainsi parmi l’ensemble des dépenses des trois branches :

Voir l'image en plus grand
Source : CCSS octobre 2024 ainsi que PFSS 2025 [3].

On constatera que les dépenses de l’ONDAM représentent 91,5% des dépenses de l’ensemble des dépenses de prestation des 3 branches, dont 93,3% des dépenses de prestation de l’Assurance-maladie (en format ROBSS), 95% des dépenses de prestations de la branche Autonomie et 49,2% des dépenses de la branche AT-MP. Les consolidations interbranches et avec les charges techniques sont toutefois importantes lorsque l’on rapproche ces résultats avec ceux de l’ONDAM total disponible à date :

Voir l'image en plus grand
Source : CCSS octobre 2024 ainsi que PFSS 2025 [4].

Le comité d’alerte procède à l’actualisation des informations disponibles s’agissant de l’ONDAM 2023 et 2024 dans sa publication d’avril. 

Voir l'image en plus grand
Source : Comité d’alerte de l’ONDAM avril 2025

Or il apparaît que le seuil d’alerte fixé à 0,5% des dépenses hors Covid au niveau de la LFSS 2024 (soit 1,274 milliard d’euros très précisément) a été dépassé d’après les comptes 2024 arrêtés en mars 2025, avec un objectif hors de 256 Md€ exécuté contre un objectif initial fixé à 254,7 Md€ (soit précisément +1,3 Md€). Pour éviter le dérapage, « la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 a relevé le montant de l’objectif 2024 à 256,9 Md€ [y.c. dépenses Covid], soit un surcroît de dépenses de 2 Md€ et une progression portée à 3,6%. »

Ainsi, malgré le fait que les dépenses de l’ONDAM exécutées en 2024 aient moins augmenté (+0,5 Md€) que les prévisions révisées inscrites dans la LFSS 2025 pour 2024, et alors « qu’elles sont inférieures à cette prévision révisée pour tous les sous-objectifs à l’exception des autres prises en charge pour lesquelles elle la dépasse légèrement », l’ONDAM a progressé en 2024 de +1,5 Md€ par rapport à la LFSS 2024, ce qui induit un dépassement de l’objectif initial de 0,6%.

Le Comité relève à ce titre que si « dans les années précédentes le dépassement de l’objectif (…) était essentiellement imputable à des évènements exceptionnels (…) ce n’est en revanche plus le cas en 2024 » qui est dû principalement « à la progression courante des dépenses » soit +1,3 Md€ (86,7%), les dépenses exceptionnelles (Covid) étant pour leur part à l’origine d’un dépassement de 0,2 Md€ sur les 1,5 Md€ identifiés (13,3%). 

Ainsi, « tel que constaté à ce stade, le montant du dépassement hors dépenses « Covid », soit 1,3 Md€, excède légèrement le seuil d’alerte à partir duquel des mesures de redressement auraient dû être mises en œuvres. » Il faut donc croire qu’il n’en a rien été à ce stade, le relèvement de l’objectif en LFSS 2025 et sous-exécuté pour 2024 suffisant aux pouvoirs publics pour ne pas avoir à prendre les mesures correctrices nécessaires.

Le Comité d’alerte décrit mais ne fournit pas cependant de tableau permettant une comparaison aisée des sous-objectifs de l’ONDAM qu’il commente par ailleurs. Nous l’avons reconstitué pour l’essentiel comme suit :

Voir l'image en plus grand
Source : Comité d’alerte de l’ONDAM avril 2025, reconstruction Fondation iFRAP avril 2025

Les écarts les plus significatifs concernent les soins de ville qui de l’aveu même du Comité d’alerte ont été « beaucoup plus dynamiques que prévu ». Une problématique qui n’avait pas échappé au législateur dans la LFSS 2025 puisque la révision de l’ONDAM avait « principalement concerné le sous-objectif des soins de ville (+1,7 Md€). » Les soins de ville ont en effet atteint 109,9 Md€ en exécution 2024, soit un dépassement de +1,5 Md€ par rapport à la programmation initiale (et 88,2% du rehaussement du sous-objectif en LFSS 2025). 

« Par ordre décroissant d’importance en montant, le dépassement de la prévision initiale est imputable aux médicaments (…), aux indemnités journalières, aux honoraires des médecins spécialistes, masseurs-kinésithérapeutes, de biologie médicale en laboratoire, aux dispositifs médicaux et aux dépenses hors prestations ». Sur ce champ, le Comité d’alerte indique les « prises en charge de cotisations en faveur d’une partie des professionnels de santé (+8,3% contre +3% en LFSS 2024), les indemnités journalières (+8% contre +4,8%) ; les dispositifs médicaux (+5,7% contre 4,3%) » etc… 

On relèvera que les produits de santé sont à l’origine de 1/3 de la croissance des dépenses de soins de ville (35,7%) et les indemnités journalières de plus d’un quart (26,1%). 

Par ailleurs les dépenses des établissements de santé augmentent de près de 0,2 Md€ (+2,5%) par rapport à la programmation initiale en LFSS 2024. Le montant principal étant porté par les dépenses MCO (médecine, chirurgie et obstétrique), en lien avec les établissements ex-DG (dotation globale). L’accroissement ayant toutefois été limité par « application du coefficient prudentiel des tarifs » ce qui a permis de limiter l’ampleur des dépassements. Le comité d’alerte note toutefois que « les dotations mises en réserves [pour 0,3 Md€, ndlr] n’ont pas fait l’objet d’annulations ou de gel définitif. »

Enfin en sens contraire, les dépenses des établissements et services médico-sociaux (ESMS) sont plus faibles de -0,3 Md€ par rapport à l’objectif initial fixé, mais ce bon résultat relève « à titre principal (0,2 Md€) » de l’incidence d’annulations de crédits visant à limiter l’ampleur du dépassement anticipé en exécution de l’ONDAM 2024. Il s’agit donc aux 2/3 d’un effet de régulation en gestion. Par ailleurs le montant « des autres prises en charge » est plus faible qu’anticipé initialement (-0,1 Md€), cet ensemble recouvrant les soins des Français à l’étranger, le financement de certains opérateurs ainsi que les dépenses médico-sociales spécifiques hors champ de l’objectif général de dépenses (OGD) touchant au traitement des addictions et aux soins psychiatriques. 

Une accélération de l’ONDAM 2025 et des économies à la peine ?

L’ONDAM 2025 présente une progression en LFSS 2025 de près de 3,4% par rapport au socle 2024 alors connu :

Voir l'image en plus grand
Source : LFSS 2025 et comité d’alerte de l’ONDAM avril 2025

Désormais, il n’intègre plus de coût spécifique pour les dépenses liées au Covid. Il atteint 265,9 Md€. La progression de +3,4% serait d’abord portée par les dépenses du sous-objectif des établissements de santé (+3,8%) et par celui des ESMS (+5,4%) ainsi que les dépenses du sous-objectif des « autres prises en charge » (+7,4%). La progression des dépenses de soin de ville contrairement à l’année 2024 pèserait moins lourd dans cette évolution (+2,8%). En revanche les dépenses consacrées au FIR et au soutien national à l’investissement baisseraient de 4,4%

Voir l'image en plus grand
Source : LFSS 2025 et comité d’alerte de l’ONDAM avril 2025

Ces résultats seraient obtenus par un volume d’économies dégagées en 2025 en augmentation de +23% par rapport à celles de l’année précédente, contrebalancée par des mesures nouvelles en hausse elles aussi de près de 34,8%.

Source : LFSS 2025 et comité d’alerte de l’ONDAM avril 2025

Dans le détail ces mesures d’économies seraient d’abord placées sur les dépenses de soin de ville, où ils dépasseraient les mesures nouvelles annoncées sur ce champ (-2,9 Md€ contre +1,8 Md€). Ces économies seraient liées à la baisse de prix des produits de santé, de la régulation des dépenses en matière d’actes de biologie et de transports sanitaires, ainsi que par une baisse du plafond de revenu d’activité pris en compte pour le calcul des IJ maladies. En sens contraire des mesures nouvelles (1,8 Md€) sont principalement formées par la négociation de nouvelles mesures conventionnelles avec les professionnels libéraux (1,7 Md€). 

Source : LFSS 2025 et comité d’alerte de l’ONDAM avril 2025

S’agissant des dépenses des établissements de santé, des économies (-1,3 Md€) sont recherchées via la baisse des prix des produits de santé de la liste en sus, ainsi que de l’optimisation des achats. Ils ne parviendraient cependant pas à compenser la hausse importante des mesures nouvelles de près de 2,7 Md€, dont +0,9 Md€ lié au relèvement du taux de cotisation employeur à la CNRACL (rétablissement des comptes de la caisse de retraite des fonctionnaires de la FPH et de la FPT). 

Ces économies sont pourtant insuffisantes, et le comité d’alerte insiste sur le fait que « des risques importants de dépassement de l’objectif fixé pour 2025 » subsistent à défaut d’un encadrement plus strict des dépenses de soins de ville. On aurait envie de dire et des dépenses des établissements hospitaliers également… comme on va le voir plus loin.

Voir l'image en plus grand
Source : LFSS 2025 et comité d’alerte de l’ONDAM avril 2025

En effet, dans le détail, les 4,3 Md€ d’économies sont d’abord financés par des financements de l’assurance-maladie mis en réserve en début d’année (pour 1,1 Md€), dont 420 M€ sur l’activité tarifée d’établissements de santé et 680 M€ au titre des dotations aux établissements de santé et médico-sociaux. En 2025 la sous-exécution de l’ONDAM 2024 par rapport à son objectif rectifié en LFSS 2025 permet un « effet base » de -0,28 Md€ qui s’impute favorablement en 2025, ainsi que diverses mesures d’ores et déjà acquises pour 2,9 Md€ environ (soit un acquis total de 3,2 Md€). 

Des incertitudes de construction subsistent néanmoins[5] :  ainsi les mises en réserve de 1,1 Md€ en début d’année ne comportent pas les dépenses de soin de ville, ils ne sont pas intégralement fongibles pour couvrir des dépassements à nouveau sur ce champ spécifique. Par ailleurs, les plus grandes incertitudes existent sur la faculté des établissements de santé à parvenir à ne pas consommer leurs mises en réserve de dépenses à titre conservatoire (soit 627 M€). Il « paraît exclu que (c)es mises en réserves (…) soient en tout ou partie définitivement gelées ou annulées. » Par ailleurs des mesures non encore acquises concernent les économies réalisées sur les dépenses de médicaments en 2024… qu’il faudra mettre à jour dans les prochains mois. 

Un déficit hospitalier qui va croissant

 

Le solde du budget principal des EPS plonge à nouveau dans le rouge. Il est attendu entre -2,8 Md€ et -3Md€ pour 2024 hors budgets annexes. Si on rajoute ces derniers, le solde hospitalier consolidé pourrait se creuser pour atteindre entre -3 et -3,2 Md€ en 2024.  Soit une augmentation de près de 1 milliard d’euros sur un an. 

Md€

2020

2023

2024

Le solde du budget principal des EPS

-0,2

-1,9

 -2,8<-3

Solde consolidé BP+BA des EPS

-0,1

-2,3

 -3<-3,2

Source : LFSS 2025 et comité d’alerte de l’ONDAM avril 2025

Toutefois, comme l’indique le Comité d’alerte, « ces estimations restent à confirmer par les remontées comptables définitives des établissements de santé, dont le calendrier est tardif. Celles-ci interviennent en juillet N+1, ce qui est effectivement très tardif pour que des mesures correctrices puissent être prises par la tutelle des établissements en la matière. Accélérer les redditions comptables en février/mars, comme pour la plupart des comptes des administrations publiques centrales, permettrait de disposer d’un point de vue plus précoce sur leur santé financière. 

  1. Réaliser 20 milliards d’économies sur l’ONDAM à l’horizon 2029, crédible ?

C’est dans ce contexte de dérapage contrôlé de l’ONDAM et de complexité de son pilotage que la Cour des comptes a rendu un rapport relatif aux économies que l’on pourrait générer afin d’en sécuriser le respect[6]. La Cour fait à cet égard 15 propositions pour des économies à horizon 2029 comprises entre 19,4 et 21,4 Md€. Cependant, l’industrie pharmaceutique s’est plainte devant la Commission européenne des politiques de ristournes tarifaires pratiquées par les pays européens. Cette négociation qui s’appuie sur la question de la guerre douanière initiée par Donald J. Trump[7], devrait mettre à mal la perspective de tirer partie de près de 5,3 Md€ d’économies pérennes sur le médicament, dont 4,8 liés à une progression raisonnée des prix (0,3 Md€ d’économies résultant d’une relance des médicaments génériques via les biosimilaires, et 0,2 Md€ lié à une révision de la nomenclature des dispositifs médicaux, semblent davantage sécurisés). 

Md€BASSEHAUTE

Avec la poursuite de la baisse des prix 

des produits de santé et leur bon usage

19,4

21,4

Avec abandon de cet objectif - compte tenu 

de la négociation en cours des industries 

Pharmaceutiques avec la Commission européenne

14,6

16,6

Source : Cour des comptes (avril 2025) présentation Fondation iFRAP (avril 2025).

La liste des économies prévues par la Cour des comptes est la suivante :

Voir l'image en plus grand
Source : Cour des comptes (avril 2025)

Conclusion :

L’ONDAM semble aujourd’hui un instrument difficile à piloter. Les dépassements de 2024 hors mesures exceptionnelles sont préoccupants. Le risque qu’un tel évènement puisse se produire à nouveau en 2025 n’est pas à exclure. Par ailleurs, la politique de ristourne sur les prix des médicaments par l’industrie pharmaceutique semble marquer le pas, notamment parce que les pays européens et tout spécialement la France ont des politiques tarifaires minorant par rapport à notre homologue américain. Les économies qui peuvent en résulter doivent donc être minorées d’ici 2029 en fonction de cette nouvelle donne tarifaire.

Le sous-objectif de médecine de ville semble le plus difficile à piloter, car ne faisant pas l’objet de mesures de régulations spécifiques. Pour autant la compensation avec les économies susceptibles d’être dégagées sur les sous-objectifs hospitaliers et médico-sociaux est difficile à produire rapidement (sauf à beaucoup mieux encadrer les prescriptions aux ALD et à développer comme en Allemagne un bouclier sanitaire[8] et/ou à augmenter le reste à charge en direction des particuliers ou des mutuelles). Sur le volet médico-social, les effets démographiques du vieillissement de la population sur la partie hors handicap se font sentir. Sur le volet hospitalier, les comptes sont de plus en plus déficitaires, risquant de reconstituer une dette sur le chef de l’ACOSS alors même que leur précédente dette a fini d’être reprise en 2023 par la CADES. Il faut donc porter la plus grande attention aux remontées comptables disponibles via les services de la DGFiP, une mesure que le ministre de l’Économie a par ailleurs annoncée, mais il faudrait surtout que les comptes soient produits beaucoup plus rapidement pour consolidation. Nous en sommes encore loin. 


 


[1] Voir Annexe 5 au PLFSS 2025, p.19. https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/PLFSS/2025/PLFSS2025-Annexe05.pdf#page=19

[2] https://www.securite-sociale.fr/la-secu-en-detail/comptes-de-la-securite-sociale/rapports-de-la-commission

[3] Précisons que ne figurent dans ce tableau en rose que les dépenses de prestations et non les charges techniques intégrées à l’objectif. Par ailleurs il n’y a pas de consolidation interbranche.

[4] Précisons que ne figurent dans ce tableau en rose que les dépenses de prestations et non les charges techniques intégrées à l’objectif. Par ailleurs il n’y a pas de consolidation interbranche.

[5]https://www.lopinion.fr/economie/meme-revu-a-la-hausse-lobjectif-de-depenses-en-sante-ne-devrait-pas-a-nouveau-etre-atteint-cette-annee

[6]https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-04/20250414-Lobjectif-national-de-depenses-dassurance-maladie-Ondam.pdf

[7]https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/la-lettre-des-32-patrons-de-la-pharma-mondiale-qui-menace-bruxelles-dexode-2160202

[8] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-04/20250414-Lobjectif-national-de-depenses-dassurance-maladie-Ondam.pdf#page=66