Taxation des centi-millionnaires ? Une idée ubuesque anti-entrepreneurs
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Les réflexions vont bon train pour dès à présent définir les contours de la fiscalité qui devra remplacer à compter de 2026 la cotisation différentielle sur les hauts revenus (CDHR) de 2 milliards d'euros et la CEBS (cotisation exceptionnelle sur les bénéfices des sociétés) de 8 milliards d'euros. En effet lors des discussions du budget 2025 le Gouvernement a décidé d'anticiper leurs recettes de 2026 dès 2025 via la technique de l'acompte (à hauteur de 95% et de 98% respectivement), ce qui n'a pas fait bouger le conseil constitutionnel (même si une QPC est toujours possible). Il faut donc tout recommencer pour 2026. Les propositions pour remplacer la CDHR sont dejà sur la table: taxer le patrimoine des plus aisés.
Un très mauvais signal pour les entrepreneurs, alors même que la France souffre spécifiquement du manque d’ETI et que les licornes françaises ne sont encore qu’au nombre de 27. Loin du niveau de nos voisins allemands (36) et britanniques (57), comme une récente étude de la Fondation IFRAP l’a montré. La mesure proposée par la ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin, viserait à remplacer la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR) adoptée dans la LFI 2025 par une contribution différentielle sur le patrimoine d'un rendement équivalent à la CDHR (2 Md€), puisque celle-ci n'est valable que pour 1 an. Cette nouvelle imposition "sorte de néo-ISF" incluant la détention de capitaux mobiliers (hors biens professionnels), reprenant le barème de l'ancien ISF supprimé en 2018, s'ajouterait à la somme des impôts directs sur le revenu et le patrimoine (IRPP, CSG+CRDS, IFI) dans la limite de 0,5% de la valeur du patrimoine net du contribuable. Trop timorée direz-vous? L'Assemblée nationale vient de faire adopter dans le cadre d'une niche parlementaire réservée une proposition de Mme Eva SAS relative à un IPF (impôt plancher sur la fortune) de 2% pour les contribuables à partir de 100 millions d'euros de patrimoine. Cette mesure reprend la taxation Zucman proposée par le NFP mais écartée durant la discussion du PLF 2025. Que veut-on avec ces deux mesures iniques ? Faire partir du pays les créateurs de richesse qui ont réussi ou sont en pleine croissance ?
Une mesure qui pourrait rapporter entre 9 et 20 milliards d’euros
La taxation des patrimoines à compter de 100 millions d’euros représente une assiette patrimoniale spécifique représentée par le dernier mille 99,9 de patrimoine. Si l’on se base sur les éléments ténus fournis par l’INSEE[1]. L’assiette serait formée par le patrimoine net (et non brut) donc hors emprunts et dettes du contribuable. Afin d’identifier les montants et les assujettis, nous nous sommes basés sur l’étude d’Altrata relative à la fortune des Ultra Net Worth Individuals (2024) – c’est-à-dire des personnes dont la fortune nette atteint ou dépasse les 30 millions d’US$. Ces montants peuvent être repris en ordre de grandeur sachant que la parité euro-dollar est de 1,02$/1euro au 10 janvier 2025.
Population | Fortune nette cumulée (Md) | Hypo1 taxe (% et Md$) | Hypo 2 taxe (% et Md$) | |
30 M$ et + | 13 655 | 1 472 | 1% | 2% |
100 M$ et + | 2 904 | 961,6 | 9,6 | 19,2 |
Source : Altrata Wealth X (2024[2]) et calculs Fondation ifrap janvier 2025. Note : nous postulons une parité euro/dollar.
Si le patrimoine net entier était taxé, cela représenterait un rendement théorique compris entre 9,6 milliards d’euros pour une taxation à 1 % et 19,2 milliards d’euros en cas de taxation à hauteur de 2 % d’un patrimoine net de 961,6 milliards d’euros. La proposition de loi SAS, s'appuyant sur les travaux de Gabriel Zucman, fait état plutôt d'un rendement autour de 15 milliards d'euros. Cette taxation toucherait seulement 2 904 personnes. La population des UHNWI (Ultra-hight net worth individuals) représentant pour la France environ 13 655 individus (Eva SAS avoue d'ailleurs ne pas savoir clairement, avance le chiffre curieux de seulement 380 foyers fiscaux, quand Gabriel Zucman est plus proche de notre chiffrage avec 1.800 contribuables potentiels (il ne passe pas par le fichier IR, mais par une estimation patrimoniale globale).
Trois hypothèses de taxation étaient possibles :
- La taxe pourrait ne toucher que le patrimoine immobilier et assimilé — une sorte de « super-IFI » en quelque sorte ;
- Ou bien toucher également le patrimoine financier, reconstituant un nouvel ISF (en association ou en superposition par rapport à l’IFI existant) ;
- Enfin, les biens professionnels pourraient également y être inclus, ce qui représenterait une super-imposition du patrimoine pour les plus aisés. C'est malheureusement cette 3ème hypothèse qui a été retenue dans la proposition de loi adoptée en 1ère lecture à l'Assemblée nationale fin février 2025.
Patrimoine brut des ménages | Composition du patrimoine en % | ||||
Financier | Immobilier | Professionnel | Résiduel | ||
100 M€ et +si assimilable à celui du 99 centile | 26,9 | 36,2 | 34,4 | 2,5 | Patrimoine total identifié et/ou taxé |
En Md € | 258,7 | 348,1 | 330,8 | 24,0 | 961,6 |
Hypo super IFI à 1% ou 2% | 3,5/7,0 | 3,5/7,0 | |||
Hypo taxation à 1% d'un super-ISF | 2,6/5,2 | 3,5/7,0 | 0,24/0,48 | 6,3/12,6 | |
Hypo taxation à 1% du patrimoine total | 2,6/5,2 | 3,5/7,0 | 3,31/6,6 | 0,24/0,48 | 9,6/19,2 |
Source : INSEE (2024), Fondation ifrap février 2025
Évidemment, les comportements des assujettis seraient très différents suivant l’assiette de taxation retenue. Nous pensons qu’avec une taxation de 2% les rendements théoriques pourraient s’échelonner entre 9,6 et 19,2 milliards d’euros. Il s’agit d’ordres de grandeur. On peut penser en effet que l’objectif de la nouvelle taxation serait de passer outre le plafonnement de l’IFI, comme le relevait dans une récente note le Think Tank Terra Nova[3]. Si la taxe était construite dans sa version la plus extensive, cela reviendrait à reprendre ni plus ni moins que la taxation de Glucksmann, mais à un niveau non plus européen, mais strictement hexagonal. De quoi se tirer une balle dans le pied comme la France sait si bien le faire.
Bercy tablerait sur une taxation de 0,5 % pour un rendement de 2 milliards d’euros Dans le cadre de la discussion du PLF 2025 à l’Assemblée nationale fin octobre, le groupe LFI avait fait voter une taxe dite « Zucman », permettant de frapper les patrimoines « dormants » dans les holdings des milliardaires. Au taux de 2 % les députés insoumis en espéraient un rendement de 13,6 milliards d’euros, ce qui est cohérent avec notre propre chiffrage dans la mesure où cette taxe frapperait l’ensemble du patrimoine des milliardaires. Bercy sous la houlette de la ministre des comptes publics planche quant à elle sur une taxation minimale du patrimoine, articulable d’ailleurs avec la contribution différentielle sur les hauts revenus, pour un rendement de 2 milliards d’euros et un taux de taxation maximal de 0,5 %[4] du patrimoine net hors actifs professionnels. D’après nos calculs ce rendement pourrait être obtenu en conjuguant une taxation des avoirs financiers (1,3 milliard) et résiduels sur le capital immobilier afin de réintroduire un plafonnement du plafonnement de l’ISF qui avait sauté avec l’IFI (il n’y avait plus qu’un plafonnement). L’articulation avec la CDHR (contribution différentielle sur les hauts revenus) pourrait être rendue effective par anticipation[5] en demandant un acompte sur la CDHR à valoir en 2026 sur les revenus 2025 dès 2025. Rappelons que son montant anticipé en régime normal théorique était également de 2 milliards d’euros/an. |
Une remise en cause de la politique pro-business et de stabilité fiscale jusqu’ici acquise :
Dès avant l'adoption du budget 2025, c’est Amélie de Montchalin qui a proposé cette mesure en remplacement de la taxe différentielle sur les hauts revenus[6]. Une mesure dont le rendement est sans doute loin d’être acquis et qui justifie pleinement malheureusement les anticipations de certains de nos compatriotes fortunés – qui ont pris leurs dispositions dès l’automne dernier[7]. C’est surtout un très mauvais coup fait aux entrepreneurs et une atteinte manifeste à la politique de « réindustrialisation » qui supposaient un environnement fiscal stable pour les entreprises et si possible « business freindly ».
Fort logiquement d’autres territoires ont des atouts à faire valoir notamment en matière de transmission et de successions, alors que nous sommes face à un véritable mur de transmission dans les années à venir[8]. On peut penser bien entendu à l’Italie, mais aussi à l’Irlande[9] . Pour les entrepreneurs la question sera de savoir si la taxe touchera leurs « biens professionnels » ou ceux-ci restent exonérés… il semble à ce stade que ce soit le cas… un moindre mal en sorte.
[1] Voir par exemple https://www.insee.fr/fr/statistiques/8272285?sommaire=7941491#tableau-figure3, de l’enquête patrimoine, ainsi que le bulletin de la banque de France relatif au patrimoine des Français au T3 2023, https://www.banque-france.fr/system/files/2024-02/BDF250-6_Comptes.pdf.
[2] World Ultra Wealth Report, Altrata, 2024. Et plus spécifiquement le cas de la France. L’INSEE se refusant dans son enquête Patrimoine, à traiter pour les hauts patrimoines d’une telle granularité.
[3] https://tnova.fr/site/assets/files/63522/taxer_les_-_pourquoi_et_comment_le_faire.pdf?1g8xji
[4] https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/budget-2025-la-piste-dune-taxation-du-patrimoine-des-plus-riches-ressurgit-2141795
[5] https://www.lepoint.fr/economie/impots-sur-le-revenu-le-tour-de-passe-passe-d-eric-lombard-10-01-2025-2579631_28.php
[6] https:https://www.lopinion.fr/politique/taxe-sur-les-riches-le-projet-fou-de-bercy
[7] https://www.lesechos.fr/patrimoine/impots/impot-exil-fiscal-la-tentation-de-litalie-2124897
[8]https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/toucher-aux-pactes-dutreil-serait-contre-productif-pour-les-finances-publiques
[9] https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/les-droits-de-successiontransmission-le-cas-irlandais